Arnaud Duffort, président du Groupe Duffort
...Arnaud Duffort, un investisseur privé, qui n'hésite pas à acquérir des concessions Premium, à parier sur l'avenir et sur la pérennité de la distribution automobile. A certaines conditions…
Arnaud Duffort. Il est né en 2002 et appartient à 100 % à la famille Duffort. Nous avons d'abord acquis un groupe immobilier dans le 7e arrondissement de Paris qui détenait aussi des sociétés industrielles que nous avons réorganisées puis cédées en 2004. Dès lors, en 2005, nous avons décidé d'orienter la stratégie du groupe en trois axes principaux. Ces derniers sont l'immobilier de prestige, l'investissement et la prise de participation dans tous les domaines d'activités et le troisième, l'automobile de luxe et Premium uniquement.
JA. Comment est-il structuré ?
AD. L'idée initiale était de créer une méthode de travail complètement différente, avec une direction financière unique au siège et des filiales orientées sur "l'opérationnel". Cela signifie que l'ensemble des directeurs de filiale sont vraiment des "hommes métier". Leur préoccupation principale est de déterminer ce qu'il faut faire pour que leurs affaires - quel que soit le domaine d'activités - fonctionnent dans le respect des budgets et des plans d'actions. Cela leur procure une grande liberté et beaucoup moins de soucis.
JA. Cela suppose une organisation très suivie ?
AD. Nous avons un comité de direction mensuel par entité au cours duquel nous évoquons les résultats chiffrés du mois, du trimestre écoulé, l'ensemble des centres de profits par rapport aux budgets, des forces et faiblesses par rapport à la réalisation de ces budgets et des actions à mener en cas de problème. Lors de ces comités, les directeurs, qui ont eu les résultats une semaine auparavant, doivent arriver avec des actions correctives à proposer si nécessaire. Ils disposent également, deux fois par semaine, d'une situation de trésorerie par activité (BFR et EBE) qui leur permet d'intervenir immédiatement. Enfin, chaque année, je présente un plan de développement triennal Groupe à l'ensemble des dirigeants ainsi que les ajustements pour l'année en cours.
JA. Comment cela se traduit-il concrètement ?
AD. Dans tous les métiers, nous attachons une grande importance à l'immobilisation de la trésorerie. Nous savons par exemple que c'est le stock qui peut mettre en danger la pérennité d'une affaire automobile. En VO, nous réussissons à obtenir les 35 jours de rotation, et les 45/47 en VN. Nous faisons la même chose dans les autres métiers où les stocks sont gérés en flux tendu. Toutes les sociétés sont informatisées en réseau, ce qui permet à la direction financière, au siège, d'être informée à l'instant T. Nous maintenons une trésorerie groupe confortable et c'est véritablement là que se situe le nerf de la guerre.
JA. Vous évoquez des filiales et des prises de participation, quelle est la différence et quelle est la rentabilité des entités ?
AD. Nous détenons 95 % de toutes nos filiales. En 2008, nous avons réalisé 24 millions d'euros de chiffre d'affaires avec 42 personnes pour une rentabilité groupe de 7 %. En prévision et grâce à nos acquisitions, nous atteindrons les 36,5 millions en 2009, avec 69 personnes, et une rentabilité budgétée autour de 5 %. Enfin, en 2010, nous devrions être à 65 millions pour une rentabilité entre 4 et 5 % à l'aide de 87 personnes. Nos prises de participation dans des SSII ou des sociétés de service comme des golfs par exemple, s'élèvent à 50 % du capital. Nous avons un rôle d'accompagnement financier, d'organisation, de gestion et nous facturons nos prestations de "management fees". Le point commun entre tous ces métiers, c'est le domaine du luxe et du premium. Par exemple, le patrimoine immobilier, que nous détenons à 100 %, est situé pour les deux tiers, soit 20 000 m2, dans le 7e arrondissement.
JA. Face à la crise, allez-vous freiner vos acquisitions ?
AD. Depuis 2006, nous investissons entre 4 et 5 millions d'euros par an en croissance externe. Nous sommes toujours en quête de prises de participation comme d'acquisitions. Nous avons mis en place avec les banques un système de financement pour pouvoir acquérir des structures. Tant que nous respectons nos engagements, que nous envoyons des rapports de trésorerie, que nous leur faisons une présentation détaillée des bilans, nous négocions avec plus de facilité avec les banques avec lesquelles nous travaillons régulièrement. Il va sans dire qu'étant une société commerciale, nous nous appuyons très peu sur notre fonds immobilier auprès des banques ; nous préférons leur soumettre un projet d'entreprise et un projet de financement. Nous obtenons ainsi très vite des accords. Pour VPA Les Ulis, cela a pris 75 jours, entre la rencontre avec Volvo France et notre entrée dans la structure.
JA. Pourquoi avoir sélectionné trois types d'activité parmi tant d'autres ?
AD. En 2002, l'immobilier était en pleine explosion. Cela garantissait d'emblée au Groupe une assise structurelle assez forte. Quant à l'automobile, c'est par passion. Nous avons cependant privilégié le segment du Premium parce que nous sommes convaincus qu'il était nécessaire de le travailler différemment. Nous nous rendons également toujours propriétaire des murs des affaires que nous achetons.
JA. Comment abordez-vous le secteur du Premium ?
AD. Nous sommes très proches de nos directeurs auxquels nous donnons de solides moyens financiers. Nous savons aussi qu'il faut beaucoup investir en communication. Surtout en période de crise. Il faut certes communiquer différemment en rassurant le client, en le fidélisant, en lui offrant les meilleures conditions… mais communiquer en axant le discours sur la qualité de notre accueil. Nous sommes capables de "qualifier" notre accueil parce que nous sommes une entreprise à taille humaine.
JA. Il est pourtant difficile de trouver de la rentabilité dans la distribution automobile ?
AD. En choisissant le Premium, nous nous assurons déjà d'une rentabilité plus contrôlée. Puis, nous ne sommes pas tributaires de loyers puisque nous sommes propriétaires des murs et nous optimisons, par ailleurs, cet investissement, en optant pour le grand Paris dont le marché est porteur. D'autre part, la centralisation des services financiers réduit les coûts de fonctionnement. Tout cela nous procure les leviers nécessaires pour dégager de la rentabilité.
JA. Vous parlez du grand Paris, seriez-vous intéressés par une concession dans le sud de la France, par exemple ?
AD. Cela peut nous intéresser s'il y a une vraie stratégie du constructeur qui consisterait à choisir notre mode de fonctionnement. Nous n'avons pas d'interdits par rapport à cela, à condition que le directeur opérationnel soit issu du tissu économique local. Il ne faut pas oublier que nous sommes d'abord des commerçants.
JA. Est-ce que vous avez une stratégie de marques, certaines que vous ne souhaitez pas avoir ?
AD. Nous ne voulons travailler que des marques Premium. Maintenant, il est clair que nous ne pouvons pas avoir certaines d'entre elles parce qu'elles sont déjà prises. Les marques Premium ont une vraie cohérence avec nos autres activités, ce sont les mêmes typologies de clientèles, les mêmes fichiers !
JA. Comment définissez-vous les relations que vous entretenez avec les constructeurs ?
AD. Nous avons une relation privilégiée avec les constructeurs. Nous sommes capables de travailler avec eux sur un plan de développement et un plan financier. Nous avons une relation de proximité très forte avec Jaguar, Land Rover et aussi, bien sûr, avec Volvo qui a une relation avec ses concessionnaires assez impressionnante, tant au niveau de la présidence que de la direction du réseau. La marque Volvo a une approche "très familiale", très proche de son réseau.
JA. Comment vous inscrivez-vous sur le marché de l'Ile-de-France qui est fortement concurrencé ?
AD. Nos deux principaux concurrents sont Neubauer et Priod, qui sont deux grands groupes de distribution, qui ont une culture familiale automobile, beaucoup d'expérience et de savoir-faire. Cependant, nous sommes profondément différents, parce que nous sommes des investisseurs et que nous avons donc une démarche autre qui nous permet de faire notre place. Le poids que nos concurrents ont en termes de volume auprès des constructeurs, nous devons l'avoir en termes de qualité, sur l'engagement d'investissements et sur le retour. Nous sommes dans les trois premiers en termes de volume chez Jaguar avec un seul site, chez Land Rover, dans les dix premiers et cela démarre plutôt bien chez Volvo.
JA. Quelles sont vos premières actions quand vous achetez une concession ?
AD. Dès l'acte d'achat effectué, nous présentons le nouveau directeur à l'ensemble du personnel en précisant que celui-ci a deux mois pour nous présenter un plan d'actions, un budget, les décisions qui doivent être prises dans les neuf premiers mois d'activité et un business plan sur trois ans. Le plan d'actions est établi autour de quatre points essentiels, le marketing, les ventes, le management et les finances. A l'issue de ces 60 jours, nous décidons de l'orientation à donner à l'entreprise. Ce qui revient, aussi, à déterminer les points forts et les points à améliorer. Comme ce sont de petites structures, il est aisé de voir les qualités de chacun, les manques qui doivent être comblés en termes de formation, etc. La période d'observation est essentielle.
JA. Vous nommez les nouveaux directeurs, quelle est votre définition du manager ?
AD. Ce que nous privilégions, ce sont ses compétences opérationnelles (et non financières) et une grande expérience dans le métier choisi. Qu'il soit très à l'écoute, humain et soit un vrai chef d'entreprise au sens "responsable métier" sont les qualités exigées. Chaque marque doit avoir un profil différent. Chez Land Rover et Jaguar, le directeur, David Marty, est très orienté "haut de gamme" de part son parcours. Chez Volvo, le directeur, Jean-François Huin, fort de 20 ans d'expérience chez les généralistes, s'adapte parfaitement à la typologie hétéroclite de la clientèle.
JA. Avez-vous une identité visuelle groupe pour l'ensemble des activités ?
AD. Jusqu'à présent, nous sommes restés très discrets, mais nous avons décidé de donner corps à une communication plus institutionnelle du Groupe Duffort. Nous avons d'ailleurs accueilli depuis peu une responsable de communication Groupe, Céline Marsal, en provenance du Groupe Dassault, pour mener à bien cette mission. C'est-à-dire décliner l'image du groupe que nous avons auprès des institutionnels vers les différentes sociétés. Faire du groupe Duffort, une marque d'investisseur au sens "créatif" du terme. Nous avons de nombreux contacts qui souhaitent lancer des affaires et être accompagnés dans les premiers temps. Notre méthodologie nous le permet, c'est pourquoi, nous voulons communiquer ainsi. Quitte même à entrer dans le capital à hauteur de 20 à 50 % et faire bénéficier de notre expérience de jeunes entrepreneurs.
JA. Comment voyez-vous la pérennité de la distribution automobile puisque vous investissez dans la durée, pour l'avenir ?
AD. Dans les 5 à 10 ans, on devrait voir se dessiner deux types de distribution automobile en dehors de la distribution internet. Il y aura toujours ces très grands groupes familiaux qui ont su se structurer et se développer dans la durée. De l'autre côté, il y aura quelques investisseurs indépendants qui auront décidé de diversifier leur métier et sauront marquer leurs différences. Plus que jamais, les réseaux commerciaux et les services financiers sont liés par un même objectif : pérennité…
JA. Est-ce que vous regardez avec attention les groupes qui mutualisent leurs VO, leur approvisionnement pièces, etc.
AD. Au niveau du VO, nous le faisons déjà. Nous achetons et vendons beaucoup de VO haut de gamme et nous allons continuer à développer l'activité. Pour ce qui est des pièces aujourd'hui, nous avons une excellente rentabilité en après-vente et n'avons pas encore besoin de centraliser compte tenu du volume que nous faisons. Mais si demain, on me proposait d'entrer dans un pôle d'achat de 5 ou 6 actionnaires pour qu'on centralise les achats, j'accepterais, bien sûr.
JA. Travaillez-vous beaucoup sur Internet pour le VO ?
AD. Notre responsable VO, Nicolas Bertrand, connaît très bien le métier et dispose d'un réseau relationnel important. C'est son premier "moteur de recherche" mais il utilise aussi Internet. Nous achetons toutes marques de véhicules d'occasion Premium.
JA. Les mouvements et autres fusions chez les constructeurs vous inquiètent-ils ?
AD. Jaguar et Land Rover appartiennent depuis 18 mois au Groupe Tata. Ce que l'on peut dire aujourd'hui, c'est que le réseau français de ces marques est excellent. Ces deux marques ont une réelle légitimité à exister et nous ne sommes pas inquiets quant à sa pérennité.
JA. Avez-vous envie de participer à la vie du réseau ?
AD. Nous échangeons beaucoup avec les directions des réseaux et participons à des réunions de travail. Déjà, nous envoyons systématiquement des e-mails aux directions de réseaux pour évoquer des questions, ou faire des propositions. Cela fonctionne très bien avec Jaguar, Land Rover, ou Volvo qui a su se détacher de son image mi-généraliste, mi-Premium pour adopter une vraie politique au niveau de l'identité de marque, de l'image, de la communication. Nous avons été impressionnés par le dynamisme de cette marque.
JA. Envisagez-vous de créer des concessions ?
AD. Je ne suis pas un créateur. Je sais transformer un projet en une entreprise pérenne - et encore cela se confirmera si mon groupe est toujours là "dans 25 ans". Je suis à l'affût d'idées originales, et j'interviens dans ce cas pour les développer, les optimiser, les pérenniser… En clair, transformer des équipes compétentes en équipes performantes…
JA. Dans quelle voiture roulez-vous ?
AD.Je roule soit en Jaguar, soit en Land Rover, soit en Volvo… mais peut-être dans d'autres marques demain…
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