La guerre de des automobiles importées aura-t-elle lieu ?
Difficile de suivre le président américain, qui twitte plus vite que son ombre et souvent des choses contradictoires d'un jour sur l'autre. Cela étant, l'automobile semble dans son collimateur depuis plusieurs mois déjà après sa charge contre les usines mexicaines qui a notamment conduit les trois signataires de l'accord de libre-échange nord-américain (NAFTA/ALENA), que sont les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, à revenir à la table des négociations. Dans cette même veine protectionniste, le président américain a menacé d'augmenter les droits de douane et voilà qu'aujourd'hui il a ordonné une enquête pour déterminer les conséquences des importations d'automobiles "sur la sécurité nationale". Rien de moins.
Une enquête qui a fait réagir l'Acea, l'Association des constructeurs européens d'automobiles, qui a mis lundi en garde les Etats-Unis sur les "graves conséquences" d'éventuels droits de douane accrus sur les véhicules importés. "Toute mesure restreignant le commerce dans le secteur automobile aura de graves conséquences négatives, pas seulement sur l'UE, mais aussi sur les Etats-Unis et l'économie mondiale", a averti Erik Jonnaert, secrétaire général de l'Acea, dans un communiqué.
"Les constructeurs européens d'automobiles n'importent pas seulement des véhicules aux Etats-Unis, beaucoup d'entre eux ont une empreinte industrielle majeure sur place, créant des centaines de milliers d'emplois directs et indirects. Une grande part de leur production américaine est exportée vers des pays tiers, y compris vers l'Union européenne", a déclaré le secrétaire général de l'Acea. Une façon d'évoquer un effet boomerang sur la bonne santé américaine si des taxes devaient être appliquées aux voitures importées de ces mêmes constructeurs. Quant à l'éventuel risque sur la sécurité nationale, "nous sommes convaincus que les importations de véhicules en provenance de l'UE ne représentent pas un risque pour la sécurité nationale des Etats-Unis", a ajouté le secrétaire général de l'association européenne.
L'Acea rappelle d'ailleurs que le commerce automobile représente 10 % des échanges entre les deux partenaires. Si les Français ne sont pas vraiment concernés, en attendant l'éventuel retour de PSA, les Allemands pourraient être les plus touchés même si la quasi-totalité produisent aux Etats-Unis. Ainsi, en 2017, les constructeurs allemands ont produit 803 000 véhicules dans le pays, dont plus de la moitié ont été exportés.
Le Japonais Toyota a également commenté cette enquête lancée pour le président Trump. "Une telle conclusion paraît invraisemblable compte tenu du fait que l'industrie de l'automobile est de nature mondiale et que près de 12 millions de véhicules ont été fabriqués l'an dernier aux Etats-Unis", écrit la filiale américaine de Toyota dans une déclaration transmise par courriel. "Nous partageons l'objectif de développer les emplois et l'économie des Etats-Unis, avec 1 500 concessionnaires, 136 000 employés et bientôt notre onzième usine américaine, totalisant plus de 23 milliards de dollars investis en Amérique au cours au cours des soixante dernières années", rappelle le groupe.
Qu'en est-il réellement des véhicules importés aux Etats-Unis ? Sur un marché de 17,23 millions d'unités en 2017, près de 8,7 millions ont été importés, selon le Center For Automotive Research, pour l'essentiel du Mexique, du Canada et du Japon. Et quasi exclusivement des berlines et des SUV, car les constructeurs non américains ne sont pas présents sur le pourtant très rentable marché des pick-up et autres light trucks. Selon le cabinet Edmunds.com, au moins 82 % des véhicules écoulés par Volkswagen étaient importés, 55 % pour Toyota, 57 % pour Hyundai, 70 % pour Mercedes-Benz, 68 % pour BMW.
A l'inverse, plus de la moitié des voitures vendues aux Etats-Unis par les Big Three de Detroit ont été produites sur le sol américain : 80 % pour Ford, 60 % pour General Motors et 55 % pour Fiat Chrysler. Honda est le seul constructeur étranger produisant sur place une grande majorité (65 %) des voitures vendues aux Américains.
Mais l'American Automotive Policy Council (AAPC), un lobby regroupant les grands constructeurs locaux (General Motors, Ford, Fiat Chrysler) et étrangers, rappelle aussi que l'industrie automobile américaine est l'un des premiers secteurs exportateurs du pays. Les exportations ont même doublé de 2009 à 2015, passant de 74,09 milliards de dollars à 137,66 milliards, avance l'AAPC, ce qui permet de soutenir 771 000 emplois aux Etats-Unis.
Et les Européens participent largement à ces bons résultats. En effet, BMW, qui a une usine en Caroline du Sud (Spartanburg), a exporté 70 % des 371 284 véhicules fabriqués (X3, X4, X5, X6 et bientôt X7) sur ce site en 2017, soit 272 346 pour une valeur totale de 10 milliards de dollars. "BMW produit plus aux Etats-Unis qu'il n'importe", rappelle le constructeur, qui a vendu 305 685 véhicules l'an dernier sur le sol américain. Daimler possède des usines en Alabama, Indiana, Caroline du Sud et compte 4 900 employés. En 2017, plus de 286 000 voitures ont été produites et 337 246 vendues par la marque sur le sol américain. Dans ce panorama européen, Audi et Porsche ne disposent en revanche pas d'usine sur place, et donc importent la totalité de leurs ventes : 226 511 pour Audi et 55 420 pour Porsche. Avec une nuance pour Audi qui dispose d'une usine au Mexique (Q5).
De la même manière, Toyota, qui emploie plus de 36 000 personnes et disposera bientôt d'une onzième usine dans le pays, y a produit 1,2 million de véhicules. Le Japonais a vendu 2,43 millions de véhicules aux Etats-Unis en 2017. Honda, qui emploie 4 000 personnes, dispose d'usines en Alabama, Géorgie, Indiana et dans l'Ohio, produit plus de 1,24 million de véhicules et en vend 1,64 million. Avec deux usines dans le Mississippi et Tennessee, totalisant 14 400 employés, Nissan a produit 930 000 véhicules et en a vendu 1,59 million.
Alors oui, bien sûr, des modèles importés sont vendus aux Etats-Unis, mais ce n'est sans doute pas en les taxant que cela va aider les constructeurs américains où la rétribution des actionnaires est devenue plus importante que le projet industriel. FCA est portée par la plus américaine de ses marques, Jeep, centrée sur les SUV, et par Ram/Dodge célèbre pour ses pick-up. GM, en vendant Opel et quittant l'Europe, n'est finalement plus en capacité de redevenir un leader mondial. De plus, avec le départ d'Opel, GM a perdu des compétences dans les "petites" voitures. Un marché qui ne semble plus intéresser les constructeurs de Détroit puisque Ford a revu sa stratégie américaine en concentrant ses investissements sur les pick-up et SUV au détriment des berlines traditionnelles. Un univers des berlines laissé aux constructeurs asiatiques et premium européens, ce qui explique en grande partie leur montée en puissance au fil des années. Et les clients ont été séduits. Finalement, y a-t-il un constructeur américain (hors pick-up et light trucks) aujourd'hui capable d'offrir des gammes pouvant concurrencer BMW, Mercedes, Nissan, Honda ou Toyota ?
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