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Constructeurs

Quel avenir pour l’industrie automobile ?

Publié le 27 avril 2012

Par La Rédaction
15 min de lecture
L’industrie automobile a plus d’un siècle et pourtant elle n’est pas totalement mûre. Elle connaît aujourd’hui de profondes évolutions, tant sur le plan technologique que dans les dynamiques commerciales. Qui seront les gagnants, qui seront les perdants ?
Claude Satinet, ancien directeur général, Citroën.

Dans le domaine automobile comme dans d’autres il n’y a pas de vie possible sans client, il faut en attirer le plus grand nombre possible et tirer de chacun le meilleur revenu. Dans cette optique plusieurs facteurs importent : la qualité du réseau, la communication, l’image. Mais l’élément déterminant est le produit ; sa définition relève entièrement de décisions internes de chaque constructeur.

La dynamique de l’offre

L’offre est désormais si abondante que chaque client s’attend à trouver une voiture correspondant exactement à son besoin du moment. Il n’est plus disposé à faire un compromis en achetant un véhicule polyvalent ; en outre il en possède souvent plusieurs, chacun destiné à un usage particulier, avec des besoins spécifiques. Cette variété de l’offre est encore augmentée quand on tient compte des options qui laissent à chacun une certaine liberté de définition de son véhicule.

On trouve sur le marché des modèles ayant les mêmes caractéristiques vendus à des prix très différents. Ces écarts traduisent l’écart de valeur d’image des marques concernées. Si un constructeur, souhaitant avoir une proposition pour chaque besoin, essayait d’offrir tous ses modèles dans une seule marque le résultat serait illisible et serait également difficile à présenter par le vendeur ; c’est donc tout naturellement que l’offre des grands groupes est répartie entre plusieurs marques. Cela permet aussi d’offrir des produits objectivement équivalents à des prix différents si on réussit à construire des images de valeur différente.

Le meilleur exemple aujourd’hui est le groupe VAG. Sa stratégie lui a fait créer quatre niveaux de marques : luxe (Porsche, Bentley), Premium (Audi), généraliste (Volkswagen), agressives (Skoda ou Seat) qui sont présentées dans des réseaux différents. Chacune de ces marques peut avoir un grand nombre de modèles mais, dans une marque, ils sont cohérents : on peut justifier les écarts de prix par des différences de prestations ou d’équipements. Pour illustrer cette richesse d’offre, dans une marque comme Audi on trouve une ligne de berlines, une ligne de véhicules sportifs, une ligne de SUV, et quelques autres modèles encore.

En revanche, dans des marques différentes du groupe, il y a des modèles de prestations comparables avec des écarts de prix de 10 à 30 % : une Audi A4 est plus chère qu’une Volkswagen Passat, elle-même plus chère qu’une Skoda Superb pourtant plus grosse. Cet écart de prix est compris par les clients qui associent une valeur à chaque marque.

La présentation d’une offre cohérente en prix dans un showroom, par séparation des marques, peut paraître une évidence, et pourtant cette règle n’est pas toujours respectée. Renault avait décidé de développer sa marque low-cost Dacia en Europe de l’Est avec la Logan, d’une taille comparable à Mégane mais beaucoup moins chère. Excellente idée car, en Europe de l’Est, les points de vente respectaient bien la séparation des deux marques avec des showrooms différents, même si les vendeurs étaient communs. Mais quand Renault décide de commercialiser Logan en France il met ce véhicule dans le showroom Renault. Le premier effet est une déstabilisation des vendeurs qui sont habitués à la gamme Renault et ne savent pas ou ne peuvent pas traiter les clients : quand le client entre on ne sait pas s’il vient pour Renault ou Dacia et l’argumentation ne peut pas être la même ! Le résultat est connu : transfert des ventes de Renault vers Dacia dans un total (en part de marché) décroissant. Certains diront que l’état de la gamme de Renault a aidé ; c’est possible mais alors il fallait être encore plus vigilant. Renault a pris conscience, peut-être un peu tard, de son erreur et a reconverti récemment une partie de ses showrooms de véhicules d’occasion en showrooms Dacia pour revenir dans la règle.

Un autre cas intéressant est celui de Citroën visant la montée en gamme avec ses DSx évoquant le fameux modèle DS (1956-1973). La situation de Citroën, très fragile à la fin des années 90, s’est largement améliorée jusqu’en 2007 grâce à sa politique de produits. C’est à ce moment que, profitant du succès prévisible d’un futur modèle, ses dirigeants décident de se lancer dans la montée en gamme ; ils annoncent d’abord la création d’une nouvelle marque, DS (le premier modèle, DS3, ne porte aucune identification Citroën), puis ils le transforment en création de la ligne de produit DS. Ce revirement est probablement dû à la prise de conscience, tardive, que parler d’une marque sans réseau spécifique, sans structure commerciale dédiée, avec un modèle unique ne faisait pas très sérieux. Le résultat est l’introduction d’un modèle (DS3) comparativement plus cher que les autres dans le showroom de Citroën. Il fonctionne bien parce que le véhicule plaît, parce que la déclinaison du produit est séduisante, parce que tous les moyens de communication (y compris la compétition) ont été mis sur lui et parce qu’il n’y avait plus de modèle analogue dans la gamme de référence. La conséquence a été un résultat à peine moyen de la nouvelle C3 lancée au même moment dans une totale discrétion.

Le vrai résultat de la ligne DS se voit au niveau du deuxième modèle : DS4. Ce modèle n’a pas l’attrait naturel de DS3 et se trouve comparé au modèle C4 lancé (discrètement) presqu’en même temps. L’écart de prestations entre les deux ne justifie pas l’écart de prix. Les ventes de DS4 sont loin des objectifs sans que C4 en bénéficie. Il faut maintenant attendre les résultats du troisième modèle (DS5) pour savoir si Citroën réussira sa montée en gamme ; sinon la ligne DS rejoindra le monde des fausses bonnes idées.

La voie de la diversification

Pour un constructeur, un moyen évident de se développer est d’élargir sa gamme de produits. Il peut le faire en augmentant le nombre de modèles dans une de ses marques : la limitation apparaît au niveau de la taille des showrooms. Il peut aussi le faire en augmentant son portefeuille de marques, soit en leur donnant des positionnements prix différents (VAG) soit en les mettant en concurrence frontale (Peugeot-Citroën, Hyundai-Kia).

Mais un constructeur qui veut augmenter son portefeuille de marques ne doit pas oublier qu’il doit élargir en même temps son réseau de showrooms ; le groupe VAG l’a fait au milieu des années 80 en séparant Audi et Volkswagen. Une autre condition doit être respectée dans une stratégie d’élargissement de l’offre : c’est d’être capable de la financer ! En effet quand un constructeur introduit un modèle dans sa gamme il s’engage implicitement à le renouveler régulièrement, par exemple tous les sept ans.

L’élargissement de la gamme conduit donc naturellement à un accroissement des investissements pour la maintenir même si les stratégies de plateformes ou de modules modèrent ce besoin. C’est une décision lourde que de créer une nouvelle marque : comme il est très difficile de synchroniser la création d’un nouveau réseau avec la création de la gamme nécessaire pour le faire vivre on a besoin d’aider ce réseau en démarrage et c’est très coûteux ; c’est pour cela qu’on ne voit pas apparaître de nouvelles marques chez les grands acteurs. La solution la plus efficace est de racheter une marque existante avec son réseau et de basculer progressivement sa gamme dans l’univers technique du groupe d’arrivée.

Le processus inverse a été essayé par les constructeurs en difficulté tentés de réduire leurs investissements ou leurs coûts d’exploitation. Profitant de leurs difficultés, Fiat a racheté Lancia et Alfa Romeo pendant les années 80 et s’est retrouvé dans la même situation au début des années 90. Sa réaction a été de regrouper les trois marques dans un même réseau et de réduire le nombre de modèles de chaque marque. Le résultat a été une accélération du déclin, momentanément freiné par le lancement d’un modèle à succès : la Fiat 500. Il s’est plus récemment aventuré dans la reprise de Chrysler et dans un grand mélange de modèles et de marques sans faire d’investissement en produits nouveaux. Les marques Fiat et Lancia héritent de quelques modèles Chrysler, Chrysler se concentre sur Jeep, la Fiat 500 est lancée aux Etats-Unis, sans grand succès.

Le cas de Ford (surtout Europe) est encore plus révélateur. A la fin des années 80 Ford supprime ses modèles haut de gamme et rachète Jaguar en disant que les clients passeront chez Jaguar qui devra ainsi pouvoir augmenter ses volumes. En même temps Opel (GM) fait la même chose avec Saab. Le raisonnement était simple : ces modèles haut de gamme chez les généralistes ont des volumes faibles, les marges sont parfois négatives, on gagne donc en les supprimant ; en reportant ces volumes sur ceux de Jaguar (ou Saab), la marque Premium va gagner de l’argent au lieu d’en perdre, donc on gagnera sur les deux tableaux. On voit ainsi les deux Américains engloutir des fortunes dans leur marque Premium respective pour la développer en oubliant que rien n’obligeait un client Ford ne trouvant pas d’offre de grosse berline chez eux à aller chez Jaguar qui était dans un autre réseau et avec une densité plus faible. La plaisanterie a duré 15 ans, coûté des milliards de dollars jusqu’à la vente de Jaguar (repris par un Indien) et la disparition de Saab (sauf miracle chinois). Ces exemples illustrent combien la tentative de retour aux bénéfices par réduction simultanée de l’offre produit et du volume est un art difficile dans l’automobile !

Ruptures ­technologiques

Aux défis de la diversification s’ajoute un autre challenge, celui de la nécessaire accélération du développement technologique. Celle-ci procède de plusieurs sources.

La principale est la pression pour réduire la consommation de carburants fossiles, qui impose aux constructeurs de jouer à la fois sur la technologie des moteurs thermiques et leur combinaison avec des moteurs électriques et des batteries. Cette pression s’exerce à travers l’évolution des réglementations et des fiscalités mais aussi, en Europe, par l’obligation d’engagements “volontaires” pour chaque groupe. Chaque constructeur s’est engagé sur un calendrier de réduction des émissions de CO2 de son véhicule moyen vendu en Europe.

Les conséquences sont un raccourcissement de la durée de vie des solutions techniques, une hausse des coûts de R&D, une augmentation du coût des motorisations due à leur sophistication. Facteur aggravant, la maîtrise des techniques de contrôle moteur est maintenant concentrée chez trois ou quatre équipementiers spécialistes, certes concurrents, mais pas au point de ne pas faire porter la totalité des coûts par les constructeurs.

Pour ne pas accroître encore le coût des véhicules, la seule réponse est l’augmentation du volume annuel par type de moteur, soit par des coopérations avec des concurrents, soit par la croissance des parts de marché pour les plus forts ; en effet la rapidité de l’évolution des réglementations interdit la solution d’allongement des séries puisque les solutions sont rapidement obsolètes.

Jusqu’à maintenant la consommation de carburant (ou la production de CO2) était un facteur concurrentiel comme les autres mais les engagements volontaires s’accompagnent de niveaux de pénalités tels que le développement des véhicules très basse consommation (donc électriques) devient une nécessité économique pour les constructeurs même si ces véhicules sont vendus sans marge ou à perte. La probabilité de voir l’Europe renoncer à ses objectifs est faible même si l’abandon des normes en Californie incite à la prudence.

L’arrivée de ces véhicules très basse consommation (électriques purs ou hybrides à dominante électrique) va introduire une véritable rupture dans la conception. Un élément essentiel du véhicule électrique est son réservoir d’énergie : la batterie ; à la fois lourd et coûteux, il met en évidence une caractéristique qui n’intéressait personne : l’autonomie parce qu’elle était toujours suffisante.

Pour doter un véhicule thermique d’une autonomie supplémentaire de 100 km il suffit d’augmenter son réservoir de 10 litres ce qui est peu pénalisant en masse (quelques kilos) et en coût (quelques euros) alors que pour un véhicule électrique on est actuellement plus proche respectivement de 150 kg et 6 000 euros. La conséquence immédiate est la chasse à la consommation d’énergie électrique inutile.

Par exemple, le chauffage est gratuit en véhicule thermique puisqu’il faut refroidir le moteur et on a toujours un excès de calories. En contexte électrique on consomme de l’autonomie pour chauffer : il faut donc se demander si l’acier ou l’aluminium utilisé pour les carrosseries ne devrait pas être remplacé par des solutions plus isolantes.

L’habitude est aussi de faire les réductions de masse (à prestations constantes) pour autant que le surcoût soit compensable par l’économie de carburant, et on manipule des évolutions de quelques pourcents ; en véhicules électriques le coût de l’autonomie va baisser rapidement avec les volumes de production de batteries, mais le surpoids ne va pas évoluer (c’est de la physique) il faut donc le compenser en réduisant la masse ailleurs ; mais les besoins sont en centaines de kilos et non en kilos ! Ce n’est pas par hasard que BMW et Audi se lancent dans l’usage du carbone pour des productions de série alors que jusqu’ici c’était plutôt une technique réservée à la compétition. Ils réalisent des gains de masse de l’ordre de 300 kg.

Marchés jeunes, marchés matures

La situation mondiale n’est pas uniforme : il est plus intéressant de regarder par grandes zones géographiques. Pour simplifier j’en ai retenu deux, la Chine et l’Europe : elles sont à des stades différents de l’évolution et elles ont donc des futurs différents.

La Chine est l’exemple même du marché jeune : il est passé en onze ans de la taille du marché belge (500 000 v/an) au stade de premier marché du monde (10 millions). Les positions ne sont pas figées et les besoins restent énormes. Le souhait des pouvoirs publics est de favoriser le développement des constructeurs chinois et d’accroître le rôle de la partie chinoise dans les co-entreprises qui dominent le marché. Les parties non-chinoises maintiennent leur influence parce qu’elles apportent la technologie et une bonne partie de l’offre commerciale soit par la transposition de modèles développés ailleurs soit par l’assistance technique pour le développement de modèles spécifiques.

L’examen de ces modèles spécifiques Chine dans les co-entreprises montre qu’il n’y a pratiquement plus de retard technique, au moins pour les constructeurs généralistes. Pour les véhicules électriques on est probablement dans la situation inverse : la Chine est en avance sur les batteries, compte tenu notamment de son expérience sur les vélos, et mieux placée pour imposer le lancement commercial.

Les toutes prochaines années devraient être animées sur ce marché : concentration des constructeurs chinois, trop nombreux aujourd’hui ; barrières diverses à l’entrée de nouveaux constructeurs étrangers ; lancements massifs des véhicules électriques ; probable accroissement du pouvoir des partenaires chinois dans les co-entreprises à des degrés différents selon les cas.

Il y aura aussi un moment intéressant dans les statistiques. Aujourd’hui les productions des co-entreprises (en général 50/50) sont comptées à 100 % dans les productions des partenaires non-chinois. Cela n’a pas de raison de durer ; mais le basculement donnerait dès aujourd’hui une autre allure au classement des constructeurs mondiaux !

Le marché européen est mûr en termes de taille, mais il va aussi évoluer, notamment du fait de la pression technologique. Pour rester dans le possible économiquement il faudra disposer de volumes importants, notamment de moteurs, sur un nombre réduit de types. C’est automatique pour les plus gros constructeurs, plus difficile quand la taille diminue. La maîtrise des technologies, comme le carbone, pour l’allégement ne sera accessible qu’à certains constructeurs, notamment ceux qui ont aujourd’hui des gammes Premium établies, c’est-à-dire volume significatif et marge importante, permettant le démarrage de ces méthodes nouvelles.

S’ils ne trouvent pas très vite leur marché naturel, les véhicules électriques arriveront comme une nécessité pour permettre le respect des engagements volontaires par les constructeurs de véhicules à consommation élevée. Mais dans ce cas eux seuls seraient contraints au développement de ces technologies et donc en disposeraient pour le futur.

Tous ces facteurs entraîneront une réduction du nombre de constructeurs indépendants en Europe. Les mieux placés à ce jour sont les Allemands : VAG (premier constructeur européen, en croissance de volume et de marge, organisé pour croître encore plus notamment par sa gestion des marques) ; Daimler Benz (pour sa diversification hors automobile) ; BMW (pour sa rentabilité et la solidité de son actionnariat). Ford et Opel ne sont que la branche européenne de deux constructeurs américains, leur avenir se joue ailleurs. Restent trois interrogations.

Renault est totalement engagé dans l’Alliance. On voit bien dans cet univers l’avenir de Nissan et celui de Dacia, moins bien celui de Renault. Un élément intéressant à suivre est son rapprochement de Mercedes.

Pour Fiat, le point-clé a été franchi lors de la scission séparant l’automobile des autres actifs, permettant ainsi le rapprochement de la partie automobile avec Chrysler. Toutes les surprises sont possibles ; mais l’absence de développement de produits nouveaux est un signe très négatif. C’est plus un regroupement avec un autre partenaire qu’un développement autonome qu’il faut envisager.

PSA : question difficile ! Pour pouvoir survivre un constructeur doit gagner des parts de marché sur ses territoires-clé, assurer le renouvellement de son offre produit, être profitable dans ces conditions, avoir un actionnariat stable. Aujourd’hui PSA perd des parts de marché en Europe (source de sa marge) et fait des pertes. Jusqu’à maintenant il a renouvelé ses gammes mais seuls les initiés savent si ceci reste vrai pour les prochaines années. Quant à l’actionnariat familial, il a fait preuve d’une remarquable constance jusqu’à aujourd’hui.

Le volume actuel insuffisant et l’absence de perspective de croissance imposent au minimum des coopérations, probablement un rapprochement avec un autre partenaire. Comment réagira l’actionnariat familial demain quand il faudra, en même temps, déterminer une stratégie de rapprochement avec un autre constructeur et associer la génération suivante de la famille ? Seuls les intéressés pourraient répondre !

Claude Satinet, ancien directeur général, Citroën.

Copyright : Creative Commons - 13 février 2012

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