S'abonner
Distribution

Contrats d’agent : entre retards et rétropédalages

Publié le 25 septembre 2023

Par Christophe Bourgeois
11 min de lecture
Les contrats d’agent commissionnaire en lieu et place de ceux de concessionnaire vont profondément changer la distribution automobile. Une révolution qui, pour l’instant, n’a pas encore vraiment eu lieu, leur mise en place ayant sans cesse été reportée. Tour d’horizon des constructeurs qui se sont lancés et qui les ont repoussés. Voire qui pourraient faire machine arrière.
Contrats d'agent
Si le réseau Mini va passer sous le nouveau contrat au 1er mai 2024, il ne sera mis en place que fin 2026 pour Peugeot, Citroën, Opel, Fiat et Jeep.

Chez Stellantis, il semblerait que l’heure soit à l’apaise­ment. Après des échanges houleux entre le constructeur et le réseau, aussi bien sur le fond que sur la forme, le calendrier de la mise en place des nouveaux contrats a enfin été fixé et, de l’aveu même du réseau, s’avère beaucoup plus réaliste, même si ce dernier reste toujours soucieux des conséquences de ces modifications.

 

"En fonction des marques et de l’activité (concession et réparateur agréé NDLR), le déploiement des contrats est étalé dans les trimestres et les années à venir, pré­cise Christophe Civel, directeur des réseaux de Stellantis. Dans le détail, les distributeurs ont, en effet, récemment signé un contrat de concessionnaire à «durée limitée». En France, pour les marques DS Automobiles et Alfa Romeo, ainsi que pour les véhicules utilitaires des marques du groupe Stellantis, ce contrat prendra fin le 31 mars 2024. À partir du 1er avril 2024, le contrat d’agent commis­sionnaire, que l’on appelle «retailer» pour éviter la confusion avec l’agent réparateur agréé, entrera en vigueur. Pour les autres marques du groupe, à savoir Peugeot, Ci­troën, Opel, Fiat et Jeep, la fin du contrat de concession à durée limitée est fixée à la fin 2026."

 

A lire aussi : Stellantis fixe le calendrier du déploiement des contrats d'agent en France

 

Lancia est un cas à part, car la marque étant lancée en 2024, sa distribution se fera directement sous le contrat d’agent. Enfin, pour les répara­teurs agréés, il n’y aura pas de modifi­cation, leurs activités resteront sous le même statut qu’aujourd’hui.

 

Test dans quatre pays

 

Un agenda qui n’est pas identique par­tout en Europe. Stellantis a, en effet, introduit ces nouveaux contrats le 4 septembre dernier en Belgique, au Luxembourg, aux Pays‑Bas et en Au­triche. "Une des raisons pour lesquelles nous avons choisi ces pays est leur relatif fort taux de digitalisation dans le par­cours client", explique Christophe Civel. Ces pays vont dès lors servir de sites de test pour la France, qui reste le premier marché mondial pour Peu­geot, Citroën et DS Automobiles.

 

La distribution et l’après‑vente sous les marques Stellantis, réseaux primaires et secondaires, représentent, en effet, environ 12 000 contrats, le plus impor­tant contingent dans le monde. "Pour la distribution des véhicules neufs, nous avons 2 200 signataires, un nombre qui intègre la séparation entre VP et VU, développe Christophe Civel. Au 1er avril 2024, 900 signataires VU, 170 DS Automobiles et une centaine Alfa Romeo basculeront du contrat de concessionnaire à durée limitée à celui d’agent commissionnaire."

 

Selon les investisseurs, cette évolution de contrat concernera entre 25 et 30 % de l’activi­té. Stellantis se dit prêt, aussi bien au niveau informatique, l’un des grands enjeux de cette transformation, comme nous allons le voir plus loin qu’humain. "Nous travaillons active­ment sur la formation des membres du réseau, ainsi que sur le déploiement de nos équipes en interne", précise le di­recteur des réseaux.

 

Comme Peugeot, Opel, Fiat et Jeep, le réseau Citroën changera de statut en 2027.

 

De son côté, le groupe Volkswagen, sans oublier Smart, nous y revien­drons, est actuellement le seul constructeur à avoir mis en place les contrats d’agent. Ces derniers concernent aujourd’hui les modèles électriques des marques Cupra et Volkswagen Utilitaires.

 

Pour les autres marques, tou­jours pour les modèles électriques, le déploiement se fera au cours du pre­mier trimestre 2024. Il est donc le pre­mier constructeur à être pleinement opérationnel sur ce sujet… avec toutes les difficultés d’organisation liées à une transformation aussi profonde. "Nous rencontrons actuellement des problèmes de livraison, mais cela s’améliore de jour en jour et notre réseau nous accom­pagne avec une très grande efficacité dans cette évolution en palliant les pro­blèmes informatiques", présente en toute transparence, Xavier Chardon, président du groupe Volkswagen France.

 

A lire aussi : La justice australienne déboute les concessionnaires Mercedes-Benz

 

Un constat partagé par le ré­seau. "La relation client ne se fait pas avec un outil informatique ou un ta­bleau Excel, regrette un concession­naire. Le système n’est pas assez fluide et nous faisons face à d’importants retards dans les livraisons, notamment à cause de la rigidité des systèmes informatiques."

 

Et de citer l’exemple du changement de proprié­taire sur la carte grise, un exemple éga­lement mis en avant par des conces­sionnaires Smart pour qui le contrat d’agent est une catastrophe. "Lorsqu’un client décide, quelques jours avant la li­vraison, de mettre le nom de sa conjointe, alors que ce n’était pas prévu lors de la commande, cette opération est devenue impossible", note un acteur dans le sud de la France.

Un format connu chez BMW

 

Des difficultés que certains construc­teurs ne voient pas comme un frein et ils poursuivent le déploiement de cette stratégie mise en place par les maisons mères. Tout comme Volk­swagen ou Stellantis, BMW a validé le calendrier. "Pour la marque Mini, le contrat d’agent authentique Genius commencera le 1er mai 2024, tandis que pour BMW, cela sera le 1er jan­vier 2026", présentent Vincent Salimon, président du directoire de BMW Group France, et Eyme­ric Lepoutre, chef de projet Futur Sales Model de BMW. Un calendrier propre à la France, car l’Italie, la Suède et la Pologne passeront dès le 1er janvier 2024 sous contrat d’agent.

 

Contrairement aux autres construc­teurs, ce n’est pas une nouveauté pour le groupe allemand. "Nous avons effectivement déjà testé le modèle d’agent, entre 2013 et 2018, à l’occasion du lancement de notre gamme électrique « i», rappelle Vincent Salimon. Mais, les choses étaient différentes à l’époque. L’élec­trique n’étant qu’à ses prémices, le constructeur avait trouvé cette solu­tion pour supporter les risques inhé­rents à cette nouvelle technologie. En outre, le parcours client n’était pas 100 % digital, ce qui est le cas au­jourd’hui."

 

 

Car pour BMW, la mise en place de ces nouveaux contrats a notamment pour but, du point de vue des clients, de simplifier l’acte d’acquisition, aussi bien par la voie digitale que physique et ce, "dans toutes les étapes d’achat", précise Eymeric Lepoutre qui assure que le rôle des distributeurs n’évoluera pas, même si leur contrat change. "Notre réseau ne sera pas qu’un simple site de livraison", insiste de son côté Vincent Salimon, qui rappelle que la mise en place des nouveaux contrats a fait l’objet de très nombreuses rencontres avec le groupement des concessionnaires. "Notre intérêt premier est que nos investisseurs conservent leur rentabilité, car ce sont des partenaires, nous ne voulons pas les perdre", poursuit‑il.

 

Et si cer­tains craignent que le déploiement des nouveaux contrats puisse être synonyme de réduction du nombre de points de vente, le constructeur se veut rassurant. "Au contraire, le distributeur étant dégagé de cer­taines charges, comme le portage du stock, nous réfléchissons à assurer une forte présence sur le territoire, dans le but d’optimiser l’expérience client, présente Eymeric Lepoutre. Avec le développement de la digitalisation, ouvrir des sites de vente supplémen­taires ne nous paraît pas opportun. En revanche, imaginer des solutions pour développer l’après‑vente et être plus près de nos clients figure parmi les pistes de réflexion."

 

Une approche pragmatique 

 

Autre constructeur à vouloir conver­tir son réseau de concessionnaires en agents commissionnaires, Volvo. Mais avec une approche très pragmatique. "En Europe, seul le Royaume‑Uni est passé sous les nouveaux contrats et ce, depuis le mois de juin, présente Yves Pasquier‑Desvignes, président de Volvo Car France. Ce pays va servir de test pour l’ensemble des autres pays et les prochains sur la liste seront la Suède et l’Allemagne, des marchés qui repré­sentent entre 60 000 et 70 000 ventes an­nuelles."

 

Pour les autres, notamment la France, le déploiement pourrait se faire en 2025 ou 2026, Volvo assure n’avoir aucun calendrier précis. "Ce sont sur­tout les outils digitaux qui sont la clé de voûte du déploiement des nouveaux contrats, insiste le dirigeant. Nous nous lancerons dans l’aventure quand ils se­ront prêts à 100 %."

 

Ce nouveau modèle économique de distribution a pour but d’accompagner la croissance du constructeur. Ce der­nier prévoit, en effet, de commercialiser 1,2 million de voitures en 2024, une progression principalement liée à la commercialisation de l’EX30. "À titre d’exemple, le Royaume‑Uni va passer de 50 000 à 80 000 VN", précise Yves Pasquier‑Desvignes.

 

Le volume est d’ailleurs un élément clé dans l’équa­tion : "La marge unitaire liée au contrat d’agent va probablement baisser, pré­vient la marque suédoise, mais elle sera compensée par l’arrivée de nouveaux modèles parfaitement adap­tés aux besoins du marché."

 

Un cercle vertueux qui ne peut fonctionner que lorsque la production suit. "Ce qui est actuellement compliqué, reconnaît le constructeur. J’ai un portefeuille de 18 000 véhicules, mais je ne pourrai en livrer au réseau que 17 000." C’est pourquoi Volvo reste prudent. "On teste, on analyse et on déploie, résume Yves Pasquier‑Desvignes. Nous ne fe­rons pas machine arrière, mais nous adapterons notre stratégie en fonction des retours du marché et du réseau."

Un pas en avant, deux pas en arrière ? 

 

Outre Jaguar qui, avec l’arrivée de la gamme 100 % électrique, pas­sera sous contrat d’agent en 2025, Mercedes‑Benz fait aussi partie des constructeurs qui ont décidé de faire de même. C’est d’ailleurs le cas avec Smart. Avec des fortunes très diverses. "Le manque de souplesse inhérent à la nouvelle organisation nous fait perdre des ventes", observe un distributeur qui justifie les résul­tats assez mauvais de la marque par ces nouveaux contrats (820 voitures de janvier à juillet 2023). Un exemple qui semble d’ailleurs faire réfléchir le constructeur allemand. La filiale française n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais selon nos infor­mations, il semblerait que ces nou­veaux contrats soient profondément remis en cause. Toujours selon des in­discrétions, l’Espagne, qui devait pas­ser sous le nouveau régime au 1er jan­vier 2024, a vu la date être repoussée à… 2027.

 

Quant à la France, le réseau n’a aucune nouvelle de la part du constructeur sur une éventuelle date. "L’expérience au Royaume‑Uni et en Allemagne se passe très mal", croit sa­voir un concessionnaire sans donner plus de précisions. "Les constructeurs conçoivent et construisent des voitures, nous, nous les vendons. À chacun son métier", martèle un autre distributeur Mercedes‑Benz, résumant ainsi l’avis d’un grand nombre d’entre eux, toutes marques confondues. "Il suffit de voir ce qui se passe dans les succursales des marques. Elles sont rarement ren­tables", poursuit‑il.

 

L’avenir donne­ra‑t‑il raison aux réseaux qui, malgré le fait qu’ils aient signé les nouveaux contrats, voient d’un œil très suspi­cieux cette distribution ? Les construc­teurs réussiront‑ils à être plus efficaces dans la gestion des dossiers ? La dis­tribution entre‑t‑elle dans une nou­velle ère ?

 

Car si l’une des principales raisons de la mise en place de cette nouvelle distribution était dictée par la réduction des coûts liés à ce poste, il semblerait que les constructeurs aient oublié une valeur essentielle ou, du moins, n’aient pas su saisir sa complexité : la satisfaction client. Qui, aujourd’hui, n’est pas au rendez‑vous avec les nouveaux contrats.

 


 

Le VO reste sous le contrôle du réseau

 

Le déploiement des contrats d’agent va‑t‑il, par ricochet, faire basculer l’occasion dans le périmètre d’action des constructeurs ? C’était une des craintes des concessionnaires, mais les constructeurs se veulent rassurants. "Nous n’avons aucune intention de détourner le ré­seau du VO", commente Christophe Civel (Stellantis). Hors mises à la casse, le taux des reprises est d’environ 70 % dans le réseau ; pour ce dernier, il s’agit du premier canal d’ap­provisionnement en VO. Chez Stellantis, dans le cadre des nouveaux contrats et pour les tran­sactions BtoC, le concessionnaire a le choix de gérer lui‑même la reprise, "ce qui représente la très grande majorité des cas", rappelle Chris­tophe Civel, ou de laisser le constructeur s’en occuper.

 

Cette stratégie permet ainsi aux dis­tributeurs et au constructeur de s’alimenter en VO. Dans le cas des reprises issues du finance­ment, comme la location longue durée, le cré­dit‑bail, etc., "nous allons proposer au réseau de se positionner sur l’échéance du contrat", présente le directeur des réseaux de Stellan­tis. Au sein du groupe Volkswagen, les conditions de reprise VO n’évoluent également pas. "Le réseau reste maître du jeu sur ce sujet", précise Xavier Chardon (Volkswagen). Chez BMW, on souhaite d’ailleurs que le réseau se renforce sur le VO. "C’est une opportunité de développement car 50 % des BMW d’occasion échappent au réseau, constate Vincent Sali­mon (BMW). Nous voulons augmenter la capil­larité du réseau après‑vente pour mieux capter le VO dans notre réseau."

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle