Thierry Metroz, responsable du style Renault.
...nous livre par conséquent une approche très subtile, en contre-point, du travail de son ami.
Journal de l'Automobile. Je crois savoir que vous connaissez Jean-Pierre Ploué depuis très longtemps, depuis quand exactement ?
Thierry Metroz. Nous nous connaissons depuis que nous avons quinze ans, depuis la seconde en fait ! Et puis, nous avons fait le même parcours, les mêmes études dans la même école. D'ailleurs, lorsque nous sommes arrivés à Paris, nous vivions ensemble, en coloc. Nous avons aussi débuté tous les deux chez Renault, avant que nos chemins professionnels ne se séparent.
JA. Vous devez avoir beaucoup de choses à dire, mais comment définiriez-vous Jean-Pierre Ploué en quelques mots ?
tM. La marque de fabrique de Jean-Pierre, c'est sa spontanéité ! Elle ne la quitte jamais. Il fait toujours preuve de dynamisme et d'une joie de vivre très agréable. D'ailleurs, dans son travail, il est sempiternellement à la recherche de choses fraîches et nouvelles. On le retrouve chez Citroën aujourd'hui et à mon sens, le concept-car C-Cactus en est une parfaite illustration.
JA. Il est aussi à la tête de près de 200 stylistes : manage-t-il aussi les hommes avec spontanéité ?
tM. Tout à fait, il sait manager efficacement avec une grande humanité, en privilégiant la proximité avec les équipes. Et ce n'est pas un vain mot : il travaille vraiment avec eux, il est sur le terrain et partage sa vision et son enthousiasme en permanence. De surcroît, il a la capacité et la générosité de savoir valoriser ses équipes. Chez Citroën, il n'hésite à mettre "ses" designers en avant : on les voit en première ligne sur les salons, dans la presse, etc.
JA. Parallèlement à cette spontanéité, beaucoup de gens soulignent aussi la force de ses convictions, qu'en pensez-vous ?
tM. C'est tout à fait exact. Il a des idées directrices et il sait toujours où il va. Je trouve d'ailleurs qu'on le ressent en voyant le résultat de son travail. Sur la première Clio par exemple, projet sur lequel nous travaillions ensemble, il était focalisé sur le côté rempli, généreux qu'il voulait donner à toutes les surfaces. On retrouve aussi cela, des formes remplies, pleines, sur Argos même si le produit est plus empreint de robustesse.
JA. Cela renvoie au fait qu'il fait souvent référence aux formes de la nature, n'est-ce pas ?
tM. Oui, sans doute. Il aime effectivement les formes douces et sait les manier pour aboutir à des résultats toujours accueillants. On peut faire un parallèle avec le bio-design.
JA. Jean-Pierre Ploué est aussi quelqu'un de très actif, presque hyperactif disent certains, est-ce qu'il est aussi stressé ?
tM. Je ne sais pas si c'est le mot qui convient vraiment. Vous savez, dans notre métier, nous mettons beaucoup d'émotion dans nos réalisations. Nous mettons aussi beaucoup de nous-mêmes et l'investissement est très personnel. Donc, cela génère forcément du stress, même si le mot me dérange. Nous prenons toujours les critiques à titre personnel, même celles de la presse. On peut dire que la plupart des designers sont des hypersensibles. Mais en général et pour Jean-Pierre en particulier, je parlerais plus volontiers de trac. Oui, le trac plus que le stress. Comme les artistes avant de monter sur scène pour leur représentation, vous savez, cette fameuse boule au ventre.
JA. Jean-Pierre Ploué fait peu référence à des mentors, sauf un professeur de dessin au lycée, vous souvenez-vous de lui ?
tM. Tout à fait, c'était notre professeur de dessin en Première et en Terminale, Monsieur Girard, qui est malheureusement décédé aujourd'hui. Pour moi aussi, il s'agit de la personne qui a le plus compté. Il nous a appris bien plus que le dessin à proprement parler, même si nous avons passé des nuits blanches avec lui pour appréhender les différentes techniques de dessin, de rendu, etc. Il nous a transmis des valeurs précieuses, comme l'amour de la perfection et le goût du travail. J'irais même plus loin, la nécessité de beaucoup travailler pour exprimer son talent. Par ailleurs, il y a quand même d'autres personnes qui ont compté. Notamment Patrick Le Quément, un grand parton de design qui nous a fait confiance au début et qui a su détecter que ce que nous faisions recelaient des éléments intéressants. Et puis, je citerais encore Jean-François Venet qui, dans le studio Renault de la rue du port, nous a appris le métier en tant que tel, du dessin à la maquette.
JA. Jean-Pierre Ploué dit se méfier du dessin et des dérives qu'il peut entraîner, qu'en pensez-vous ?
tM. Tout d'abord, il faut souligner que Jean-Pierre dessinait très, très bien. On se tirait la bourre tous les deux sur les dessins chez Renault. Il expérimentait souvent des techniques nouvelles et c'était une référence en interne. Mais je comprends ce qu'il veut dire, car au fond, il a toujours privilégié le volume, ou encore le toucher de la matière. Entre guillemets, on peut dire que Jean-Pierre a un côté manuel, ce qui est d'ailleurs l'une de ses grandes qualités.
JA. Quel jugement portez-vous sur son travail chez Citroën ?
tM. Je trouve que ce qu'il fait aujourd'hui chez Citroën est formidable. Vraiment. En plus, c'est complexe, dans la mesure où il s'agit d'un travail de fond destiné à renouveler intégralement une marque et son image. C'est d'autant plus remarquable qu'il est parti d'une feuille blanche…
JA. Comment et où l'imaginez-vous dans dix ans ?
tM. Je ne sais pas… On peut toujours changer de constructeur et repartir sur un nouveau challenge. Ou alors, dans un cadre PSA, il pourrait prendre une fonction de superviseur des deux marques. Je ne sais pas… Mais même s'il a déjà atteint des sommets chez Citroën, je sais qu'il a encore de grandes ambitions pour cette marque qui peuvent l'occuper longtemps.
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