Objectifs européens de CO2 : le moratoire de la discorde
2020 s’annonçait déjà comme extrêmement challengeante pour les constructeurs automobiles, soumis au ralentissement de certains marchés clés mais aussi aux exigences environnementales en Europe, à travers les objectifs CO2 personnalisés.
La crise sanitaire est venue compliquer la donne en pesant à la fois sur l’offre, puisque de nombreuses usines de production sont aujourd’hui à l’arrêt, mais aussi sur la demande. A l’heure actuelle, se sont plus de 3 milliards de terriens qui sont en confinement pour une durée indéterminée à travers le globe. Sur le Vieux Continent, pas moins de 7 pays obligent aujourd’hui leur population à rester chez elle, en plus de deux états en Allemagne, la Bavière et la Sarre. De quoi donner un sacré coup à la demande d’automobiles et contraindre à la fermeture totale des commerces, dont les showrooms.
C’est dans ce contexte de crise que l’ACEA, Association des constructeurs européens d’automobiles, représentant 16 constructeurs, souhaite aujourd’hui demander à la Commission Européenne un moratoire sur les objectifs de CO2. Problème, et de taille, tous les constructeurs engagés dans la discussion ne sont pas sur la même longueur d’onde. Alors que pour certains, il apparaît impératif d’obtenir un assouplissement des exigences initiales, pour d’autres, cette faveur pourrait leur faire perdre un avantage concurrentiel essentiel obtenu grâce au travail intensif de leur équipe sur les technologies.
« Nous comprenons la démarche mais ne sommes pas concernés puisque nous sommes dans les clous. Nous sommes le constructeur le plus vertueux, hormis les marques tout électrique », souligne Patrick Gourvennnec, président de Mitsubishi Motors France. Pour rappel, en France, la marque affichait un grammage moyen de 84 g/km grâce notamment aux excellentes performances de son Outlander PHEV, son best-seller.
« Pas question de renoncer à notre avantage concurrentiel »
PSA fait aussi partie de ces constructeurs qui, officiellement, ne souhaitent pas se positionner derrière cette démarche de l’ACEA. C’est ce qu’explique un porte-parole du groupe français. « Nous avons engagé depuis bien longtemps maintenant l’atterrissage au 1er janvier 2020 afin que nos performances soient adéquates dès ce premier jour de l’année 2020. » Le groupe a notamment mis en place un comité CO2 piloté par Carlos Tavares lui permettant de suivre, au jour le jour, au gramme de CO2 prêt, le rejet moyen de ses véhicules écoulés et en stock.
« Il s’agit d’un avantage concurrentiel pour nous, résultant d’un travail de longue haleine des équipes à la fois pour proposer des véhicules électrifiés mais aussi pour rendre les plus vertueux possible nos thermiques. Il n’est pas question de mettre en cause cette stratégie. Mais nous comprenons que certains constructeurs veuillent saisir cette opportunité », appuie le porte-parole. Le constructeur continue de miser sur un objectif de 7 % de véhicules électrifiés dans le total de ses ventes en France. « La baisse du volume n’aura logiquement pas d’impact sur le mix », affirme le porte-parole.
Un constat partagé par d’autres marques qui apportent toutefois plus de nuances. « Les conséquences économiques de cette crise sur l’industrie automobile mondiale seront terribles, prédit Lionel French Keogh, directeur général de Hyundai Motor France. Tous les gros marchés, la Chine, l’Europe, les Etats-unis sont tour à tour impactés. Si des groupes, déjà affaiblis par la crise sanitaire, se voient infliger des amendes à cause du non respect de leur objectif de CO2, il y a un bien un risque de mettre une partie de l’industrie à genoux. Reste à savoir si la Commission européenne est prête à prendre ce risque. A noter aussi que s'il n’y a pas d’ajustement sur les objectifs des constructeurs, il n’y en aura pas non plus sur ceux des distributeurs. Mais nous pouvons toutefois effectivement nous poser la question de savoir si le volume de ventes final aura réellement un impact sur le mix, s’interroge Lionel French Keogh. J’aurai tendance à dire que non. »
Cet impact sur l’évolution du mix énergétique dépend bien sûr des capacités de production des constructeurs. Pour Hyundai, à titre d’exemple, la filiale France bénéficie encore d’une production inchangée. « Je suis en train de faire un pari, celui de continuer de réceptionner les véhicules, qui, faute de livraison au réseau de distribution, sont pour l’instant stockés à l’étranger, à Prague et en Espagne. » Ainsi, le constructeur cesse non seulement de facturer les véhicules au réseau, afin d’alléger leur trésorerie, mais surtout, se tient prêt à répondre à la potentielle demande des automobilistes lors de la reprise.
La production comme élément clé
La question de savoir si le volume final impacte réellement mix, et donc si un moratoire sur les objectifs de CO2 est bien nécessaire, dépend effectivement des contraintes de production. La donne est encore plus compliquée pour les constructeurs concernés par un arrêt de leur production. Et ce, quand bien même ils étaient initialement en bonne voie dans la chasse au CO2. C’est le cas par exemple de Volvo. Le constructeur a annoncé la suspension pour plusieurs semaines de la production dans ses deux usines de Belgique et de Suède, produisant notamment ses modèles hybrides rechargeables, pièces maîtresses de sa stratégie CO2. Sans compter que beaucoup d’ingrédients essentiels à la fabrication des modèles électrifiés sortent directement des chaînes de production d’usines d’Asie, en arrêt depuis plus longtemps.
« Nous aurons un peu de stock, que nous avons arrêté d’envoyer aux concessionnaires, mais il est évident que le délai pour obtenir ces véhicules seront plus longs et que la priorité sera, pour notre réseau, d’écouler ceux qui se déprécient en stock pour générer du chiffre d’affaires le plus vite possible. Si la situation s'améliore et que le usines repartent fin avril, le temps que la machine se remette en marche, nous aurons perdu deux mois de production de ces véhicules », explique Yves Pasquier Desvignes, directeur de la marque en France.
Production stoppée, composants indisponibles, confinement, demande à l’arrêt, showroom fermés, tout les ingrédients sont là pour perturber les objectifs en terme de mix et de CO2… avec un potentiel impact sur la façon dont sera animé le réseau. « Cela complexifie énormément la donne, mais nous ne pouvons pas pas imaginer une seconde que nous ne demanderons pas des objectifs jouables au réseau. Nous tiendrons compte à la fois de la production, des disponibilités mais aussi de l’allure de reprise du marché », tient à rassurer Yves Pasquier-Desvigne qui envisage d’animer le réseau sur les prises de commande, à défaut d’avoir eu les productions.
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