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Constructeurs

La “lettre à un jeune Italien”, de Sergio Marchionne

Publié le 13 septembre 2011

Par Alexandre Guillet
6 min de lecture
Sergio Marchionne, le charismatique administrateur délégué du groupe Fiat, qui fut élu Homme de l’Année de votre journal il y a quatre ans, a prononcé un discours engagé devant un parterre d’étudiants réunis à Rimini. Encore secoué par les turbulences de “l’affaire” Melfi, il a changé son discours à la dernière minute, choisissant de se focaliser sur l’Italie, qu’il exhorte au changement et à l’ouverture, sur le modèle de la Fiat. Morceaux choisis.
Sergio Marchionne estime que le marché italien sera à son niveau le plus bas depuis 1996, autour de 1,7 million de véhicules, et que les perspectives européennes n’ont rien d’emballant pour 2011 et 2012. Mais pour l’heure, il confirme les objectifs commerciaux de son groupe.

Dans le cadre d’un meeting sur l’amitié entre les peuples organisé à Rimini, Sergio Marchionne avait initialement prévu une intervention sur la mondialisation et la recherche d’un meilleur équilibre dans le partage des richesses. Mais, de son propre aveu, sous l’effet de “l’affaire” Melfi et de la crise qui ébranle l’économie transalpine depuis plusieurs semaines, il a changé d’avis pour improviser un discours sur l’Italie et sur l’ancrage domestique de Fiat. Par rapport à la crise provoquée par la dette souveraine de certains Etats de la zone euro, Sergio Marchionne estime que “l’émission d’euro-obligations est la seule solution pour sauver l’Europe ; je ne crois pas qu’il y ait d’autres solutions au problème.” Et d’ajouter : “C’est un discours complexe, mais s’il n’y a pas un partage des risques de la part des pays européens, je vois mal comment on peut s’en sortir.”

“Fiat avait perdu la volonté et la capacité de se confronter au reste du monde…”

S’il veut éviter l’écueil de la posture du donneur de leçons (“Je ne suis pas un professeur ni un économiste et moins encore un homme politique”), il livre cependant une analyse sans concessions de l’état de l’Italie, en faisant un parallèle avec son expérience au sein de la Fiat : “Quand je suis arrivé chez Fiat, j’ai trouvé un groupe immobile, replié sur lui-même, qui comparait ses résultats avec ses propres performances antérieures au lieu de le faire avec ceux de ses concurrents… Fiat avait perdu la volonté et la capacité de se confronter au reste du monde. Je crois que c’est aussi le risque de l’Italie aujourd’hui.” Une attitude qu’il juge stérile, voire dangereuse, à l’heure où le marché s’élargit et où la rapidité des changements devient insoupçonnée. Refusant toutefois de noircir le tableau, il pense qu’il est encore temps pour l’Italie de réagir et que la Fiat peut servir de locomotive, notamment par le biais de son plan industriel. “Le plan “Fabbrica Italia” vise à investir en Italie pour augmenter la production et sécuriser les emplois de demain (N.D.L.R. : le plan prévoit notamment un investissement de 20 milliards d’euros en Italie sur quatre ans). Mais nous devons être compétitifs par rapport aux autres pays, car s’il y a une chose que je sais, c’est que les marchés ne fonctionnent ni à l’éthique ni à l’affectif.” Or, Sergio Marchionne rappelle que son groupe perd de l’argent en Italie, alors qu’il n’en perd pas ailleurs. Ce sera le cas cette année encore, comme l’année précédente. “Donc, si nous n’abandonnons pas nos anciens schémas et la protection du passé, nous ne pourrons pas regarder devant nous et nous ouvrir de nouveaux horizons.”

Bras de fer autour du Made in Italy…

En filigrane de ce discours, on trouve naturellement l’enjeu des contrats spécifiques, plus flexibles, que la direction de Fiat négocie avec ses usines domestiques. Avec ces nouveaux accords, les ouvriers de Fiat ne dépendent plus de la convention collective de la métallurgie. Historique, mais socialement très sensible. Habile, Sergio Marchionne en profite pour remercier certains syndicats et cite même nommément deux de leurs dirigeants, Raffaele Bonanni (Cisl) et Luigi Angeletti (UIL). En marge du discours de Rimini, un bras de fer s’est d’ailleurs engagé entre la direction de Fiat et le gouvernement italien. John Elkann, président de Fiat, a ainsi allumé les premières mèches : “L’Italie et ses produits séduisent dans le monde, mais la véritable question est la suivante : qu’est-ce que veut vraiment l’Italie ? Fiat continuera à produire des automobiles, mais l’Italie veut-elle le faire ? Si la réponse est positive, il convient de créer les conditions permettant d’investir dans ce pays…” Le ministre italien de l’économie, Maurizio Sacconi, a réagi immédiatement : “Nous avons aussi beaucoup aidé Fiat dans bien des domaines. Les comptes sont au clair. Le temps des questions doit laisser la place à celui des décisions.” S’en est suivi un entretien téléphonique entre le ministre et Sergio Marchionne, et le groupe a alors confirmé un investissement de 550 millions d’euros sur le site de Grugliasco, situé à proximité de Turin, pour la production de modèles Maserati. Fiat avait repris cette usine moribonde à Bertone en 2009 et les salariés du site ont, depuis, accepté par voie référendaire un durcissement des conditions de travail.

Alfa Romeo n’est pas à vendre…

Un accord similaire a été conclu début 2011 à Mirafiori (Turin), mais dans ce cas précis, l’investissement prévu d’un milliard d’euros n’est pas encore validé, “le groupe étant en train d’évaluer l’impact du taux de change entre dollar et euro sur le coût du produit”. En revanche, suite à un accord syndical du même ordre, Fiat a bel et bien investi 800 millions d’euros dans l’usine de Pomigliano, aux alentours de Naples. Sergio Marchionne est revenu sur cette décision à l’occasion de son discours de Rimini : “Le choix de produire la nouvelle Panda à Pomigliano (N.D.L.R. : le site ne produira dès lors plus d’Alfa Romeo) n’est pas strictement basé sur des principes industriels et rationnels. Il eût été plus simple de continuer à la produire à Tychy, en Pologne, où nous avions de surcroît une excellente qualité. Mais comme ce choix ne remet pas en cause l’équilibre du groupe Fiat, nous l’avons fait pour l’Italie.” Enfin, l’administrateur délégué a confirmé qu’Alfa Romeo n’était pas à vendre. Mais dans une veine un brin jésuite : “Je n’ai pas l’intention de vendre Alfa Romeo. Il n’y a pas eu de négociations officielles avec les dirigeants de Volkswagen. Mais c’est vrai que nous en avons parlé avec eux… Avec des constructeurs français aussi… Et d’autres. C’est le lot de notre industrie, entre nous, on parle de tout tout le temps.” Avant d’exhorter son jeune auditoire à l’ouverture sur le monde, la mobilité, la foi en l’Italie et la droiture morale, en convoquant Hegel, Pavese et surtout Machiavel. Tiens, tiens…

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ZOOM - Lancement en fanfare du Fiat Freemont en Italie

Le lancement commercial du Fiat Freemont se traduit par des résultats largement supérieurs aux prévisions initiales du Lingotto. Selon le siège, le volume des commandes est de l’ordre de quelque 18 000 unités, alors que le plan de production 2011 était fixé à 13 000 véhicules (33 000 en année pleine, dès 2012). La demande est essentiellement concentrée sur le marché italien, qui pèse 80 % des commandes. Dès lors, Fiat a décidé d’augmenter les capacités de production de la ligne de montage du Dodge Journey dans l’usine de Toluca (Mexique). Par ailleurs, le Freemont vient d’être commercialisé au Brésil, un marché vital pour Fiat, qui va y construire une seconde usine. Dans ce pays, le Freemont se positionne sur le haut de gamme car il est proposé en entrée de gamme aux alentours de 35 000 euros, contre 25 500 euros environ en Italie. Cet écart s’explique notamment par la fiscalité automobile en vigueur au Brésil.   

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