"Je disposais d’un orchestre de jazz et maintenant je leur demande de jouer aussi du hip-hop !"
Journal de l’Automobile. Il y a un an, vous disiez qu’il vous fallait du temps pour appréhender le groupe et ses marques et qu’en même temps, vous saviez pertinemment qu’il fallait aller vite : avez-vous réussi à résoudre cette difficulté liée à votre prise de fonction ?
Laurens van den Acker. Je pense que dans de nombreux cas de figure, la première année est souvent la plus challengée ! Il faut à la fois faire la connaissance des gens qui vous entourent, créer son réseau, comprendre la ou les marques, tout en suivant les projets en cours et en amorçant le changement. Cela revient à bien savoir où on est et à commencer à dire où on veut aller. Heureusement, j’ai pu m’appuyer sur de nombreux soutiens au sein du management du groupe. Patrick Pélata m’a ainsi beaucoup aidé, au même titre que Steve Norman. Aujourd’hui, je pense que nous savons précisément où nous voulons aller. Il faut toujours débuter par l’ADN de la marque. Or Renault est avant tout une marque humaine, d’où la mise en place d’un langage de formes simple, chaleureux et sensuel, car nous sommes aussi latins. Cette humanité doit se retrouver à toutes les étapes de la vie, comme nous l’avons expliqué. Les différents modèles doivent correspondre à ces différentes étapes de la vie tout en garantissant une cohérence d’ensemble pour la gamme.
JA. Peut-on parler de nouvelle identité pour Renault ?
LVDA. Oui. Il y avait un vrai besoin de changement, une petite révolution en somme. Et nous avons débuté par le logo, ce losange qui est un très bel objet. Nous avons cherché
à le valoriser pour renforcer la confiance et la fierté des clients. C’est une première étape importante, comme le concept-car DeZir en atteste. Sur cette base, nous avons aussi réfléchi à la façon de positionner Dacia par rapport à Renault pour éviter trop d’intersections entre les deux marques. Pour cette marque, il s’agit plus d’une évolution que de bouleversements majeurs, d’autant qu’avec le Duster, j’avais une excellente base, presque une icône. C’est vraiment une voiture très aboutie, qui sait puiser dans l’esprit de la 4L et qui surprend dans la rue. Nous allons donc continuer dans cette voie en gardant à l’esprit l’enjeu de créer une gamme complète. Avec la simplicité et la générosité, on a le cœur de l’identité. Nous n’avons pas fait de concept-car pour Dacia car cela ne coïncide pas avec la notion de frugalité propre à la marque. L’argent peut être mieux utilisé pour cette marque, ses clients étant peu sensibles au show et à l’image.
JA. Sans évoquer les différents JV dans certains pays, qu’en est-t-il du troisième pilier, RSM ?
LVDA. RSM doit partager les mêmes bases que Renault, car c’est aussi cela qui attire le client en Corée. La marque est tout à la fois perçue comme domestique et étrangère. Avec Fluence, SM3 et SM5, nous avons vu que les choses fonctionnaient. Il nous reste donc à définir la stratégie à venir de RSM. Cependant, nous n’allons pas nous lancer dans un grand chantier, dans la mesure où la marque a gagné deux points de parts de marché récemment.
JA. Vous évoquiez le nouveau logo de Renault, un logo assez proéminent. Avez-vous aussi choisi cette voie pour vous différencier de nombreuses marques qui ont opté pour une calandre pour le coup très proéminente ?
LVDA. C’est une bonne question… L’idée consistait effectivement à rechercher quelque chose qui puisse devenir iconique. Or le logo, tant graphiquement qu’esthétiquement, s’y prêtait. Il a aussi une portée philosophique intéressante, avec une lecture ying et yang. J’ai donc choisi d’en faire une force, surtout que cela fait sens sur un marché européen très sensible aux marques. Vu la profondeur et la diversité de notre gamme, exploiter la calandre comme motif fort et récurrent était plus discutable, voire impossible. C’est plus indiqué pour des marques spécialistes, Audi en étant une parfaite illustration. Par ailleurs, j’ai beaucoup travaillé sur la base d’une idée d’un de mes anciens chefs qui répétait à l’envi qu’une voiture doit aussi être immédiatement reconnaissable sans logo. Or grâce au traitement du logo que nous avons mis en œuvre, on ne peut pas imaginer nos voitures avec un autre badge.
JA. L’humain et l’affectif prennent une place très importante dans le discours actuel de la marque et pourtant, en France, la plupart des consommateurs estiment que le style de Renault est devenu lisse, consensuel, voire neutre : comment comptez-vous combler ce décalage et combien de temps cela peut-il prendre ?
LVDA. Changer une image de marque n’est jamais chose aisée et cela prend du temps ; c’est une affaire de plusieurs années. En outre, l’image se perd plus rapidement qu’elle ne se reconquiert. Par exemple, depuis trois ans, nous avons notablement progressé en qualité, mais rapporté au parc roulant que tout le monde voit, cette avancée est moins perceptible et nous en récolterons donc les fruits dans quelques années. Pour revenir à l’image, vous avez raison, il faut affirmer notre style. La démarche consensuelle s’est révélée trop “diluante”. Avec notre approche par les différents âges de la vie, nous pourrons faire des propositions plus différenciées, mais en prenant garde à ce que ce soit l’ensemble qui constitue l’identité. Dès 2012, vous mesurerez plus concrètement ces orientations. En outre, avec les véhicules électriques, nous disposons d’un formidable joker et Zoé peut devenir la Prius de Renault, à savoir un symbole de progrès pour les clients de la marque et pour les consommateurs en général. Nous avons là une formidable opportunité de boost et c’est aussi pour cette raison que je suis optimiste quant à la possibilité de changer l’image de Renault dans les années qui viennent.
JA. Autre question typée franco-française, avec les RSM (SM3, SM5) rebadgées, le discours sur un haut de gamme à 18 000/20 000 dollars, les consommateurs ont le sentiment que Renault abandonne le haut de gamme, tandis que Nissan bénéficie d’Infiniti. Quelle est votre stratégie dans ce domaine et le cas échéant, comment reconquérir ce segment ?
LVDA. A mon sens, considérant que nous sommes une marque généraliste, le haut de gamme doit faire partie de notre offre. En outre, c’est très stimulant pour les équipes de design. Nous y travaillons. On peut considérer, au regard des dernières années, que l’Espace a été le porte-drapeau du haut de gamme de la marque. Dès lors, le lancement du nouveau Renault Espace est très important pour nous. En fait, la Latitude témoigne d’un effort pour rester présent sur le segment, avant une offre de nouveau très compétitive. Surtout que nous savons qu’Espace permet à la marque de faire venir à elle des clients qui ne viendraient pas pour les autres modèles.
JA. A propos du haut de gamme, venons-en à DeZir. Quelle est la genèse du projet, sachant que c’est le premier que vous avez pu totalement superviser ? Et quels éléments peut-on s’attendre à retrouver sur des modèles de série ?
LVDA. Le concept Dezir, c’est clairement le “labour of love” ! Ce projet a suscité beaucoup d’enthousiasme dans les équipes, car ce n’est pas tous les jours qu’on leur demande de faire une Laetitia Casta sur quatre roues ! Mais au-delà d’un cahier des charges de rêve, l’exercice n’a rien de gratuit. DeZir, c’est une ambition. Pas forcément de faire une sportive deux portes roulant à 300 km/h, mais de proposer des voitures plus passionnées, nous revenons à ce que nous évoquions tout à l’heure. C’est le premier chapitre d’une démarche visant à rendre à nouveau les gens amoureux de Renault. Quant aux applications de série, la Clio 4 sera le modèle le plus influencé par DeZir, d’autant que c’est la même équipe qui travaille dessus. Vous y retrouverez donc un langage de forme que les autres marques ne se sont pas approprié. Et ce qui est essentiel pour nous, c’est que ce langage est mis au service de la qualité perçue. D’ailleurs, nous avons réduit les découpages, favorisé les surfaces lisses et nos efforts en qualité se trouvent ainsi relayés par des efforts spécifiques sur la qualité perçue.
JA. DeZir inaugure aussi une série de six concept-cars : quel est le calendrier de cette série et pourquoi avoir choisi cet axe de travail ?
LVDA. A chaque salon d’envergure, nous présenterons un nouveau concept-car. Pourquoi ? Il faut comprendre que d’ici 2012, il n’y a pas vraiment de lancements emblématiques, en termes de design s’entend, et nous avons donc choisi de raconter une histoire aux gens dans cet intervalle. En outre, j’ai demandé aux équipes du style de changer un peu d’orientation. Je disposais d’un orchestre de jazz et maintenant je leur demande de jouer aussi du hip-hop ! Le changement fait toujours peur, mais il est diablement excitant et les designers en ont toujours besoin.
JA. En termes de style, la demande sur les marchés matures se porte aussi de plus en plus sur la juste intégration des fonctions et sur des interfaces avec d’autres environnements : quelles sont vos priorités dans ce domaine ?
LVDA. Je pense que la vie était plus simple il y a 20 ans ! La demande était plus basique. Mais aujourd’hui, le client veut tout ! Des véhicules abordables, mais avec des équipements high-tech, une sécurité irréprochable et des vertus environnementales ! Je pense que Zoé est un bon exemple de la façon dont on peut arriver à proposer cela. D’une manière générale, nous travaillons beaucoup sur ces sujets, en tenant compte du fait que le constructeur doit se focaliser sur le hardware, car c’est souvent le client qui amène avec lui le software. Par exemple, nous travaillons à prolonger de plus en plus finement les équipements de téléphonie mobile dans la voiture. De surcroît, j’attire votre attention sur le fait que ce n’est pas une demande émanant exclusivement des marchés matures. On la retrouve sur les marchés émergents. Par exemple, je reviens d’Inde et c’est une tendance manifeste là-bas aussi.
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