Contrats d’agent : entre retards et rétropédalages
Chez Stellantis, il semblerait que l’heure soit à l’apaisement. Après des échanges houleux entre le constructeur et le réseau, aussi bien sur le fond que sur la forme, le calendrier de la mise en place des nouveaux contrats a enfin été fixé et, de l’aveu même du réseau, s’avère beaucoup plus réaliste, même si ce dernier reste toujours soucieux des conséquences de ces modifications.
"En fonction des marques et de l’activité (concession et réparateur agréé NDLR), le déploiement des contrats est étalé dans les trimestres et les années à venir, précise Christophe Civel, directeur des réseaux de Stellantis. Dans le détail, les distributeurs ont, en effet, récemment signé un contrat de concessionnaire à «durée limitée». En France, pour les marques DS Automobiles et Alfa Romeo, ainsi que pour les véhicules utilitaires des marques du groupe Stellantis, ce contrat prendra fin le 31 mars 2024. À partir du 1er avril 2024, le contrat d’agent commissionnaire, que l’on appelle «retailer» pour éviter la confusion avec l’agent réparateur agréé, entrera en vigueur. Pour les autres marques du groupe, à savoir Peugeot, Citroën, Opel, Fiat et Jeep, la fin du contrat de concession à durée limitée est fixée à la fin 2026."
A lire aussi : Stellantis fixe le calendrier du déploiement des contrats d'agent en France
Lancia est un cas à part, car la marque étant lancée en 2024, sa distribution se fera directement sous le contrat d’agent. Enfin, pour les réparateurs agréés, il n’y aura pas de modification, leurs activités resteront sous le même statut qu’aujourd’hui.
Test dans quatre pays
Un agenda qui n’est pas identique partout en Europe. Stellantis a, en effet, introduit ces nouveaux contrats le 4 septembre dernier en Belgique, au Luxembourg, aux Pays‑Bas et en Autriche. "Une des raisons pour lesquelles nous avons choisi ces pays est leur relatif fort taux de digitalisation dans le parcours client", explique Christophe Civel. Ces pays vont dès lors servir de sites de test pour la France, qui reste le premier marché mondial pour Peugeot, Citroën et DS Automobiles.
La distribution et l’après‑vente sous les marques Stellantis, réseaux primaires et secondaires, représentent, en effet, environ 12 000 contrats, le plus important contingent dans le monde. "Pour la distribution des véhicules neufs, nous avons 2 200 signataires, un nombre qui intègre la séparation entre VP et VU, développe Christophe Civel. Au 1er avril 2024, 900 signataires VU, 170 DS Automobiles et une centaine Alfa Romeo basculeront du contrat de concessionnaire à durée limitée à celui d’agent commissionnaire."
Selon les investisseurs, cette évolution de contrat concernera entre 25 et 30 % de l’activité. Stellantis se dit prêt, aussi bien au niveau informatique, l’un des grands enjeux de cette transformation, comme nous allons le voir plus loin qu’humain. "Nous travaillons activement sur la formation des membres du réseau, ainsi que sur le déploiement de nos équipes en interne", précise le directeur des réseaux.
De son côté, le groupe Volkswagen, sans oublier Smart, nous y reviendrons, est actuellement le seul constructeur à avoir mis en place les contrats d’agent. Ces derniers concernent aujourd’hui les modèles électriques des marques Cupra et Volkswagen Utilitaires.
Pour les autres marques, toujours pour les modèles électriques, le déploiement se fera au cours du premier trimestre 2024. Il est donc le premier constructeur à être pleinement opérationnel sur ce sujet… avec toutes les difficultés d’organisation liées à une transformation aussi profonde. "Nous rencontrons actuellement des problèmes de livraison, mais cela s’améliore de jour en jour et notre réseau nous accompagne avec une très grande efficacité dans cette évolution en palliant les problèmes informatiques", présente en toute transparence, Xavier Chardon, président du groupe Volkswagen France.
A lire aussi : La justice australienne déboute les concessionnaires Mercedes-Benz
Un constat partagé par le réseau. "La relation client ne se fait pas avec un outil informatique ou un tableau Excel, regrette un concessionnaire. Le système n’est pas assez fluide et nous faisons face à d’importants retards dans les livraisons, notamment à cause de la rigidité des systèmes informatiques."
Et de citer l’exemple du changement de propriétaire sur la carte grise, un exemple également mis en avant par des concessionnaires Smart pour qui le contrat d’agent est une catastrophe. "Lorsqu’un client décide, quelques jours avant la livraison, de mettre le nom de sa conjointe, alors que ce n’était pas prévu lors de la commande, cette opération est devenue impossible", note un acteur dans le sud de la France.
Un format connu chez BMW
Des difficultés que certains constructeurs ne voient pas comme un frein et ils poursuivent le déploiement de cette stratégie mise en place par les maisons mères. Tout comme Volkswagen ou Stellantis, BMW a validé le calendrier. "Pour la marque Mini, le contrat d’agent authentique Genius commencera le 1er mai 2024, tandis que pour BMW, cela sera le 1er janvier 2026", présentent Vincent Salimon, président du directoire de BMW Group France, et Eymeric Lepoutre, chef de projet Futur Sales Model de BMW. Un calendrier propre à la France, car l’Italie, la Suède et la Pologne passeront dès le 1er janvier 2024 sous contrat d’agent.
Contrairement aux autres constructeurs, ce n’est pas une nouveauté pour le groupe allemand. "Nous avons effectivement déjà testé le modèle d’agent, entre 2013 et 2018, à l’occasion du lancement de notre gamme électrique « i», rappelle Vincent Salimon. Mais, les choses étaient différentes à l’époque. L’électrique n’étant qu’à ses prémices, le constructeur avait trouvé cette solution pour supporter les risques inhérents à cette nouvelle technologie. En outre, le parcours client n’était pas 100 % digital, ce qui est le cas aujourd’hui."
Car pour BMW, la mise en place de ces nouveaux contrats a notamment pour but, du point de vue des clients, de simplifier l’acte d’acquisition, aussi bien par la voie digitale que physique et ce, "dans toutes les étapes d’achat", précise Eymeric Lepoutre qui assure que le rôle des distributeurs n’évoluera pas, même si leur contrat change. "Notre réseau ne sera pas qu’un simple site de livraison", insiste de son côté Vincent Salimon, qui rappelle que la mise en place des nouveaux contrats a fait l’objet de très nombreuses rencontres avec le groupement des concessionnaires. "Notre intérêt premier est que nos investisseurs conservent leur rentabilité, car ce sont des partenaires, nous ne voulons pas les perdre", poursuit‑il.
Et si certains craignent que le déploiement des nouveaux contrats puisse être synonyme de réduction du nombre de points de vente, le constructeur se veut rassurant. "Au contraire, le distributeur étant dégagé de certaines charges, comme le portage du stock, nous réfléchissons à assurer une forte présence sur le territoire, dans le but d’optimiser l’expérience client, présente Eymeric Lepoutre. Avec le développement de la digitalisation, ouvrir des sites de vente supplémentaires ne nous paraît pas opportun. En revanche, imaginer des solutions pour développer l’après‑vente et être plus près de nos clients figure parmi les pistes de réflexion."
Une approche pragmatique
Autre constructeur à vouloir convertir son réseau de concessionnaires en agents commissionnaires, Volvo. Mais avec une approche très pragmatique. "En Europe, seul le Royaume‑Uni est passé sous les nouveaux contrats et ce, depuis le mois de juin, présente Yves Pasquier‑Desvignes, président de Volvo Car France. Ce pays va servir de test pour l’ensemble des autres pays et les prochains sur la liste seront la Suède et l’Allemagne, des marchés qui représentent entre 60 000 et 70 000 ventes annuelles."
Pour les autres, notamment la France, le déploiement pourrait se faire en 2025 ou 2026, Volvo assure n’avoir aucun calendrier précis. "Ce sont surtout les outils digitaux qui sont la clé de voûte du déploiement des nouveaux contrats, insiste le dirigeant. Nous nous lancerons dans l’aventure quand ils seront prêts à 100 %."
Ce nouveau modèle économique de distribution a pour but d’accompagner la croissance du constructeur. Ce dernier prévoit, en effet, de commercialiser 1,2 million de voitures en 2024, une progression principalement liée à la commercialisation de l’EX30. "À titre d’exemple, le Royaume‑Uni va passer de 50 000 à 80 000 VN", précise Yves Pasquier‑Desvignes.
Le volume est d’ailleurs un élément clé dans l’équation : "La marge unitaire liée au contrat d’agent va probablement baisser, prévient la marque suédoise, mais elle sera compensée par l’arrivée de nouveaux modèles parfaitement adaptés aux besoins du marché."
Un cercle vertueux qui ne peut fonctionner que lorsque la production suit. "Ce qui est actuellement compliqué, reconnaît le constructeur. J’ai un portefeuille de 18 000 véhicules, mais je ne pourrai en livrer au réseau que 17 000." C’est pourquoi Volvo reste prudent. "On teste, on analyse et on déploie, résume Yves Pasquier‑Desvignes. Nous ne ferons pas machine arrière, mais nous adapterons notre stratégie en fonction des retours du marché et du réseau."
Un pas en avant, deux pas en arrière ?
Outre Jaguar qui, avec l’arrivée de la gamme 100 % électrique, passera sous contrat d’agent en 2025, Mercedes‑Benz fait aussi partie des constructeurs qui ont décidé de faire de même. C’est d’ailleurs le cas avec Smart. Avec des fortunes très diverses. "Le manque de souplesse inhérent à la nouvelle organisation nous fait perdre des ventes", observe un distributeur qui justifie les résultats assez mauvais de la marque par ces nouveaux contrats (820 voitures de janvier à juillet 2023). Un exemple qui semble d’ailleurs faire réfléchir le constructeur allemand. La filiale française n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais selon nos informations, il semblerait que ces nouveaux contrats soient profondément remis en cause. Toujours selon des indiscrétions, l’Espagne, qui devait passer sous le nouveau régime au 1er janvier 2024, a vu la date être repoussée à… 2027.
Quant à la France, le réseau n’a aucune nouvelle de la part du constructeur sur une éventuelle date. "L’expérience au Royaume‑Uni et en Allemagne se passe très mal", croit savoir un concessionnaire sans donner plus de précisions. "Les constructeurs conçoivent et construisent des voitures, nous, nous les vendons. À chacun son métier", martèle un autre distributeur Mercedes‑Benz, résumant ainsi l’avis d’un grand nombre d’entre eux, toutes marques confondues. "Il suffit de voir ce qui se passe dans les succursales des marques. Elles sont rarement rentables", poursuit‑il.
L’avenir donnera‑t‑il raison aux réseaux qui, malgré le fait qu’ils aient signé les nouveaux contrats, voient d’un œil très suspicieux cette distribution ? Les constructeurs réussiront‑ils à être plus efficaces dans la gestion des dossiers ? La distribution entre‑t‑elle dans une nouvelle ère ?
Car si l’une des principales raisons de la mise en place de cette nouvelle distribution était dictée par la réduction des coûts liés à ce poste, il semblerait que les constructeurs aient oublié une valeur essentielle ou, du moins, n’aient pas su saisir sa complexité : la satisfaction client. Qui, aujourd’hui, n’est pas au rendez‑vous avec les nouveaux contrats.
Le VO reste sous le contrôle du réseau
Le déploiement des contrats d’agent va‑t‑il, par ricochet, faire basculer l’occasion dans le périmètre d’action des constructeurs ? C’était une des craintes des concessionnaires, mais les constructeurs se veulent rassurants. "Nous n’avons aucune intention de détourner le réseau du VO", commente Christophe Civel (Stellantis). Hors mises à la casse, le taux des reprises est d’environ 70 % dans le réseau ; pour ce dernier, il s’agit du premier canal d’approvisionnement en VO. Chez Stellantis, dans le cadre des nouveaux contrats et pour les transactions BtoC, le concessionnaire a le choix de gérer lui‑même la reprise, "ce qui représente la très grande majorité des cas", rappelle Christophe Civel, ou de laisser le constructeur s’en occuper.
Cette stratégie permet ainsi aux distributeurs et au constructeur de s’alimenter en VO. Dans le cas des reprises issues du financement, comme la location longue durée, le crédit‑bail, etc., "nous allons proposer au réseau de se positionner sur l’échéance du contrat", présente le directeur des réseaux de Stellantis. Au sein du groupe Volkswagen, les conditions de reprise VO n’évoluent également pas. "Le réseau reste maître du jeu sur ce sujet", précise Xavier Chardon (Volkswagen). Chez BMW, on souhaite d’ailleurs que le réseau se renforce sur le VO. "C’est une opportunité de développement car 50 % des BMW d’occasion échappent au réseau, constate Vincent Salimon (BMW). Nous voulons augmenter la capillarité du réseau après‑vente pour mieux capter le VO dans notre réseau."
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.