Véhicules de haute protection : Sous une bonne étoile
...Stuttgart, 9 h. Tels des chefs d'Etat ou des hommes d'affaires, cinq Mercedes noires nous attendent pour poursuivre notre voyage vers Sindelfingen: un Classe G, une Classe E et trois Classe S. De prime abord, rien de particulier, mais le simple fait de fermer une porte nous renseigne vite. Il s'agit en fait de la gamme Mercedes Guard, les véhicules blindés. Une tradition chez Mercedes-Benz. En effet, le constructeur germanique offre de telles prestations depuis 77 ans! La première étoile blindée, ou de haute protection, est apparue en 1928 sur la 460 Nürburg (voir tableau). Depuis ce temps, l'offre ne s'est jamais tarie. Si la 770 K restera dans l'histoire comme la voiture de protection des têtes couronnées de l'avant guerre, la 600 blindée commercialisée de 1964 à 1981 marquera la deuxième partie du siècle. Cependant, la gamme Mercedes Guard ne s'est pas limitée longtemps à la 600 car, dès 1970 et jusqu'aujourd'hui, les chefs d'Etat, diplomates, trafiquants mais aussi grands patrons et autres Pop stars ont eu le choix. En 2005, la Classe E, la Classe S,le Classe G et même la Maybach 62 peuvent ainsi suivre une petite cure de kevlar ou d'acier, selon le degré de protection choisi.
Un marché florissant et top secret
Un marché florissant, selon Mercedes. Mais impossible d'en savoir plus. La non-divulgation des chiffres de production fait partie intégrante du concept de sécurité. En effet, au-delà du travail quasi artisanal de construction, la sécurité passe aussi par la discrétion. Et, pour Mercedes, cela se traduit par une grande difficulté à différencier, d'un rapide coup d'œil, une version Guard d'une version classique. Pour en revenir au marché, la seule indication que nous ayons est la répartition planétaire. En effet, chaque continent a ses spécificités et les demandes de protection varient (voir encadré). Ainsi, le niveau B4 domine le mix sud-américain alors que le niveau B6/B7 est plus prisé en Europe, aux Etats-Unis, en Russie et au Moyen-Orient. Revenons sur le concept. Si la discrétion en est l'un des pans, l'intégration des différentes protections et blindages dès la construction du véhicule en sont les autres. En effet, pour Mercedes, une protection a posteriori ne peut avoir la même efficacité. Une affirmation qui a donc conduit le constructeur à mettre en place une ligne de production dédiée à sa gamme Guard sur le site de Sindelfingen (Classe E et S, le Classe G étant produit en Autriche).
Des voitures faites à la main
Avant d'arriver sur la ligne d'assemblage final, juste à côté de celle des Maybach, les Guards suivent un parcours véritablement particulier. Ce sont des voitures littéralement construites et non simplement assemblées comme l'est une production classique. Une Mercedes blindée est quasiment faite à la main. Impossible de dénicher un robot durant toute la visite, l'ensemble des pièces du blindage (en acier de 8 mm) est réalisé avec des presses manuelles actionnées par la fine fleur des ouvriers du site allemand. Cent vingt, exactement, triés sur le volet. Une main-d'œuvre hautement qualifiée qui met pas moins de 1 000 heures pour construire une Classe S haute protection B6/B7. Le travail commence par la découpe des pièces dans un acier balistique spécifique à Mercedes. Au sujet des matériaux, le porte-parole de la marque affirme "qu'il y a une veille permanente sur les nouvelles technologies susceptibles de venir un jour déloger l'acier mais que, pour l'heure, il n'existe rien de mieux". Et pour découper ce précieux métal, Mercedes utilise de l'eau. En effet, un simple jet d'eau vient à bout d'un acier qui pulvérise les balles. L'explication : 4000 bars de pression! Le laser ou le chalumeau ont été écartés car, "avec la chaleur, la structure moléculaire se modifie de manière aléatoire", confie un technicien de la marque. Et les aléas ne sont pas compatibles avec la haute protection. Ensuite, chaque morceau d'acier va trouver sa forme grâce à des presses hydrauliques à main car, actuellement, aucune presse n'est assez puissante pour former entièrement la pièce. Un travail long, certaines pouvant demander deux heures de mise en forme, mais indispensable à la qualité finale. Pour avoir une idée du travail colossal que fournissent les ouvriers du site, précisons qu'un cadre de porte blindé est composé de 15 pièces qui seront soudées une à une. Puisque l'on évoque les portes, une parenthèse chiffrée s'impose. Une porte de Classe S B6/B7 pèse environ 140 kg, dont près de 40 kg pour la glace latérale! Cette dernière, d'une largeur pouvant aller de 40 à 55 mm, est constituée de quatre épaisseurs de verre où est intercalé un film plastique avec, pour finir, côté intérieur, une couche de polycarbonate évitant les éclats. Une technique également utilisée pour le pare-brise qui pèse à lui seul également 140 kg et demande la bagatelle de 10 000 dollars pour un remplacement. Fin de la parenthèse verre, reprenons le fil de notre construction. Nos pièces d'acier une fois formées subissent une séance de trempage avant de trouver leur place sur la caisse.
Tout est recalibré pour supporter le poids d'une telle protection
Nous ne pouvons même pas parler de caisse nue, mais d'une simple structure, d'un squelette de caisse qui va s'alourdir au fil des postes. Le plancher, le tunnel de transmission, la partie arrière du compartiment moteur, rien n'est oublié. Même le bas de caisse et le pied milieu sont blindés. C'est là où Mercedes affirme faire mieux que des entreprises qui travaillent a posteriori, car les ouvriers rajoutent le blindage directement dans la structure avant de venir souder le côté de caisse. Un parcours à forte teneur en fer qui va faire prendre environ 400 kg à une Classe E B4 et 1 400 kg à une Classe S B6/B7! Imaginez une Classe S qui avale une Classe C! Mais la prise de poids peut être encore plus importante si, comme nous avons eu la chance de le voir tant ces commandes sont rares, la haute protection jette son dévolu sur une S 600 Pullman. Une fois la caisse blindée et passée en cataphorèse et peinture, l'assemblage final débute par un réservoir à carburant un peu particulier. En effet, sur la plus haute protection, le réservoir est entouré d'une matière spéciale qui évite l'explosion de ce dernier. Imaginons qu'une balle ait réussi à se frayer un chemin jusqu'ici, le réservoir laisse entrer la balle, mais la matière qui le recouvre viendra immédiatement combler le trou afin d'éviter toute fuite et surtout empêcher l'oxygène d'entrer pour éviter l'explosion. Et des astuces, la voiture en recèle. Un système d'extincteur sous la voiture peut également être de la partie comme un circuit d'oxygène fermé qui alimenterait l'habitacle en cas d'une attaque au gaz. Ensuite, après le passage des différents faisceaux, les trains roulants et organes mécaniques viennent prendre leur place. Si les mécaniques sont similaires aux versions de série, les trains roulants, eux, sont modifiés. Les bras de suspensions sont plus massifs, abandonnant l'aluminium pour l'acier, le différentiel et les 1/2 arbres sont revus, les amortisseurs s'hypertrophient, et les disques de freins et les étriers n'échappent pas, eux non plus, à cette redéfinition. Tout est recalibré pour supporter le nouveau poids de l'ensemble. Même les pneus, des Michelin, sont particuliers, avec une variante Guard du Pax System. Une Mercedes Guard vous tente ? Vous pouvez la commander dans le réseau, affirme le constructeur. Il faudra alors patienter entre 3 et 5 mois car elles sont principalement construites sur commande. Il est toutefois possible d'en avoir une plus rapidement car Mercedes dispose d'un petit stock de courtoisie. En effet, afin de proposer un service après-vente de qualité, et surtout de pouvoir livrer un client rapidement dans le cas où sa Mercedes Guard aurait disparu ou été détruite. Ce fut par exemple le cas de Jürgen Schrempp, le patron de DaimlerChrysler, qui s'était fait dérober sa berline blindée. Reste à évoquer le prix. Il faut compter au minimum 61000 euros pour une Classe E B4. Le maximum est plus difficile à définir. Il y a effectivement un prix catalogue (voir tableau), mais le client est roi. Cependant, une chose est sûre, que vous choisissiez une Classe E, S ou G, en protection B4 ou B6/B7, le prix catalogue se borne à totaliser les modifications. La base, la voiture de série, doit y être ajoutée !
Christophe Jaussaud
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