Les multiples de Un
...par un subtil jeu de miroirs, il fait affleurer ses intimes convictions sur le métier de designer. Extraits.
Si la marque Volkswagen est bien entendu une grande histoire, qui se confond d'ailleurs avec l'Histoire pour prendre parfois des allures de fardeau, ce n'est pas le cas de son design. Un design longtemps monolithique s'érigeant en mythe autour de la désormais paradoxale Coccinelle, animal sympathique et tout en rondeur enfanté par un monstre. Autre étrangeté de l'histoire, le minibus : un véhicule soudain émancipé des rigueurs germaniques et devenu emblématique grâce aux… beatniks. Face à cette déconcertante rétrospective, et considérant l'échec des modèles dits de type 3 et 4 à la fin des années 60, il apparaît difficile de parler d'une tradition stylistique forte chez Volkswagen. Cependant, on aurait tort, à plus d'un titre, de négliger le phénoménal impact qu'a représenté la Coccinelle dans l'esprit des clients et des stylistes. En somme, l'histoire du design de la marque est récente et trouve son acte fondateur avec le lancement de la Golf en 1974. Dessinée par Giorgetto Giugiaro, elle bouscule les codes établis et ouvre la voie à une dynastie dont nous mesurons aujourd'hui l'ampleur. Suivront notamment la Polo et la Passat.
La marque Volkswagen veut tendre vers plus d'émotion
Cette question de la tradition ne taraude pas outre mesure Murat Günak, responsable du design du groupe Volkswagen, qui a mis un terme au long règne de 36 ans de Harmut Warkuss à la tête du style en janvier 2004 : "Volkswagen possède en fait une tradition de concepts de véhicules très différents et propose aujourd'hui des voitures dans presque tous les segments. Dès lors, il serait irréaliste de vouloir entretenir une tradition de caractéristiques de style. Cela ne pourrait être que superficiel… Notre tradition se situe dans l'équilibre entre sérieux et passion sur chaque modèle que nous concevons. Et nous sommes convaincus qu'une qualité sensible de design distingue tous nos produits". Peu versé sur le concept de reconnaissance immédiate et sur l'exploitation intensive de motifs récurrents, il préfère mettre en avant une notion d'esprit qui se rapprocherait d'une génétique et de ses évolutions : "Nos modèles actuels expriment l'image de Volkswagen connue jusqu'à présent. Certains peuvent la juger trop timide, mais la perception du design est toujours une affaire très personnelle et émotionnelle et il est donc difficile d'en discuter. Toujours est-il que la nouvelle Passat et l'Eos marquent déjà un changement vers une émotionnalité accrue. Et avec les modèles à venir, vous constaterez encore plus nettement la transformation de Volkswagen et vous pouvez considérer nos concept-cars comme les ambassadeurs de cette mutation".
Plutôt Fox que Logan
A l'heure de la multiplication des modèles, par ailleurs promis à un cycle de vie plus bref, l'ancien brillant étudiant du Royal College of Art de Londres ne s'inquiète pas de savoir si les futures voitures Volkswagen pourront devenir cultes, à l'instar de la Coccinelle ou de la Golf : "Pour chacune de ses ébauches, le styliste a l'ambition de concevoir un modèle historique. C'est un élément inhérent au processus de création, mais nous savons bien qu'il n'est pas possible de planifier un culte, qu'il n'existe aucune recette pour fabriquer les légendes et les mythes. En effet, ce n'est que dans la vie quotidienne avec les hommes, dans son usage et dans sa perception, qu'une voiture devient ce que l'on peut identifier à un moment ou à un autre comme un culte". Les exemples de la Coccinelle, du minibus, de la Golf, de la GTI, mais aussi de la Kermann-Ghia ou de la Scirocco renforcent cette thèse. Dans une perspective similaire, il affiche un poli scepticisme dès qu'on fait référence à la notion en vogue de voiture mondiale. Difficile à saisir en amont, impossible à contrôler pleinement sur l'ensemble d'un cycle de commercialisation. Ainsi, la Logan ne le rend pas envieux. "Il est certainement séduisant de créer un produit dans des conditions générales extrêmes, mais Volkswagen conçoit différemment l'idée d'un moyen de transport de base. Notre Fox en est d'ailleurs l'expression. Un des avantages de la Fox réside dans le fait qu'elle parvient à s'inscrire dans la gamme des autres modèles Volkswagen sans perte de qualité et de fonctionnalité", égratigne-t-il légèrement.
Accentuer les différences entre les marques du groupe
Refusant invariablement de céder à la facilité des slogans définitifs et des artifices du marketing, Murat Günak ne veut pas opposer les notions d'unité et de diversité, de cohérence et de multiplicité. Elles peuvent fort bien s'apparier. L'identité fondamentale d'un groupe, d'une marque, voire d'une gamme, peut s'accommoder de variations, même marquées. C'est ce qu'il revendique pour le design du groupe et de ses nombreuses marques. "Nous avons poursuivi nos efforts pour faire ressortir encore plus nettement les différences entre les marques du groupe. Il suffit, par exemple, de penser aux divergences notoires qui existent entre une Seat Leon, une Skoda Roomster ou une Volkswagen Polo", affirme-t-il. C'est aussi ce qu'il revendique à l'échelle des marchés : "L'Europe finit par ne plus faire qu'une, ce qui a bien entendu une influence sur les exigences spécifiques des marchés. Ainsi, une Golf est partout une Golf, à cette différence près que, par exemple, nous vendons davantage de véhicules blancs dans l'espace méditerranéen et davantage de véhicules argentés en Allemagne". Les "nouveaux" marchés, comme la Chine par exemple, ne font pas exception. "En Chine, notre offre est en partie constituée de modèles spécifiques pour ce pays. Mais ces modèles suivent eux aussi les valeurs de la marque et le fil rouge de notre design", déclare-t-il avec conviction.
Pas de créativité durable sans discipline !
D'une manière générale, cette foi en une diversité rationalisée incarne, selon celui qui a fait le bonheur de Peugeot et de Mercedes avant de rejoindre Volkswagen, l'essence du design européen. "De mon point de vue, il n'y a pas un style européen : le design automobile européen est plutôt le fruit de la diversité de manifestations très caractéristiques des valeurs individuelles des marques. D'ailleurs, c'est ce qui confère aux constructeurs européens un rôle spécial, estimé dans le monde entier. Et finalement, notre design européen a du succès sur les marchés clés du monde entier". Même si le panorama est toujours en mouvement : "Chacun connaît les points forts et l'individualité de "sa" marque et œuvre intensivement à accentuer davantage ce profil par le design. Il s'agit d'une amélioration continue pour répondre aux besoins des clients. C'est très propre au design et cela vaut en particulier pour l'amour du détail voué aux matériaux et à la fonctionnalité dans l'habitacle". C'est précisément ce qui reformule en permanence l'intérêt et la pression de la fonction de designer. "Le design constitue le facteur clé de la réussite et des chances d'avenir de l'automobile. D'ailleurs, au sein du groupe, le design est impliqué activement dans la planification et la phase de conception dès les premières étapes du développement d'un projet. Nous sommes bien entendu conscients de cette grande responsabilité et relevons le défi. En effet, nous autres stylistes avons une énorme influence : par notre seule créativité, nous modelons l'image de la marque, sur les routes du monde et dans la tête des clients", professe Murat Günak. Un défi enthousiasmant en dépit de contrainte de coûts et de temps toujours plus vives : "Un styliste a toujours besoin d'espaces lui permettant de donner libre cours à sa créativité. Mais il n'y a pas de créativité sans discipline : en l'absence de discipline, une créativité durable est tout bonnement impossible ! Dans la pratique, nous avons justement besoin des défis qui résultent des exigences légales ou techniques. Et la bataille des coûts est peut-être la forme la plus aboutie de cette prise en compte intense des réalités".
Des innovations radicales permettent un nouveau design radical
D'autant plus que tout le monde est logé à la même enseigne… Face à ce contexte de "concurrence loyale", dixit Murat Günak, il incombe aux designers de trouver des solutions grâce à leur créativité et de faire la différence. "L'optimisme et la foi dans l'avenir sont des traits typiques du métier qu'exercent nos stylistes", lance-t-il avec entrain. Pas question de baisser les bras face au flot accéléré des innovations et face à la complexité toujours plus aiguë de "l'équation voiture". "Des innovations et de nouvelles fonctions radicales permettent un nouveau design radical", prédit-il avant d'expliquer : "Sur les quelque 8 m2 de surface de base d'une automobile, on trouve une profusion de matériaux très divers : des essences, des métaux, du cuir, des matériaux high-tech… La tâche des stylistes consiste à établir un équilibre conceptuel autour de cet ensemble". Nullement angoissé par les défis de demain, Murat Günak conclut par une prophétie humaniste : "Le désir d'une plus-value émotionnelle maintiendra la vivacité du monde automobile". L'histoire n'a pas de fin, pas plus que le design de Volkswagen…
Alexandre Guillet
QUESTIONS AMurat Günak, Responsable du Design du groupe Volkswagen Murat Günak en aparté Journal de l'Automobile. En termes de design, quelle est votre voiture favorite dans toute l'histoire de l'automobile ? JA. Quel est votre modèle Volkswagen préféré ? JA. Au cours de votre carrière, vous avez conduit plusieurs projets d'envergure pour différentes marques, quel est celui que vous préférez, celui dont vous êtes le plus fier ? JA. Sur la scène du design mondial au sens large, quels sont les produits qui vous ont vraiment séduit ces dernières années ? |
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