Affaire Midi Auto - PSA : la justice se penche sur les pratiques commerciales des plateformes de PSA Retail
Depuis novembre 2018, un bras de fer juridique s’est installé entre les groupes Midi Auto et PSA. Le constructeur a en effet résilié la plateforme de distribution de pièces de rechange MA Pièces Auto Bretagne, appartenant au groupe de distribution, pour violation du contrat de distributeur officiel de pièces de rechange. La plateforme agréée a, en effet, vendu des pièces de rechange PSA à l'une des filiales du groupe Midi Auto, la société Autopuzz, distributeur et réparateur indépendant.
Journal de l'Automobile. Où en est-on de la procédure qui a vu plusieurs décisions contradictoires, jusqu’à la dernière, celle de la cour d’appel de Rennes, qui confirme la résiliation de la plateforme par PSA ?
Me Renaud Bertin. La résiliation est intervenue en novembre 2018 et la cour d’appel de Paris, approuvée en cela par la Cour de cassation, a estimé qu’il n’appartenait pas au juge des référés d’en neutraliser les effets. Elle a donc confirmé la résiliation du contrat, contrairement à ce que le président du tribunal de commerce de Paris avait estimé en condamnant Automobiles Citroën à en poursuivre l’exécution. Et ce, jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué au fond sur la validité de cette résiliation. Cette question est actuellement soumise à l’appréciation du tribunal de commerce de Paris, dans le cadre d’une procédure en attente sur le fond. L’arrêt de la cour de Rennes est actuellement soumis à la censure de la Cour de cassation pour, notamment, violation du principe du contradictoire ; il n’est donc à ce jour nullement définitif.
J.A. En parallèle de cette procédure, vous avez entrepris de solliciter des mesures d’instruction au nom de la société Midi Auto et d’Euromotor (distributeur indépendant de pièces de rechange en Europe). Quels étaient les objectifs ?
R.B. Dans le cadre d’une procédure totalement distincte et indépendante, la société Holding Midi Auto et une société Euromotor ont obtenu, le 7 novembre 2019, une ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris les autorisant à saisir au sein de 7 points de vente distributeurs (Dopra) de PSA Retail France la totalité des factures de vente de pièces de rechange d’origine PSA depuis juin 2017 à des revendeurs hors réseau non réparateurs indépendants. Chacune de ces reventes contrevenant à l’interdiction de revente à des revendeurs parallèles, prévue à l’article VI des contrats de Dopra conclus par PSA Retail France.
Or, c’est sur ce même fondement et grief que PSA avait résilié le contrat de la plateforme MA Pièces Auto Bretagne pour avoir revendu des pièces de rechange à une autre société du groupe Midi Auto, la société Autopuzz,qui, bien que réparateur indépendant en droit de s’approvisionner en pièces d’origine, n’appartenait pas au réseau officiel de Dopra (distributeurs de pièces de PSA).
Il est bien évident que s’il venait à être démontré que PSA interdit à ses distributeurs indépendants ce qu’elle autorise à sa filiale de distribution PSA Retail France, les répercussions de telles pratiques illicites et scandaleuses seraient colossales pour PSA tant au niveau national qu’européen.
En effet, cela signifierait que PSA détourne à son profit les règles de la distribution sélective lui permettant d’inclure dans ses contrats des clauses faisant interdiction à ses distributeurs d’approvisionner le marché parallèle des revendeurs hors réseaux. En ne sanctionnant que ses seuls distributeurs privés (indépendants) tout en permettant à sa filiale de distribution PSA Retail France de violer cette interdiction, PSA se rendrait ainsi coupable de pratiques lourdement anticoncurrentielles en violation des droits de la concurrence français et européen. Cela signifierait que PSA réserverait à sa filiale PSA Retail le monopole de l’approvisionnement du marché parallèle des revendeurs hors réseau, tout en privant indument ses investisseurs privés de l’accès à ce marché.
Au-delà de devoir répondre aux demandes de réparation du préjudice ainsi causé à ses distributeurs, PSA pourrait encourir les poursuites de l’Autorité de la concurrence française et de la commission européenne avec un risque de condamnation à de très lourdes amendes.
J.A. Où en est-on de la procédure ?
R.B. PSA, PSA Retail France et cinq de ses filiales Dopra ainsi qu’Automobiles Peugeot et Automobiles Citroën, ont saisi le Tribunal de commerce de Paris d’une demande de rétractation de l’ordonnance du 7 novembre 2019.
Mais par décision du 4 septembre 2020, cette juridiction a intégralement débouté les sociétés du groupe PSA de leurs demandes de nullité et de rétractation auxquelles nous n’avions pas manqué de nous opposer pour des motifs retenus par les magistrats consulaires. Ce jugement, particulièrement motivé, constate sans ambiguïté l’extrême gravité des agissements du groupe PSA dans cette affaire, ainsi qu’en attestent certains de ces motifs. Le président du Tribunal de commerce de Paris indique en effet dans son ordonnance :
« Selon le principe constitutionnel de libre concurrence, toute infraction caractérise une grave violation de l’ordre économique au préjudice des consommateurs et des opérateurs économiques y évoluant…Nous retenons que si un procès devait être au fond intenté…celui-ci reposera sur des faits, dont l’ampleur reste à démontrer, de nature délictuelle qui sont susceptibles de causer un préjudice à tout opérateur économique évoluant sur le marché des pièces détachées automobiles de marque Peugeot Citroën […] Qu’il s’infère des faits et éléments discutés à l’audience que de nombreuses manœuvres de préposés de PSA sont intervenues à l’encontre des témoins, personnes physiques ou morale ayant apporté leur concours à HMA et Euromotor […] Nous retenons que les trois lettres « Gge » dont il n’est pas discuté qu’il s’agit de l’abréviation du mot « garage », laissent à penser que PSA cherche à modifier l’activité apparente de certains clients qui ne sont notoirement pas des garages, PSA ne pouvant soutenir que le terme « garage » est justifié pour qualifier des sociétés dont la dénomination ne correspond en rien à cette activité, comme par exemple « Pièces discounts » ou « Destock pièces auto »
[…] Nous relevons qu’en contradiction avec ses déclarations au cours de l’audience, le conseil de PSA a refusé toute levée des pièces séquestrées, fusse-t-elle partielle…
[…] que la caractérisation des infractions au droit de la concurrence, apportée a minima au soutien de la requête, sont susceptibles de nuire gravement à l’ordre économique et au droit de la concurrence, qui est un droit fondamental européen ».
J.A. Les factures de PSA Retail saisies sur ordonnance permettent-elles de le prouver ?
R.B. Le tribunal a admis que la preuve de ces pratiques illicites imputables au groupe PSA était d’ores et déjà rapportée « a minima » par les éléments en notre possession. Reste à en déterminer l’ampleur exacte, ce qui sera chose faite lors de la levée du séquestre des factures appréhendées par l’huissier.
J.A. Ces pièces, mises sous séquestre, vont-elles être "libérées" par la justice ?
R.B. PSA a 15 jours pour faire appel. Passé ce délai nous solliciterons la levée du séquestre. Cependant, PSA peut interjeter appel de la décision du Tribunal, ce qui apparait risqué, car on peut raisonnablement penser qu’elle sera confirmée vu la qualité et la précision de sa motivation.
J.A. Toutes les précédentes étapes juridiques se sont pour l'instant restreintes à des procédures sur la forme. Peut-on imaginer dans les prochains mois un procès sur le fond de l'affaire : à savoir la pratique restrictive de concurrence et la violation de la clause d'étanchéité des réseaux de distribution ?
R.B. Bien sûr. Les agissements illicites, dissimulés du groupe PSA pourraient même sonner le glas de toute restriction au libre commerce de la pièce de rechange. Tout distributeur victime pourra saisir les juges du fond ainsi que les autorités nationale et européenne de la concurrence.