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Constructeurs

Renault : Espoirs et tremblements

Publié le 25 mars 2005

Par Tanguy Merrien
8 min de lecture
Carlos Ghosn revient à Boulogne-Billancourt tout auréolé de ses succès obtenus au Japon avec Nissan. Mais il arrive cette fois-ci à la tête de l'Alliance, il deviendra officiellement le grand patron de Renault le 29 avril, précédé d'une redoutable réputation de cost-killer. Si beaucoup espèrent...

...qu'il parviendra à faire enfin décoller les ventes de Renault, d'autres attendent de connaître sa stratégie et ses premières décisions avec une certaine appréhension.


"Une main de fer dans un gant d'acier." C'est ainsi qu'est défini Carlos Ghosn par un fin connaisseur de la chose automobile. Il semblerait que celui qui est devenu en l'espace de quelques années une véritable icône du capitalisme nippon soit attendu avec une certaine appréhension par beaucoup à Boulogne-Billancourt, au siège de Renault. A compter du 29 avril, le redresseur de Nissan prendra les rênes du constructeur français tout en demeurant le grand patron de la firme japonaise. Pour nombre de salariés, il a laissé de son premier passage chez Renault l'image d'un redoutable cost-killer. Certains se souviennent aussi de son rôle déterminant dans la prise de décision de la fermeture de l'usine belge de Vilvorde en 1997. D'autres évoquent la rudesse, certes efficace, de sa stratégie pour sortir Nissan, à partir de 1999, du gouffre dans lequel se trouvait plongé l'un des fleurons de l'économie japonaise. Il est vrai que le sauvetage de la firme nippone s'est fait au prix de quelque 23 000 suppressions d'emploi, de la vente d'une multitude de filiales et de la fragilisation de tout un tissu de fournisseurs. Tous pourtant reconnaissent ses qualités de gestionnaire. Ces qualités incontestés et incontestables suffiront-elles à manœuvrer avec succès ce paquebot qu'est l'entreprise Renault-Nissan ? Pourquoi l'homme suscite-t-il des craintes ou appréhensions, en tout cas des interrogations ? En premier lieu, il semble évident que le style même de management devrait radicalement changer. Alors que Louis Schweitzer incarnait à merveille le consensus et la courtoisie, Carlos Ghosn se veut avant tout pragmatique et efficace. Bref, ça passe ou ça casse. "Sa façon de manager consiste à identifier les problèmes et à créer des groupes de travail transversaux, comprenant les personnes qualifiées pour traiter le problème. Ils ont un objectif de temps pour résoudre les difficultés. Il n'y a pas d'échappatoire", souligne Michel Freyssenet, directeur de recherche au CNRS et codirecteur du Gerpisa, le groupe d'étude et de recherche permanent sur l'industrie automobile et ses salariés (1). Des groupes de travail qui, souvent, court-circuitent les hiérarchies. Un réconfort pour ses subordonnés : la pression qu'il leur impose, il se l'impose également à lui-même. Au Japon, il a d'ailleurs été surnommé "seven eleven", pour sept heures - vingt-trois heures, ce qui correspond à ses horaires de travail.

Des ventes en stagnation sur une longue période

Savoir si cet adepte de la courbe ascendante et des objectifs à atteindre coûte que coûte va se contenter, voire supporter, la croissance étale, ou presque, des ventes de Renault depuis 1998 est un des autres sujets d'interrogation qui planent aujourd'hui à la direction de Renault. Sur les sept dernières années, de 1998 à 2004, les ventes mondiales (VP et VU) de la marque française sont passées de 2,2 à 2,3 millions d'unités, soit une bien chétive progression de 100 000 véhicules. Notons que, sur la même période, les ventes du groupe PSA ont augmenté d'environ un million d'unités, soit dix fois plus. Ce dur constat statistique doit certes être tempéré par les bons résultats financiers du constructeur au losange, en particulier en 2004. L'an dernier, la firme de Boulogne-Billancourt a réalisé un résultat net d'un peu plus de 3,5 milliards d'euros grâce, il est vrai, à une contribution de Nissan de 2,2 milliards d'euros, l'équivalent de 62 % du bénéfice global. Il reste que les ventes connaissent une vraie stagnation sur une longue période. Pour remédier à cette situation, Carlos Ghosn est-il l'homme de la situation ? Patrick Chiron, directeur du pôle automobile du cabinet de consultants Eurostaf, s'interroge : "Le problème de Carlos Ghosn est qu'il ne s'est jamais montré un grand développeur de ventes. Il a surtout redressé des entreprises alors qu'il va se retrouver à la tête d'une structure saine qu'il faut justement développer. Il ne se retrouve plus seulement dans le rôle de cost-killer. Est-ce qu'il sait faire autre chose ? Est-ce qu'il sait prendre des risques ?" Patrick Chiron rappelle que, certes, Carlos Ghosn a réussi à accroître très sensiblement le volume des ventes de Nissan aux Etats-Unis, mais qu'il n'a fait en l'occurrence que suivre la stratégie initiée par Toyota sur ce marché.

Un déplacement du pouvoir vers Nissan ?

"Avec son passé, Carlos Ghosn aura certainement une vision beaucoup plus internationale des choses. Il est probable que pour lui les grands enjeux soient les Etats-Unis et l'Asie, notamment la Chine", estime pour sa part Pierrick Vitiello, directeur associé chez Charles Riley Consultants international. Le fait que Carlos Ghosn prenne directement sous sa coupe le marché américain est un indice fort quant à sa probable préoccupation de développer les nouveaux marchés. Le monde est sans doute davantage un village pour lui que pour Louis Schweitzer. En prenant cette grille de lecture, Pierrick Vitiello suggère que, par exemple, le marché chinois pour les deux marques de l'Alliance serait plus facile à gérer depuis le Japon que depuis la France, les différences culturelles se révélant moins marquées. Une partie plus importante de véhicules pourrait également être assemblée en Asie, pour des raisons de coût et de proximité de marché. Cette logique pourrait conduire à un déplacement du pouvoir et de la prise de décision, au sein de l'Alliance, de Renault vers Nissan. Voici aussi un motif d'inquiétude de certains au siège de Renault. Michel Freyssenet pointe par ailleurs un paradoxe dans la stratégie de l'Alliance qui risque de poser quelques difficultés au futur président de la direction générale de Renault. "L'Alliance a été entièrement fondée sur le principe d'économie d'échelle et de plate-forme commune, alors qu'aujourd'hui l'essentiel des bénéfices des deux marques provient de véhicules qui ne partagent que peu de pièces communes, analyse-t-il. Il s'agit des monospaces chez Renault et des 4x4 chez Nissan." Il note aussi "les grandes difficultés qu'ont connues les deux marques à élaborer des plates-formes communes, avec des incompréhensions très fortes". En d'autres termes, une intégration très poussée des deux constructeurs va s'avérer sans doute difficile. Encore faut-il s'interroger sur le fait de savoir si elle est véritablement souhaitée par Carlos Ghosn. Certains experts, comme Patrick Chiron, imaginent pourtant comme probable une évolution des structures de l'Alliance vers un modèle à la PSA, c'est-à-dire un constructeur qui gère deux marques. Patrick Chiron souligne toutefois que les différences culturelles, fort prégnantes, et l'éloignement géographique des deux sièges s'avéreront sans doute difficiles à surmonter à court ou moyen terme.


Cyril André

(1) Dernier ouvrage paru : "Les modèles productifs", éd. La Découverte.





ZOOM

L'Alliance vue par Carlos Ghosn

"C'est une nouvelle page de l'histoire de Nissan qui va s'ouvrir à partir du mois d'avril", a assuré Carlos Ghosn lors d'une conférence de presse qu'il a récemment tenue à Tokyo. Une nouvelle page pour Nissan, mais aussi sans doute pour Renault. Sans révéler les stratégies de fond qu'il compte à plus ou moins brève échéance mettre en œuvre, il a donné quelques indications sur le fonctionnement futur des deux constructeurs. "Renault et Nissan sont partenaires, nous l'avons dit depuis le départ. Renault dirige Renault, Nissan dirige Nissan, et nous travaillons ensemble pour développer des synergies. Personne ne peut dire que Nissan a été dirigé depuis Paris. Il n'y a pas de raison de changer cela pour le moment", a assuré Carlos Ghosn. Ce dernier a tenu à préciser que "les décisions concernant Nissan ne seront pas prises à Paris et les décisions concernant Renault ne seront pas prises à Tokyo. Cela n'a jamais été le cas en six ans, ça ne changera pas à l'avenir". Le grand patron de l'Alliance a précisé qu'il comptait passer 40 % de son temps à Paris chez Renault, 40 % à Tokyo pour Nissan et les 20 % restants aux Etats-Unis, en Europe de l'Est, en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud.


 





ZOOM

La nouvelle structure de Renault

La nouvelle organisation à la tête de l'Alliance a nécessité la modification du règlement intérieur de Renault afin de permettre la dissociation des pouvoirs du président-directeur général de ceux du président du conseil d'administration. Ce dernier, qui sera Louis Schweitzer à partir du 29 avril, a pour mission de veiller à l'établissement et à l'application des principes du gouvernement d'entreprise. Il organise et dirige les travaux du conseil d'administration, et en rend compte à l'assemblée générale. Carlos Ghosn, tout en restant P-dg de Nissan, prend la présidence de la direction générale de Renault, ce qui implique qu'il élabore et propose au conseil d'administration la stratégie du constructeur et qu'il est responsable de sa mise en œuvre. "Il dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société", précise la firme de Boulogne-Billancourt dans un communiqué. De plus, deux comités distincts ont été créés, l'un étant chargé des nominations et de la gouvernance, et l'autre des rémunérations.

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