Entretien avec Guillaume Faurès, directeur développement réseaux du groupe Fiat : "Privilégier la pérennité des réseaux"
...Nous avons assisté à beaucoup de fermetures de sites et à de nombreux départs ces dernières années. Pouvez-vous nous rappeler les faits ?
Guillaume Faurès. Depuis 1997, la part de marché de la marque Fiat a fortement chuté, à 2,5 %. Or, le réseau Fiat était structuré pour une part de marché supérieure et la capillarité était bien développée. Ainsi, nous avons assisté à quelques départs volontaires de nos partenaires en quête de volume supplémentaire. Par contre, comme beaucoup de constructeurs en proie à certaines difficultés, nous avons aussi vu d'autres marques pénétrer dans nos réseaux traditionnellement exclusifs. Cependant, nos réseaux sont restés fidèles et rebondissent désormais. En ce qui concerne Lancia, une stratégie changeante n'a pas aidé le développement de la marque, ni du réseau d'ailleurs !
JA. Le réseau Lancia a été le plus affaibli. Comment allez-vous réagir pour le relancer ?
GF. Un plan produit existe aujourd'hui dans la marque Lancia. La Musa réussit et l'Ypsilon a aussi trouvé sa clientèle. Cette année, la marque sera meilleure que d'autres dont on parle pourtant moins. Nous avons ciblé les grandes villes, là où le développement de showrooms dédiés à la marque, est potentiellement rentable (supérieur à 50 VN par an) : 32 villes ont été choisies. En outre, dans les grandes agglomérations (où le potentiel est supérieur à 100 VN), nous développerons des showrooms représentatifs de la marque, avec des normes encore plus exigeantes. Pour le reste, nous allons développer des corners dédiés à la marque au sein d'une concession Fiat ou d'autres marques concurrentes. C'est le contrat F-bis qui permet à un partenaire Fiat, voire Alfa Romeo, de distribuer la marque Lancia en installant un simple corner au sein de son showroom. Nous demandons juste de respecter l'esprit et l'image de la marque. En 2004, 35 contrats F-bis ont été signés, ce qui permet d'avoir un minimum de capillarité pour le lancement de la Musa. Dans son ensemble, le contrat Lancia a été allégé avec un kit d'aménagement pour le showroom, un minimum de PLV, un environnement Lancia spécifique. Nous exigeons en revanche une grosse orientation commerciale avec une Ypsilon et une Musa en exposition et une formation spécifique pour le vendeur. Nous sommes dans une vraie démarche globale avec un corner très typé, mais un maigre investissement, de l'ordre de 3 000 euros.
JA. Quelles sont les différentes politiques mises en place dans les deux autres réseaux ?
GF. La stratégie est en place dans le réseau Alfa Romeo depuis deux ans. La marque jouit d'une forte notoriété par rapport aux deux autres marques. Une nouvelle mise aux standards a été lancée et, en tant que marque premium, Alfa Romeo demande plus d'investissement en matière de formation et de représentation. Cette marque nécessite une stratégie d'exclusivité sur Paris et 17 villes stratégiques. Pour Fiat, la situation est un peu différente. A la fin 2003, la rentabilité du réseau n'était que de 0,3 % et s'établit à plus de 1 % fin 2004. Cependant, le réseau va arborer également de nouvelles normes visuelles dès cette année. Nous sommes partis sur des normes légères sans alourdir les charges de structures de nos réseaux. S'il faut reconquérir de la notoriété et une part de marché, il faut également consolider notre représentation du réseau, ce qui passe par une nouvelle identité visuelle qui sera déployée entre 2005 et 2007. Fin 2005,126 sites Fiat devraient arborer cette nouvelle identité (soit les 2/3 du réseau). Cela passe aussi par un réaménagement de nos concessions. Beaucoup de nos distributeurs n'ont pas fait de travaux sur leurs sites depuis près de quinze ans car aucune politique n'était mise en place dans ce sens. On s'aperçoit que les flux ont changé en concession, notamment les flux après-vente. Ce travail est nécessaire et n'exigera pas d'investissements démesurés, mais permettra aux clients de mieux identifier nos produits, de se retrouver dans un environnement sans confusion entre les marques. Il privilégiera finalement la rentabilité de nos réseaux.
JA. N'est-ce pas tôt pour se relancer dans de nouvelles identités visuelles après les investissements de mises aux normes liés au nouveau règlement ?
GF. Il faut savoir que l'identité visuelle de nos réseaux appartient au constructeur. Le développement réseau prendra à sa charge la totalité du coût de fabrication de la nouvelle identification. Tous nos sites seront identifiés à nos nouvelles couleurs d'ici fin 2007. En revanche, concernant l'aménagement intérieur, nos distributeurs auront besoin de faire un certain nombre d'investissements. Ceux-ci seront à la charge de nos partenaires même si nous les accompagnerons. Nous prendrons à notre charge ce que l'on estime le plus représentatif de nos marques. La partie showroom sera sans doute plus coûteuse que la partie après-vente, mais nous pensons que la réhabilitation de l'après-vente est incontournable et souhaitons plus de transparence à ce niveau vis-à-vis de notre clientèle. En outre, il ne sera pas demandé immédiatement à tous nos distributeurs de mettre en place cette nouvelle identité visuelle interne. Ce programme est défini sur trois ans et nous laisserons plus de temps aux distributeurs qui ont investi récemment ou à ceux qui ont eu quelques soucis financiers. Le déploiement se fera par étapes. La concertation entre le constructeur et les distributeurs sera privilégiée.
JA. Connaissez-vous le budget prévu pour ces mises aux normes ?
GF. Il y a effectivement des budgets prévus. Nous étudions au cas par cas chaque concession et évaluons les besoins de chaque site. Cette aide s'établit entre 10 % et 20 % de l'investissement demandé. Tout dépend de la taille de la concession, du potentiel de ventes de chaque site et du projet du distributeur.
JA. Quelles sont les différentes étapes ?
GF. Pour Fiat, 126 sites seront concernés d'ici la fin de l'année et 80 pour Alfa Romeo. Cette nouvelle identité visuelle s'inscrit dans une volonté européenne de rhabiller 1 000 points de vente Fiat pour le lancement de la Punto en octobre prochain. Mais restons très prudents : si la nouvelle identité visuelle est indispensable, il faut aussi veiller à ne pas grever la rentabilité de nos distributeurs par des investissements trop coûteux.
JA. Si les difficultés ne sont pas encore effacées au sein du réseau, on a cependant constaté que certains distributeurs avaient investi, notamment dans la marque Fiat (groupe Loret, Convenant, Del Beato…). Plutôt encourageant ?
GF. Fin 2003, quand nous contactions de nouveaux distributeurs pour investir dans le panneau Fiat, ils n'étaient pas intéressés. Nous avons senti un changement radical mi-2004 avec un regain d'intérêt pour la marque. Pour diverses raisons : un plan produit, un nouveau marketing, notamment en communication, et une véritable ambition de croissance. Les investisseurs savent en outre que la part de marché ne peut désormais que croître. Le travail du développement réseau est en train de payer après un long travail de prospection. Nous avons annoncé des objectifs mesurés et tenu un discours plus prudent en n termes de représentation, pensant revenir à des parts de marché raisonnables, aux alentours de 3,5 %-4 %. Tout ceci a rassuré les distributeurs.
JA. Quels sont vos objectifs à court et moyen termes ?
GF. Onze open points ont été couverts pour la marque Fiat en 2004. Une dizaine de points supplémentaires devraient être couverts cette année. Fin 2007, le réseau Fiat doit être finalisé avec 231 points de représentation. La priorité étant Paris. Pour la marque Lancia, l'objectif reste d'atteindre les 155 sites fin 2007 contre 124 fin 2004. Quant à Alfa Romeo, ce sont 18 open points qui restent à couvrir dès cette année. Seuls quatre manqueront à l'appel fin 2005. Concernant la marque Fiat Utilitaires, nous avons identifié 12 potentiels de représentation exclusive et nous avons une volonté de continuer à nous développer avec des spécialistes de l'utilitaire.
JA. La priorité sera-t-elle donnée aux opérateurs existants ?
GF. On proposera toujours à nos partenaires un développement tant que ceux-ci seront solides financièrement et performants commercialement. Cependant, il existe une campagne de séduction vis-à-vis des opérateurs d'autres réseaux. Nous nous orienterons plus vers les groupes familiaux qui ont une stratégie géographique sur un, voire deux départements, quitte à s'implanter avec plusieurs marques.
JA. On avait l'habitude d'observer des reprises de panneaux au sein du groupe Fiat. Or, certains opérateurs ont investi dans d'autres marques que celles du groupe. Quelle est votre position à ce sujet ?
GF. Nous ne pouvons refuser ces reprises même si elles se font au détriment de nos marques. Mais notre réseau ne gagnait pas beaucoup d'argent et nécessitait du volume, l'urgence étant de pérenniser les affaires. Si nous ne pouvons pas interdire ces reprises, ne serait-ce que pour une question de réglementation, nous mettons en garde nos distributeurs face à certaines reprises de marques. Les décisions se prennent en concertation entre le réseau et le constructeur. Notre volonté est d'éviter la cannibalisation, de respecter l'environnement de chaque marque et de ne pas créer la confusion dans l'esprit du client. Le multimarquisme n'encourage pas forcément la fidélité du client. Or, le gage de pérennité d'une affaire passe par la fidélité de sa clientèle.
JA. Le déploiement du réseau primaire semble donc relancé, mais qu'en est-il du réseau secondaire ?
GF. La marque Fiat a un potentiel énorme en matière d'après-vente. Son ancien réseau d'agents était composé de 500 partenaires. C'est un vrai atout pour un client et pour une marque de pouvoir compter sur un réseau secondaire déployé et de proximité. Sur ces 500 agents, tous n'entraient pas dans les normes. Un nouveau contrat d'agent a été lancé en 2004 et nous sommes en passe de reconstruire notre tissu secondaire. Ainsi, 350 agents, qui auront l'appellation d'ateliers agréés, seront renommés sur les 500 existants, d'ici la fin de l'année. Des conventions et réunions se déroulent en ce moment avec nos agents et nos distributeurs, ce qui ne s'était pas fait depuis au moins cinq ans, pour relancer une véritable stratégie commerciale et après-vente. Nous devrions compter d'ici 2007 plus de 600 points de service uniquement dans la marque Fiat. Pour Alfa Romeo et Lancia, le déploiement d'un réseau secondaire n'entre pas pour le moment dans les stratégies de ces marques et la priorité est donnée au réseau primaire.
JA. Craignez-vous la liberté totale d'implantation qui entrera en vigueur le 1er octobre ?
GF. Nous sommes encore dans l'incertitude par rapport à cela et les constructeurs sont en train d'effectuer un gros travail de lobbying pour éviter la clause d'essaimage. Cependant, un certain nombre de distributeurs chercheront à l'exploiter et il ne faut pas la sous-estimer, surtout dans les zones à fort potentiel. D'où une fois encore l'importance pour les constructeurs de maîtriser leurs sites stratégiques.
Propos recueillis par Tanguy Merrien
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