Interview : Peter Schreyer, Directeur du design Kia Monde.
...printemps.
Journal de l'Automobile. Comment s'organise votre département design et poursuivez-vous le schisme entre Kia et Hyundai ?
Peter Schreyer. Le département design de Kia s'articule autour de trois grands centres. Le plus important est basé en Corée et centralise tous les échanges en accueillant notamment notre hub dédié aux développements techniques. Par ailleurs, nous disposons désormais d'un centre à Francfort, dans le nouveau siège européen, avec des infrastructures très modernes et des équipes très cosmopolites. Enfin, le triptyque est complété par notre centre californien. Pour répondre au second volet de votre question, sachez que les équipes Kia et Hyundai sont dorénavant séparées en Californie et que Kia devient de plus en plus indépendant, pas seulement en Europe. Au total, la marque rassemble peu ou prou 200 designers.
JA. L'une de vos principales missions consiste à trouver des réponses aux demandes des clients européens, comment définiriez-vous la sensibilité stylistique européenne ?
pS. Ma principale mission dépasse largement le cadre de l'Europe, car il s'agit en fait de mettre en œuvre un langage stylistique global pour la marque. Par global, il faut entendre un langage générique capable de s'adapter à tous les marchés en tenant compte de leurs spécificités. L'idée est bel et bien d'affirmer une identité Kia unique partout dans le monde. Dès lors, on peut dire que nous ne suivons pas les tendances, mais que nous devons les inventer, pour le compte de la marque, avant de les décliner au gré des particularités de chaque marché. Par exemple, en Europe, on sait que les clients sont attentifs au caractère athlétique des véhicules, avec un goût évident pour les modèles bien sculptés et une attention très pointilleuse sur la qualité de finition et les détails.
JA. Quel est, selon vous, le segment le plus important sur le marché européen ?
pS. J'aurais tendance à dire qu'il s'agit comme partout du segment C. Avec les différentes déclinaisons de la Cee'd, 5 portes, Sport-Wagon et coupé, nous sommes d'ores et déjà compétitifs sur ce segment. Par ailleurs, il ne faut pas négliger le segment B, amené à se développer dans les années à venir. En outre, pour d'autres raisons, le segment D est aussi important et nous comptons y prendre sérieusement position.
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JA. Quelles différences majeures stigmatiseriez-vous entre l'Europe traditionnelle de l'Ouest et l'Europe émergente de l'Est ?
pS. Sous l'angle du design, il n'y a pas de différences majeures ! Le travail d'ajustement porte principalement sur les offres de motorisations, les catalogues d'options et le pricing. Mais pour le style, il n'y a pas lieu de créer des catégories. Ce serait même dangereux et générateur de confusion dans l'esprit des clients, surtout dans l'optique de fonder une image de marque générique. Cependant, nous savons que l'Europe de l'Est se caractérise par un écartèlement prononcé entre le low-cost et le haut de gamme. De même, sous l'impulsion d'une croissance très forte, les choses évoluent très vite. Il faut donc tenir compte de ces deux paramètres, mais je le répète, c'est plus une affaire de stratégie commerciale.
JA. Quel regard portez-vous sur les autres grands marchés et notamment sur la Chine ?
pS. Chacun connaît les dominantes stylistiques des grands continents, mais j'insiste sur le fait que l'essentiel est d'affirmer une marque et d'imprimer son identité de façon unique, immédiatement identifiable et compréhensible. A propos du cas particulier de la Chine, on se rend compte qu'ils sont très tentés par l'imitation, voire la copie. D'une certaine manière, cela peut se comprendre dans la mesure où ils n'ont pas d'histoire et de culture automobile. Bref, pour se démarquer, il leur reste beaucoup à apprendre…
JA. Pouvez-vous rentrer dans le détail du processus de conception&développement d'un modèle Kia ?
pS. Nous intervenons dès le début du process, en lien avec les équipes de l'ingénierie et du commerce. Ensuite, nous suivons le parcours classique en vigueur chez la majorité des constructeurs avec une phase de sketching, puis de mise à l'échelle, à laquelle je reste personnellement très attaché, avant d'aboutir à plusieurs propositions et à l'arbitrage final. Par ailleurs, chez Kia, nous mettons presque systématiquement en concurrence deux centres de design pour la conception d'un modèle. C'est une saine effervescence, à la fois motivante pour les équipes et féconde du point de vue de la créativité.
JA. La multiplication des modèles rime aussi avec des délais de développement plus réduits et un contrôle des coûts renforcé : comment gérez-vous ces nouvelles contraintes ?
pS. Je ne suis pas certain qu'il soit pertinent de parler de "contraintes". D'autant que tous les constructeurs sont logés à la même enseigne sur ce sujet. Les frictions qui peuvent exister entre le département design, les ingénieurs et les responsables des Achats sont inhérentes à notre travail. On peut les polir, mais sûrement pas les éviter, surtout avec les nouvelles normes liées à la sécurité et à l'environnement qui viennent encore compliquer la donne. En fait, je crois que c'est le challenge propre à nos métiers et dans une certaine mesure, ce sont aussi les restrictions qui nous font avancer et faire preuve de créativité.
JA. Le concept de voiture mondiale vous semble-t-il réaliste ou est-ce une vue de l'esprit eu égard à la diversité des marchés ?
pS. C'est un concept on ne peut plus réaliste. Prenez par exemple un modèle Aston Martin et vous avez une voiture mondiale qui plaît partout. Dans le même esprit l'iPod est un objet mondial. En fait, on fait fausse route en limitant ce concept au prix et au plus grand nombre. Cela fausse la perspective et la réflexion. J'en reviens à ce que j'évoquais en préambule : bien sûr, il existe nombre de spécificités par marchés, mais cela ne rime pas forcément avec des sensibilités stylistiques fondamentalement différentes et irréconciliables.
JA. Mais seriez-vous enthousiaste à l'idée de devoir concevoir une "Kia Logan" ?
pS. Oui, bien sûr, ce serait sympathique ! Cela représente un vrai challenge, surtout qu'il ne faut pas assimiler le low-cost à une régression. C'est en fait une alchimie très subtile entre créativité, utilitarisme et climax du contrôle des coûts. Dans le cadre d'un projet de cette nature, il ne faut surtout pas se focaliser exclusivement sur le prix final et s'arc-bouter sur la notion du "moins cher possible". Le coût fait partie du cahier des charges, mais la réussite d'un modèle low-cost passe avant tout par la conservation d'une émotion, d'un message et d'une utilité.
JA. A vous entendre, on jugerait que vous travaillez sur un projet de ce type…
pS. Peut-être… Mais vous bien savez bien qu'il y a des choses confidentielles dans nos métiers. Et d'une manière générale, on ne peut pas dire que nous commercialisons des modèles hors de prix actuellement.
JA. Que répondez-vous à certains de vos détracteurs qui reprochent à Kia de décliner un design trop timide et passe-partout ?
pS. Le style de la marque était jusqu'alors trop anonyme, nous le reconnaissons volontiers. Et comme je le disais tout à l'heure, ma mission consiste justement à fonder une image de la marque et à la façonner sous le sceau d'une reconnaissance immédiate. Il s'agit de créer l'ADN de la marque et d'imposer un caractère. Nous y parviendrons même si cela ne peut s'opérer que par étapes. Pas à pas et modèle par modèle. Nous avons déjà débuté avec les Sorento, Ceed et Picanto et nos prochains modèles vous surprendront encore agréablement.
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JA. Dans le cadre de ce travail de fond, projetez-vous de rendre la marque Kia plus allemande ?
pS. Pourquoi pas ? Je ne vais pas renier mes origines, mes influences et mes précédents travaux. Au contraire, je crois qu'ils me sont utiles aujourd'hui. En outre, dans l'automobile, le design allemand jouit d'une culture très dense et fait partie des références sur certains segments. C'est donc une richesse que je ne vais pas m'interdire d'utiliser. En revanche, entendons-nous bien, nous n'allons pas chercher à copier les marques allemandes, ce serait voué à l'échec et en totale inadéquation avec nos ambitions.
JA. En songeant aux décennies à venir et aux recherches sur les énergies alternatives, mais aussi aux contraintes environnementales de plus en plus fortes, êtes-vous plutôt enthousiaste ou pessimiste en tant que designer ?
pS. Enthousiaste ! Les recherches menées actuellement sur les motorisations et les énergies ouvrent de nouveaux champs des possibles, très vastes. Avec un impact évident sur l'architecture fondamentale des véhicules ! De surcroît, les recherches sur la sécurité nous réservent de grandes innovations, avec la poursuite du rêve du zéro accident. Bref, l'avenir est excitant, d'autant que contrairement à ce que veulent faire croire certains, nos sociétés ne sont pas prêtes d'abolir la voiture qui reste une solution de mobilité individuelle certes écologiquement perfectible, mais irremplaçable.
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