Les chinois face à la redoutable équation de la conquête du vieux monde
“Nous sommes partis de zéro, puis avons vécu, assez brutalement, une croissance exponentielle… Aujourd’hui, nous devons passer de l’image du faible à celle du fort et nous devons aussi dépasser notre marché chinois pour devenir internationaux. C’est la clé pour que nous puissions vraiment jouer les premiers rôles et ne pas seulement nous justifier sur les volumes de notre marché domestique”. Le décor est planté sans concession par Hao Hai, vice-président de BAIC. Dans l’opinion publique, depuis l’Europe ou les Etats-Unis, la Chine est régulièrement taxée d’arrogance. Pourtant, lors du Global Automotive Forum, cette idée préconçue vole rapidement en éclats. En témoigne le propos introductif de Zhi Luxun, secrétaire général du département Mechanic, Electronic and High Tech Industry rattaché au Ministère du Commerce de la République Populaire de Chine : “Tandis que notre marché est d’ores et déjà international, avec le jeu des JV notamment, nos groupes font figure d’exception sur la scène automobile mondiale, dans la mesure où ils restent confinés sur leur marché et n’exportent quasiment pas. C’est dangereux car certains groupes étrangers se construisent des images de marque très solides chez nous, je pense à Volkswagen en premier lieu. Nous devons donc nous préparer à remédier à cela. Au premier chef, nous souffrons d’un problème d’approche communiste du marché mondial. Nous raisonnons en volume, en ordres de commandes potentiels, sans avoir à proprement parler de méthodes marketing ciblées par marché envisagé. A cela s’ajoutent des problèmes de qualité des produits, mais surtout de réseaux et services après-vente. Or, pour avoir des ambitions mondiales, on ne peut pas jouer que sur le prix, c’est une évidence. En somme, nous devons nous organiser, redoubler d’efforts sur les basiques et cibler certains marchés tests. Le pouvoir central est là pour accompagner certains constructeurs dans leur stratégie d’internationalisation. Plusieurs organismes proposent déjà des programmes spécifiques”.
Un lourd déficit d’image
Coup de froid dans l’assemblée surtout que Zhi Luxun ne laisse de répit à personne et illustre sa démonstration avec des exemples. Au Brésil, les constructeurs chinois avaient exporté quelque 100 000 véhicules en 2011, un record, mais avec les modifications de taxes et compte tenu du fait que lesdits constructeurs n’avaient pas de base de fabrication locale, les exportations ont chuté de 90 % au premier semestre 2012. Aux Philippines, les constructeurs chinois n’offrent qu’un an de garantie et de SAV quand leurs homologues japonais et coréens en proposent jusqu’à six… “Face à cette concurrence, entre la qualité initiale de nos produits et notre garantie, on peut parler de double peine pour le client final”, coupe court Zhi Luxun. Shi Qingke, directeur général des opérations internationales de Great Wall Motors, témoigne volontiers des mésaventures rencontrées par son groupe : “Nous avons eu des expériences difficiles, à cause d’un manque de préparation. Nous avons commencé à exporter au début des années 2000, mais nous n’avions pas une connaissance assez fine des marchés visés. Des exemples très simples me reviennent à l’esprit : la gamme des coloris ou l’adaptation de certains produits, pick-up notamment, à des conditions climatiques spécifiques. Nous avons dû apprendre et réorienter notre démarche. Nous avons lancé des études de benchmark dans tous les domaines : produits, campagnes de vente, campagnes promotionnelles, services… Sans oublier le management des concessionnaires qui varie beaucoup d’un marché à l’autre”. Et de reconnaître sans faux-fuyant : “Nous devons de surcroît communiquer avec force sur notre identité et notre culture. Vis-à-vis des clients comme de nos partenaires distributeurs. En effet, nous sommes chinois, pas allemands, américains ou même coréens. Dès lors, les gens n’ont pas une image claire, ni même spontanément positive, de ce que nous sommes”. La direction de Great Wall Motors consacre donc des budgets conséquents pour inviter les concessionnaires étrangers en Chine, afin qu’ils se rendent compte de ce que peut représenter le groupe sur ce marché. Les invitations se multiplient aussi auprès d’organismes officiels, russes ou sud-africains par exemple, et Shi Qingke espère que d’autres délégations, notamment européennes, accepteront de franchir le pas.
L’exemple Hyundai-Kia
He Linbo, directeur général au sein de la China Investment Corporation de la République Populaire de Chine, se veut plus optimiste et cite volontiers en exemple le groupe Hyundai-Kia : “Au début des années 1990, les constructeurs coréens avaient une mauvaise image en Europe et aux Etats-Unis, c’est un euphémisme. Aujourd’hui, on a totalement tourné cette page et les marques coréennes gagnent beaucoup de parts de marché. L’avenir de l’expansion internationale chinoise suivra un peu l’exemple des coréens”. Selon lui, l’Europe offre notamment de belles perspectives : “Certes, notre image n’est pas bonne auprès du client final, mais les pays européens, frappés par la crise, sont désormais très ouverts à nos investissements et nous demandent même de racheter leurs usines ! Les prix qu’ils nous proposent sont d’ailleurs souvent trop élevés, mais c’est une autre histoire… Toujours est-il que nous avons de réelles opportunités. Mais encore faut-il savoir ce que nous voulons vraiment construire et vendre au-delà d’investissements purement financiers ?”. A l’image de Li Shufu, patron charismatique de Geely-Volvo (voir entretien par ailleurs), Shi Qingke estime qu’il faut y aller pas à pas, sans chercher à sauter les étapes. En soulignant qu’il faut peut-être viser les nouveaux marchés dans un premier temps, en tenant compte du fait que certains marchés matures, comme l’Europe, sont en récession et que le coût du ticket d’entrée n’est pas facile à amortir rapidement. En faisant aussi preuve de lucidité : “Nous sommes conscients de nos faiblesses et nous ne ferons pas n’importe quoi. A bien des égards, nous sommes encore trop communistes. Nous manquons de maturité pour appréhender certaines clientèles et nous devons l’acquérir au fur et à mesure. Certains nous disent, y compris au niveau du gouvernement central, qu’il faut savoir prendre des risques, qu’on peut manager le risque… Certes, mais certains risques sont trop grands pour qu’on puisse les manager”. Loin de lui l’idée de baisser la garde pour autant : “Sur les marchés où nous avons des ambitions commerciales, nous recrutons des experts et de profils opérationnels locaux. C’est très important. Il faut être prêt à payer ce prix, car si vous ne le faites pas, vous perdez votre mise d’investissement et vos résultats commerciaux ne sont pas au rendez-vous. Nous avançons progressivement, en nous gardant de toute attitude de mercenaire et en surveillant rigoureusement nos bases financières”. Frank O’Brien, vice-président exécutif Asie de Magna International, abonde dans ce sens : “Quand on vise un marché, il est essentiel de bien le connaître et de savoir constituer des équipes cosmopolites, avec des managers locaux, pour piloter les opérations au jour le jour. C’est une règle d’or, valable pour tous. Je ferais volontiers une analogie avec les baguettes chinoises ! Pour manger beaucoup et proprement et en toute sécurité, entre guillemets, il faut une baguette fixe et une autre mobile. C’est le concept de flexibilité, indispensable à toute expansion”. Martyn Davies, responsable du Bureau des investissements en Afrique du Sud, tient le même discours et prône aussi la patience : “Pour réussir à l’étranger, les constructeurs chinois doivent accepter que cela prend du temps. Il faut effectivement constituer les bonnes équipes et il faut battre en brèche les préjugés, à savoir que les produits chinois ont en général une mauvaise image, que cela soit justifié ou non”.
“Assurer une profitabilité domestique durable avant d’aller voir ailleurs”
Le mot de la fin revient à Max Warburton, analyste senior chez Sanford C Bernstein, qui explique que les expériences malheureuses des chinois au Brésil et au Pérou ne doivent pas être oubliées. A ses yeux, les constructeurs chinois ne sont peut-être tout simplement pas prêts à partir à l’assaut des grands marchés étrangers : “Deux critères sont préalables à cette conquête : être profitable sur son marché domestique pour assurer son développement extérieur sans risque de déséquilibre et avoir les bons produits à proposer. Dans leur immense majorité, les constructeurs chinois ne réunissent actuellement pas ces deux critères”. Il rappelle aussi que le bon rapport qualité-prix ne fait pas tout, en évoquant les constructeurs allemands qui réussissent par une autre voie, et met en exergue que l’exemple des coréens ou de Dacia n’est pas si facile à suivre, tant il implique une aptitude à assurer la qualité et une montée en gamme progressive. Et de s’interroger : “Vu la taille de leur marché domestique, les constructeurs chinois ont-ils vraiment besoin de se focaliser maintenant sur les marchés mondiaux ? Surtout qu’ils ont actuellement tendance à perdre des parts de marché chez eux… Je pense qu’il serait plus indiqué de renforcer leur base, pour assurer une profitabilité domestique durable avant d’aller voir ailleurs”.
Donner le temps au temps
Avec calme et détermination, Zhi Luxun répond que les chinois ont le temps de transformer les mottos de leur industrie pour réussir à exporter durablement et rentablement. Et d’évoquer des accords de trading à l’échelle du pays : “Nous y travaillons, mais cela dépasse la seule industrie automobile et implique la Chine comme pays. Il faut donc bien prendre la mesure des enjeux liés à la balance commerciale et à la diplomatie mondiale”. Mais Max Warburton ne désarme pas et conclut dans une veine provocatrice : “La Chine a été trop généreuse ou plutôt, elle s’est trompée ! La valeur ajoutée de son industrie est aux mains des marques étrangères. On est loin du tableau que voulait voir le gouvernement central il y a dix ou quinze ans ! Pourtant, la Chine a une tradition communiste et protectionniste, c’est un comble… La priorité pour les constructeurs chinois est de devenir vraiment profitables sur leur marché domestique, et de façon durable pour pouvoir reprendre la main à plus grande échelle”. Chiche, lui répondent les dirigeants chinois en lui donnant rendez-vous dans quelques années.
------------
FOCUS - En chiffres
Moins de 700 000 véhicules ont été exportés de Chine vers le reste du monde en 2011
En 2010, les véhicules importés représentaient 4,4 % du marché chinois, soit 813 345 unités
En valeur, les exportations d’automobiles de la France vers la Chine représentaient 845 millions d’USD, contre 18,71 milliards pour l’Allemagne et 18,51 milliards pour le Japon
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.