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Constructeurs

Patrick Chiron, directeur adjoint des études et du Conseil chez Eurostaf

Publié le 29 janvier 2010

Par David Paques
8 min de lecture
"L'année 2010 risque d'être bien plus mortelle que 2009"Avec son regard éclairé, Patrick Chiron revient sur une année 2009 en demi-teinte et jette ...
...un regard résolument obscur sur l'exercice à venir. Il décrypte pour nous quelles seront
les conséquences de la baisse des ventes et des profits annoncée sur le visage de la distribution hexagonale.

Journal de l'Automobile. Comment jugez-vous cette année 2009, par rapport à la situation au 1er janvier, notamment sur la trésorerie des distributeurs ?
Patrick Chiron. En 2009, les distributeurs ont vécu deux périodes bien distinctes. Le premier semestre a été catastrophique avec des baisses de ventes de 20 à 30 %. Et malgré un redémarrage vers mai-juin, la quasi-totalité des réseaux était en perte. Ensuite, nous avons eu une flambée sur le 2e semestre. Ce qui a permis à tout le monde de limiter la casse. Au final, si le niveau des ventes est en augmentation, je pense que les ratios de rentabilité vont tout de même être en baisse de 20 % par rapport à 2008. Un exercice durant lequel les distributeurs avaient déjà vu leur résultat net baisser en moyenne de 50 %. La profitabilité moyenne du chiffre d'affaires, en 2008, était aux alentours de 0,6 à 0,7 %. A fin 2009, nous devrions davantage flirter avec les 0,5 %.

JA. Comment voyez-vous le marché évoluer cette année ?
PC. Je pense que le 1er trimestre va être bon. Notamment parce que la base 2009 est minable et que les différentes marques peuvent encore compter sur un niveau de livraison intéressant. Nous clôturerons sans doute les trois premiers mois sur un rythme de + 4 ou + 5 %. Mais, à partir d'avril, je pense qu'il faut s'attendre à une chute des ventes de l'ordre de 15 à 20 %. Au mois de juin, nous devrions avoir un rush juste avant la fin de la prime à la casse. Ce qui permettrait de terminer le 2e trimestre sur un trend de - 5 %. Passé ce cap, nous retomberons sur une tendance à - 15 ou - 20 % sur le 2e semestre, avec peut-être même un effondrement de - 30 ou - 40 % sur le mois de décembre. Je pense que le 2e semestre 2010 pourrait être terrible. Ce que les distributeurs ont vécu entre octobre 2008 et mars 2009, ils pourraient le revivre sur les six derniers mois de l'année. Au final, le marché devrait terminer en retrait de 7 à 10 % en 2010.

JA. Quelles conséquences sont à prévoir pour la santé financière des réseaux ?
PC. Les distributeurs vont sans doute restaurer leur profitabilité sur le 1er semestre, mais ils vont plonger au second. Ce qui va leur faire mal, c'est qu'en 2009, ils ont à peu près tous touché leurs primes d'objectifs. Ce qui avait compensé les pertes financières du 1er semestre. D'ailleurs, sur 2009, avec moins de stocks, moins de dettes fournisseurs et cette santé relative des ventes, la baisse d'exploitation de 20 % dont nous parlons n'est pas si mauvaise. En 2010, la chute des ventes va conduire inévitablement à des difficultés. Un jour ou l'autre, nous aurons des faillites. Il y en a eu en Angleterre et en Allemagne. Il n'y a pas de raison que la France y échappe. Cette dégradation fait que certaines structures, notamment chez les grandes concessions, vont atteindre des taux d'endettement supérieurs à 100 %. Il y aura donc forcément de la casse.

JA. L'an dernier, il n'y a pourtant pas eu autant de dépôts de bilan qu'on aurait pu le penser. Est-ce désormais inéluctable ?
PC. Le marché n'était pas naturel dans la mesure où il était soutenu. Pour mémoire, à fin 2008, la plupart des marques affichaient des niveaux de stock dangereusement élevés. En 2009, les constructeurs avaient donc besoin de leurs points de vente pour écouler ces surstocks. Comme les constructeurs ont eu beaucoup d'aides gouvernementales, ils ont donc pu soutenir leurs réseaux. Sans ces aides, nous aurions eu, effectivement, un certain nombre de défections. Cette année, la situation n'est plus la même. Avec la baisse des ventes et la baisse des stocks, il est nettement moins sûr que les constructeurs remettent la main à la poche. L'année 2010 risque d'être bien plus mortelle que 2009 pour la distribution automobile. A moins d'un nouveau coup de main de l'Etat, des affaires fermeront.

JA. Comment cela va-t-il donc se traduire ?
PC. Dans un premier temps - ce qui se dessine déjà aujourd'hui - nous aurons des cessions de panneaux. Des groupes se sépareront de certaines marques. En fait, nous allons avoir des ventes par appartement. Des groupes vont mourir. En marge de cela, nous aurons les dépôts de bilan que nous n'avons pas eus l'an dernier. C'est sûr, des concessions vont fermer leurs portes. Alors que, depuis 2003, le nombre de points de vente était en croissance, nous devrions connaître, non pas une vague, mais un mouvement de fermetures que nous n'avons pas connu depuis longtemps. Nous pourrions terminer l'année avec 4 à 5 % de points de vente en moins. Du fait du marché et de la santé financière fragilisée des distributeurs, mais aussi parce que la nouvelle réglementation européenne arrive. Certains constructeurs vont casser des contrats. Dans un contexte de vente difficile, certains ne seront pas renouvelés. Ce sera facile d'écrémer. C'est évident.

JA. Vous êtes résolument pessimiste…
PC. Je n'ai pas d'éléments m'incitant à l'optimisme. Même si le commerce VN n'est pas l'activité la plus rentable dans une concession automobile, nous observons que la corrélation entre l'évolution des ventes et la santé des distributeurs est toujours aussi forte. Or les chiffres de ventes que l'on entrevoit annoncent plutôt des difficultés. Et puis, le mix produits a continué de se dégrader l'an dernier et, avec lui, le niveau des marges. De plus, il n'y a aucune raison que le mix produits s'améliore en 2010. Comme le client n'est, de toute façon, plus prêt à payer une voiture à son prix et qu'il veut les mêmes conditions que l'an dernier, il faudra bien que distributeurs et constructeurs paient sa remise. Quand vous cumulez donc une baisse de volume, de mix, de marge, de bonus, de prime à la casse… Difficile d'être optimiste.

JA. Aucune raison de se réjouir en 2010 donc ?
PC. Le seul point positif que l'on peut espérer, c'est sur le véhicule d'occasion. Sa situation devrait s'améliorer cette année. Notamment parce qu'il a déjà beaucoup souffert depuis 2008 et que la baisse des incitations à l'achat sur le VN pourrait lui bénéficier. La part du VO dans la profitabilité des distributeurs n'est pas encore importante. Il reste du potentiel sur cette activité car c'est un métier qui demande à être optimisé chez beaucoup de concessionnaires. Le problème, c'est qu'il est souvent conditionné par les reprises. Ce qui explique, d'ailleurs, son rôle central dans la dégradation de la trésorerie des concessions en 2009.

JA. Vous ne voyez pas les immatriculations des entreprises venir au secours des marques ?
PC. Comme tout le monde, les sociétés vont être attentistes. L'an dernier, la part des ventes à particuliers a exceptionnellement atteint près de 70 %. Je ne pense pas qu'elles soient entièrement rassurées depuis. Il ne faut donc pas compter sur les entreprises pour acheter massivement des véhicules en 2010. Si ce type de ventes repart à la hausse, ce sera peut-être sur la fin d'année, mais plus sûrement en 2011.

JA. Y a-t-il des acteurs que vous voyez souffrir plus que d'autres cette année ?
PC. Je pense que les généralistes connaîtront le plus de difficultés. Du fait de la baisse des volumes, principalement. Je ne vois pas les premiums allemands chahutés. Ils ont pris une belle claque en 2009, surtout en termes de profitabilité des affaires. Ils ont déjà payé cher et je ne les vois pas souffrir davantage. En revanche, dans les réseaux généralistes, les constructeurs auront moins la possibilité d'accompagner les distributeurs avec des portages plus longs, des prêts à taux zéro et des remises. Je pense donc que les Français, mais aussi Ford, Opel et Toyota vont être à la peine. Volkswagen s'en sortira sans doute mieux.

JA. Un conseil pour 2010 ?
PC. Le mot d'ordre est sans doute de ne pas couper les investissements liés à la publicité. Dans un contexte difficile, ce sont ceux qui sont les plus visibles qui remportent la mise. Or, pour une affaire, accuser une baisse plus importante que celle du marché n'augure rien de bon. La 2e chose, c'est que les distributeurs ont intérêt à jouer la montre avec leurs constructeurs. C'est-à-dire accepter ses obligations, mais prendre le temps pour les remplir. Enfin, plus que jamais, je pense qu'il faudra être réactif cette année. Pour ceux qui en ont les moyens, il faudra flairer les bonnes affaires. Des points de ventes seront en vente, des panneaux à céder, des zones à occuper… Cela peut constituer de belles opportunités.

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