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Constructeurs

La confession d’un drogué du capital

Publié le 5 juin 2015

Par Alexandre Guillet
6 min de lecture
Sergio Marchionne a une nouvelle fois défrayé la chronique lors d’une conférence avec des analystes en militant avec insistance pour une consolidation du secteur automobile et une mutualisation des coûts de développement. Mais cette fois, cela ne semble pas avoir tourné à l’avantage de Fiat Chrysler Automobiles.
“La consolidation, c’est une excellente opportunité pour créer de la valeur pour les actionnaires”, assène Sergio Marchionne.

On sait Sergio Marchionne, directeur général de Fiat Chrysler Automobiles, volontiers provocateur et parfaitement rodé aux présentations à rallonge. Lors d’une conférence avec des analystes, il n’a pas dérogé à la règle, intitulant même son intervention de deux heures et demie, “Confession d’un drogué du capital”. Recevable sur le fond, Sergio Marchionne s’est toutefois délibérément positionné dans une veine “out of the box thinking”, histoire de marquer les esprits : “Le secteur automobile brûle trop de capital bêtement, car chacun fait la même chose dans son coin, sans viser à une mutualisation suffisante. La solution au problème réside dans une plus grande consolidation du secteur”. Un constat qui peut aussi être interprété comme un nouvel appel du pied à ses homologues pour la grande fusion que Sergio Marchionne désire pour FCA, ses récentes sorties lors du salon de Genève ou quelques jours après l’assemblée des actionnaires à Amsterdam en témoignent.

“Choisir de sortir de la médiocrité et de changerle paradigme du secteur”

En parfait joueur de poker, l’un de ses surnoms sur la place automobile, Sergio Marchionne a fait mine de s’en défendre : “Mes propositions ne sont nullement motivées par la supposée position de faiblesse de FCA dans l’industrie automobile (N.D.L.R. : la dette du groupe et l’impossibilité de financer l’ambitieux plan produits en l’état actuel de la trésorerie sont régulièrement stigmatisées par les analystes), ni par une préparation de la mise en vente du groupe, bien entendu. C’est une intime conviction, une volonté de choisir de sortir de la médiocrité et de changer le paradigme du secteur”. Et d’appuyer ses propos par des slides d’exemples, souvent chiffrés. Ainsi, l’addition du Capex et de la R&D des principaux groupes automobiles mondiaux aboutissait à 76 milliards de dollars de dépenses en 2010, une valeur qui est passée à 122 milliards en 2014 et qui est appelée à encore progresser significativement au vu des défis proposés actuellement à l’industrie automobile (réduction des émissions polluantes, connectivité, etc.).

Aux limites de l’optimisation de l’architecture des groupes automobiles traditionnels

Aux yeux de Sergio Marchionne, le retour sur capital dans l’automobile est non seulement bas, mais de surcroît très volatil : “Les constructeurs développent chacun dans leur coin des composants ou des moteurs qui sont des choses invisibles pour le client final”. Pas totalement inexact, mais on peut tout de même objecter à “Super Sergio” que beaucoup de clients restent très attachés aux motorisations, sous l’angle des performances en consommation ou des performances pures d’ailleurs. Il est vrai aussi que sur certaines gammes de produits, le fait de savoir que le moteur a été co-développé ne taraude guère le client, les récents accords entre l’Alliance Renault-Nissan et Daimler étant à cet égard révélateurs. Et Sergio Marchionne de poursuivre : “Il existe bien sûr la possibilité de réduire le nombre des plates-formes et d’optimiser les effets d’échelle, Toyota et Volkswagen le font par exemple très bien. Il y a aussi la possibilité des partenariats, auxquels nous sommes rompus, ou encore des co-entreprises. Mais fondamentalement, nous touchons aujourd’hui aux limites de ces exercices”. Il rappelle que les constructeurs ont dépensé 100 milliards de dollars en développement produits en 2014, 2 milliards chaque semaine ! Et souligne qu’une nouvelle alliance signifierait pour FCA une économie annuelle comprise entre 2,5 milliards et 4 milliards selon son format.

Sergio Marchionne ne serait pas opposé à un rapprochement de FCA avec Apple ou Google

Pour autant, Sergio Marchionne n’élude pas que les opérations de consolidation comportent des risques. Mais des risques qui méritent d’être pris : “Par rapport aux risques encourus, les bénéfices potentiels à en tirer sont tellement importants ! Meilleure maîtrise des coûts de R&D, optimisation de l’utilisation des usines avec une protection des emplois plus assurée, maintien des réseaux de marques, afin de ne pas troubler le client, etc. Bref, c’est une excellente opportunité pour créer de la valeur pour les actionnaires”. Sans citer des partenaires potentiels pour FCA, Sergio Marchionne a cependant jeté un pavé dans la mare en affirmant qu’il n’était pas opposé à une association avec un membre des GAFA, évoquant Apple et Google. Si cela peut être perçu comme une provocation, il serait réducteur de limiter cette sortie à une fanfaronnade. En effet, un analyste américain rappelle qu’Eddy Cue, vice-président sénior services et logiciels internet d’Apple, siège au conseil d’administration de Ferrari depuis novembre 2012. En outre, Luca Maestri, directeur financier d’Apple, a travaillé chez GM et était notamment en charge des relations entre GM et… Fiat entre 2000 et 2005. Les deux groupes ne sont donc pas si étrangers qu’on pourrait le croire. En revanche, une association de cette nature ne semble pas cohérente avec la réorientation stratégique d’Apple, qui doit de surcroît encore digérer le rachat de Beat Electronics pour 3 milliards de dollars.

Le groupe FCA est-il ­surévalué ?

Cette présentation de Sergio Marchionne n’a vraisemblablement pas eu l’effet escompté. En effet, au lieu d’y voir une réflexion structurante, voire stimulante pour l’industrie automobile, beaucoup d’analystes l’ont identifiée comme un mouvement d’inquiétude par rapport à la situation de FCA. Car si le groupe voit ses ventes progresser et gagne des parts de marché aux Etats-Unis, cela s’opère par le biais de remises significatives, de ventes à loueurs et à flottes, autant d’opérations qui ne vont pas dans le sens d’une amélioration des marges. Certains observateurs estiment donc que FCA n’a pas forcément suffisamment de cash pour assurer le développement des futurs cycles produits et pour relever les grands défis technologiques actuellement proposés aux constructeurs. “En fait, c’est précisément cette situation qui inquiète Sergio Marchionne, car il est conscient que le groupe devrait amasser beaucoup plus d’argent dans le cycle positif qu’il traverse”, synthétise un analyste. Max Warburton, de Sanford C. Bernstein & CO., est encore plus abrupt : “Dans une slide, Sergio Marchionne se défend de mettre son groupe sur le marché ou de faire référence à son ultime grand dessein, mais on parle pourtant bien de cela. Par ailleurs, si le rendement financier du secteur automobile est effectivement plutôt faible, personne n’entend les homologues de Sergio Marchionne formuler qu’ils sont aussi embarrassés”. Et d’aligner des chiffres peu flatteurs pour FCA. Ainsi, quand Ford dégage une marge de 924 millions de dollars sur 31 milliards de chiffre d’affaires et GM de 900 millions sur 35,7 milliards, FCA rend une carte de 92 millions de marge sur un chiffre d’affaires de 26,4 milliards de dollars… “Les remises pratiquées par FCA en Amérique du Nord sont importantes. Le groupe est mieux disant que Ford ou GM. Et on parle d’un décalage de 1 500 dollars par véhicule vendu avec Toyota par exemple”, renchérit Max Warburton. Au sujet des marges, un autre analyste dresse le même constat : “Le groupe FCA n’est pas en si bonne forme qu’on le croit et il est même actuellement surévalué”. Voilà qui pourrait expliquer la volonté de Sergio Marchionne de nouer une nouvelle grande alliance pour FCA, surtout que si Jeep connaît un remarquable essor, des investissements colossaux sont attendus pour relancer les marques Fiat et Alfa Romeo. A suivre.

 

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