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Constructeurs

Le jour où Peugeot racheta Citroën…

Publié le 30 juin 2006

Par Alexandre Guillet
10 min de lecture
C'était il y a trente-deux ans, au soir du 24 juin 1974. Au moment précis où les techniciens de l'ORTF lançaient les génériques des journaux télévisés de vingt heures, une dépêche classée "Urgent" tombait sur les téléscripteurs de l'Agence France Presse… La dépêche...
C'était il y a trente-deux ans, au soir du 24 juin 1974. Au moment précis où les techniciens de l'ORTF lançaient les génériques des journaux télévisés de vingt heures, une dépêche classée "Urgent" tombait sur les téléscripteurs de l'Agence France Presse… La dépêche...

...allait semer une belle pagaille dans les rédactions des quotidiens, où les spécialistes de l'industrie étaient encore denrée rare, et dont aucun n'avait senti le coup venir. Elle annonce le regroupement du plus célèbre et du plus flamboyant des constructeurs français, Citroën, le père de la Traction, de la 2 CV, de la DS, et de la toute récente SM Maserati, avec celui de la 203, de la 403 et de la 404, le très provincial et timide Peugeot. Objectif : "Constituer un ensemble cohérent"… sous la conduite des sochaliens.
Longtemps petit dernier de la classe tricolore - composée encore de quatre constructeurs, Renault, Citroën, Simca et Peugeot - le Lion avait tout récemment dépassé la société aux chevrons. L'actionnaire de cette dernière, François Michelin, avait refusé d'engager plus avant sa manufacture dans le redressement d'un constructeur automobile aux comptes dans le rouge, et qui venait de passer en quelques années de près de 30 % à moins de 20 % de parts du marché français. Michelin ne rêvait déjà plus que de plaies et de bosses sur le marché mondial et jusqu'aux Etats-Unis, avec son arme fatale, le pneu radial. Pas question de se disperser.
François Michelin s'était donc tourné vers Peugeot, et les deux vieilles familles avaient fini par s'entendre. "Peut-être une future General Motors française", analyse le lendemain le quotidien Les Echos. Dans l'hebdomadaire économique Les Informations, le numéro deux de Peugeot, Francis Rougé, explique : "Pour Peugeot, lanterne rouge des quatre constructeurs français en Europe, nous étions mal installés dans de nombreux pays. Nous y faisions presque du camping." Il s'agissait bien de bâtir une maison aux couleurs et aux dimensions de l'Europe.
Mais les observateurs n'étaient pas au bout de leurs surprises. Les terreurs françaises d'alors n'ont pas encore les yeux bridés : les Japonais en sont à mettre au point chez eux leurs usines-miracles, porte-avions de leur très prochaine offensive. Non, la voiture tricolore craint avant tout la mainmise des géants de Detroit sur le Vieux Continent, où GM et Ford cherchent à construire des usines de montage dans les principaux pays. Ils y parviennent… sauf en France et en Italie où les constructeurs locaux savent se faire entendre de leurs gouvernements.
Seconde stupéfaction, donc, quand quatre ans après le regroupement Peugeot-Citroën, en pleine torpeur estivale, la nouvelle tombe le 10 août 1978 à l'heure de la sieste : Chrysler Corporation  transfère à PSA Peugeot-Citroën ses trois sociétés européennes, la française (qui a repris Simca), la britannique et l'espagnole, en échange de 15 % de ses actions et de 230 millions de dollars… L'accord avait été signé le matin même dans le grand aéroport de Londres, Heathrow.
Il s'agissait certes de la réponse du berger PSA à la bergère Renault, qui venait d'annoncer quatre mois plus tôt un deal avec le très grand malade de Detroit, American Motors. Tandis que Renault visait la conquête du marché nord-américain, l'accord PSA-Chrysler voulait marquer la naissance du premier groupe européen, du troisième producteur mondial, mais centré sur l'Europe, avec 2,2 millions de voitures (1).
Cette fois le tout jeune et très élégant patron du groupe, Jean-Paul Parayre, quarante et un ans, nommé un an plus tôt après la disparition de Francis Rougé, comprend le besoin d'une conférence de presse pour s'expliquer… le dernier jour d'août, quand tout le monde est rentré. Au Palais des Congrès, situé presque en face de son bureau, il explique que ce rachat des filiales continentales de Chrysler vise à rattraper le retard d'organisation des Européens face à leurs grands rivaux américains et à des Japonais devenus très agressifs. Les journalistes spécialisés approuvent et poussent même quelques cocoricos. Le français n'est-il pas le seul groupe européen à disposer désormais d'usines dans trois grands pays du continent ?
La suite fut un vrai cauchemar industriel et commercial. Et pas seulement à cause du second choc pétrolier, qui vient presque aussitôt frapper le marché auto, ni en raison de l'arrivée de la gauche au pouvoir, qui alourdit les charges sociales puis bloque les prix. Au sein même du nouveau groupe, Automobiles Citroën joue les chèvres de monsieur Seguin et résiste aux injonctions des hommes du Lion. Son patron indépendantiste George Taylor, venu de Peugeot mais devenu plus Citroën que quiconque à Citroën, ce qui n'est pas peu dire, doit être débarqué brutalement.
Les filiales européennes de Chrysler se révèlent des coquilles pleines de mauvaises surprises et




FOCUS

Des voitures et des hommes

"A l'assaut du monde, l'aventure Peugeot-Citroën" de Philippe Gallard, journaliste spécialiste de l'industrie automobile, est loin d'être uniquement un ouvrage de stratégie d'entreprise. Il nous conte l'histoire de PSA Peugeot- Citroën, l'histoire du mariage pour le meilleur et pour le pire de deux entreprises rivales, mais aussi et surtout l'histoire des hommes qui ont présidé à leurs destinées.
vides de nouveaux modèles. Les ventes s'effondrent, Jean-Paul Parayre tente le tout pour le tout en lançant une "nouvelle" marque héritée de l'histoire, Talbot. Échec total. Dans la douleur, il doit fusionner Peugeot et Talbot, dont de nombreux concessionnaires rejoignent la concurrence. Enfin les usines de la région parisienne voient se révolter leurs OS, essentiellement des immigrés du Maghreb, d'Afrique ou de Turquie, contre un encadrement quasi militaire et son allié, le syndicat maison. On se bat dans les ateliers d'Aulnay-sous-Bois et de Poissy à coup de boulons voire de bouts de tôle, sous l'objectif des caméras de télévision : ces images feront le tour des journaux télévisés dans toute l'Europe.
Le groupe a grossi trop vite, en saisissant les occasions qui passaient. Il se révèle démuni de la matière première essentielle dans ce genre de situation : un gisement important de cadres déjà confirmés et motivés pour aller réorganiser les deux nouveaux venus et les atteler au char PSA. Pour boucher les trous de l'organigramme, on procède à des promotions-éclair qui se révèlent souvent inadaptées, remèdes pires que le mal, et qui feront mal longtemps. En deux ans, la valeur du titre Peugeot est divisée par quatre, la production totale des trois marques amputée d'un tiers. La qualité des voitures a baissé dans des usines en folie. Les banques sont de plus en plus rétives face aux demandes d'avances.
Pour redresser la barre, un célèbre banquier mis au chômage par la gauche a été appelé à la rescousse. Il s'agit de Jacques Calvet, ancien directeur de cabinet de Valéry Giscard d'Estaing, rue de Rivoli. À la mi-1982 il est devenu le très actif numéro deux du groupe, et veut supprimer plus de 7 300 emplois chez Peugeot-Talbot, dont 2 905 par des licenciements secs. Après un rude affrontement le gouvernement de Pierre Mauroy lui en autorise 1 000 de moins. Même scénario dix-huit mois plus tard chez Citroën, dont les usines parisiennes s'enflamment à nouveau : plus de 3 000 départs en pré-retraite décidés, 2 937 licenciements demandés, 1 909 accordés avec dix mois de formation à la clef. La CGT et les ministres communistes finissent par s'incliner. L'opération bistouri a réussi et le chirurgien Jacques Calvet, quatre jours après la reprise du travail chez Citroën-Aulnay, est appelé à remplacer Jean-Paul Parayre à la tête du groupe, le 4 septembre 1984.
Il faut dire qu'il vient aussi de permettre à PSA Peugeot Citroën de boucler sa fin de mois en arrachant à ses anciens collègues banquiers la centaine de millions d'euros indispensable pour payer les charges et les salaires du mois d'août. Il s'en est fallu d'un souffle pour qu'un groupe déjà centenaire ne verse dans le précipice. Pour atteindre le poids beaucoup plus élevé imposé par la nouvelle compétition européenne, et pour éviter que d'autres ne chassent le gros gibier qui passait à portée de tir, Peugeot a choisi de dévorer tout cru deux grosses bêtes. Il y a risqué le trépas. Lorsqu'à la fin du siècle résonne le gong pour le grand round mondial, PSA Peugeot Citroën jure qu'on ne l'y reprendra pas. Cette fois, il va aller seul boxer contre les très grands.


Extrait de l'ouvrage de Philippe
Gallard, "A l'assaut du monde, l'aventure Peugeot-Citroën"


(1) Un volume identique à celui de 1998. Le groupe PSA n'a donc pas progressé en volume au terme de ses vingt premières années d'existence. Au milieu des années soixante-dix, ce chiffre permettait encore de dépasser les ventes de Volkswagen ou de Toyota, mais vingt ans plus tard, il ne représentait plus que la moitié des immatriculations de ces deux groupes…





ZOOM

Les hommes de Peugeot et Citroën


  • François Gautier et Francis Rougé :
    Catholique égaré dans un monde protestant, François Gautier va façonner le nouveau visage de Peugeot. Il va débroussailler le maquis des sociétés familiales pour créer, en 1966, Peugeot SA, holding présidé par Maurice Jordan, premier homme à la tête du groupe qui ne soit pas de la famille sochalienne. François Gautier dirige lui la Société industrielle des Automobiles Peugeot, avec pour numéro 2, un polytechnicien aux brillants états de service dans l'armée, Francis Rougé. Dès 1976, au moment de la création du holding PSA, François Gautier a dans l'esprit de "standardiser au maximum les éléments des véhicules qui ne sont pas liés aux images des deux marques, ceci par une politique d'organes communs".

  • Pierre Bercot :
    Une bombe au Salon de l'Auto 1955 ! Pierre Bercot, l'emblématique patron de Citroën durant les Trente Glorieuses, présente la DS au président Coty. Avant-gardiste obstiné, Pierre Bercot voudra lancer, en milieu de gamme, le projet F, équipé d'un moteur rotatif, projet qui tombera à l'eau. Sans lui, Citroën serait peut-être aujourd'hui dans le giron de Fiat, dont la participation dans la marque atteignit tout de même 49 %, avec la bénédiction de Pompidou.

  • George Taylor :
    George Taylor, un des barons de Peugeot mis à la tête de Citroën par François Gautier, s'opposera à la politique d'organes communs. Il alla produire des Axel dans la Roumanie de Causescu et voulut relancer le moteur à piston rotatif, initié par son prédécesseur Pierre Bercot, sur la GS birotor de 1974.

  • Xavier Karcher :
    Xavier Karcher, cet ex-Peugeot fut parachuté en 1979 au chevet des chevrons. En 1989, il publia "Citroën, une nouvelle culture d'entreprise". La même année jaillissent sur le même segment Peugeot 605 et Citroën XM, symbole du manque de coordination entre les deux marques à cette époque.

  • Jean-Paul Parayre :
    En juin 1976, le groupe PSA se dote d'une direction de la division automobile, confiée d'emblée à Jean-Paul Parayre. Il va se charger d'appliquer avec beaucoup de conviction le plan de marche défini par François Gautier. Il lance alors le groupe dans la création de sa propre banque d'organes et crée en 1981, la première filiale commune à Peugeot et Citroën, la Sogedac, chargée de grouper les achats des deux marques.

  • Jacques Calvet :
    Le 4 septembre 1984, Jacques Calvet, amené par François Gautier, son voisin de maison de campagne à Veules-les-Roses en Haute Normandie, déboule en sauveur, à la tête du groupe. Jacques Calvet mènera chez Peugeot une politique de profondes restructurations avec, à la clé, près de 12 000 licenciements, dont 5 000 primes de retour au pays des OS immigrés. L'ex-président de la BNP sauvera l'entreprise de la faillite mais sa stratégie industrielle va s'opposer à celle initiée par François Gautier, pour arriver à créer une anti-plate-forme avec les 106 et Saxo : le clonage pour l'apparence, deux séries d'organes à l'intérieur.

  • Jean-Martin Folz :
    Il faudra attendre la nomination de Jean-Martin Folz à la tête du groupe (alors qu'on prévoyait un autre polytechnicien, Jean-Yves Helmer) pour que la stratégie de plate-forme commune reprenne le chemin initié trente ans plus tôt par François Gautier.
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