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Constructeurs

Fiat : Une renaissance italienne

Publié le 22 juin 2007

Par Alexandre Guillet
11 min de lecture
Moribonde il y a encore trois ans, la Fiat faisait alors partie des constructeurs en trop… Et la plupart des spécialistes ne s'embarrassaient pas pour prédire sa disparition. Grâce à une négociation d'anthologie avec GM et à une restructuration originale, le groupe italien a pourtant redressé...

...la tête et évolue actuellement avec un bel allant. Retour sur un monument italien et sur une opération Phénix orchestrée par Sergio Marchionne.

Histoires

Le 11 juillet 1899, naît la societa anonima "Fabbrica Italiana Automobili Torino", à l'initiative d'une trentaine d'entrepreneurs parmi lesquels on trouve Ceirano, Faccioli, Vincenzo Lancia et surtout, un certain Giovanni Agnelli. Homme d'action par excellence, Giovanni Agnelli se lance dans l'aventure automobile avec l'ambition de permettre à l'Italie de rattraper son retard vis-à-vis de la France et de l'Allemagne, mais sans se départir d'un grand pragmatisme économique. Les premiers succès ne se font pas attendre et Fiat change de dimension en construisant à Turin l'usine du Lingotto qui entre en action en 1922. Parfait paradigme du fordisme, elle s'impose comme un fleuron industriel en Europe. Au même titre que Fiat qui symbolise déjà l'Italie et qui sortira renforcée de la Première Guerre mondiale. Giovanni Agnelli nourrit des ambitions mondiales : Fiat s'appuie sur des usines en Europe, en Amérique du Sud et en Asie et lance Simca en France, Fiat-NSU aux Etats-Unis et Seat en Espagne. Son outil industriel est constamment modernisé comme en témoigne la livraison de l'avant-gardiste usine de Mirafiori en 1939. Ce n'est pourtant pas la période la plus glorieuse de l'histoire italienne et Mussolini impose d'ailleurs à la Fiat une stratégie plus autarcique et un engagement sur plusieurs industries lourdes : "Sur terre, sur mer et dans les airs". La Seconde Guerre mondiale est déclenchée et en 1945, Fiat est à l'image de l'Italie, face à un immense chantier de reconstruction. Giovanni Agnelli meurt et Vittorio Valleta prend alors la présidence de Fiat. S'ensuit ce qu'il est convenu d'appeler "le miracle italien" et le groupe retrouve rapidement son rayonnement avant de profiter du boom économique de la fin des années 50, d'autant que l'automobile est l'un des principaux moteurs de la croissance en Italie. En dépit de conflits sociaux répétés (15 millions d'heures de grève en 1969 !) et souvent très violents, notamment dans le Piémont, Fiat poursuit sa progression. A partir de 1966, sous l'égide de Giovanni Agnelli, petit-fils du fondateur, le groupe modernise ses méthodes de production, adoptant l'automatisation, pour réduire l'impact des crises pétrolières. Dès la fin des années 70, Giovanni Agnelli impose son style et son mode de gouvernance, en multipliant les diversifications. Fiat prend alors le visage d'une holding constituée d'une pléiade de sociétés autonomes. Le pôle automobile regroupe Fiat, Lancia, Autobianchi, Abarth et Ferrari. Mais dès l'orée des années 90, le groupe commence à décliner, en multipliant les modèles insipides, voire inadmissibles. Les problèmes de qualité et de fiabilité se multiplient et la crise éclate. Les ventes s'effondrent et les résultats financiers plongent dans le rouge. En 2000, exsangue, la Fiat passe un accord avec GM, accord qui ressemble fort à l'amorce d'un rachat… D'autant que le plan produits brille surtout par son incontinence et que le groupe doit faire appel aux banques pour ne pas sombrer. Même le joyau Ferrari est mis en gage…

Une incroyable résurrection

Les premières années du 21e siècle ressemblent à une lente agonie, surtout qu'à la déshérence industrielle viennent s'ajouter des spasmes familiaux. Les banques créditrices accomplissent leur office et le groupe est dépouillé de quelques branches porteuses, comme celle du matériel ferroviaire par exemple. L'ombre du fameux "put", élément clef de l'accord passé avec GM, plane de plus en plus lourdement… Gianni Agnelli s'éteint, comme un symbole. Terrible coup du sort, Umberto Agnelli décède quelques mois plus tard. L'heure de gloire de l'administrateur délégué Giuseppe Morchio, qui a commencé à assainir le groupe, semble venue. Mais tout le monde ne l'entend pas de cette oreille et les choses s'accélèrent : Luca di Montezemolo, le "fils préféré" qui a transformé en or tout ce qu'il a touché chez Ferrari, devient président ; la démission de Morchio est organisée en un clin d'œil et un pur financier qui revendique son attachement à la rigueur helvétique est nommé administrateur délégué. Il s'agit de Sergio Marchionne, inconnu dans la sphère automobile. D'emblée, il identifie qu'il faut avant tout dénouer l'imbroglio GM, cette épée de Damoclès qui démotive les troupes et ne génère qu'instabilité ou inertie. Il fait valoir ses qualités de négociateur hors normes et frappe un grand coup : le 14 février, un communiqué tombe : "GM paiera à Fiat un montant de 1,55 milliard d'e pour dissolution de l'accord y compris l'annulation de l'option de put, la dissolution du joint-venture et la restitution à Fiat des 10 % détenus par GM dans son capital". Une bouffée d'oxygène qui redonne à Fiat une marge de manœuvre, même si la trésorerie demeure fragile. Un acte fondateur qui adoube Sergio Marchionne, au même titre que sa position inflexible vis-à-vis des banques, et lui permet d'entrer dans le vif du sujet. Définissant une stratégie de recentrage sur l'automobile, avec le produit et la qualité comme viatiques, il taille à la hache dans les frais généraux pour dégager des économies substantielles. Au niveau des ressources humaines, il refuse de succomber aux sirènes des plans sociaux pharaoniques et prend le problème par le haut de la pyramide : la quasi-intégralité des cadres est renouvelée (90 % !). Exit les anciens conservateurs résignés et coupés des réalités du terrain et bienvenue aux "kids", des jeunes managers de 30 à 45 ans empreints de culture internationale et travaillant en mode "missions". Aujourd'hui, la chaîne décisionnelle est très courte au sein du groupe et les réunions du top management, limitées à une vingtaine de personnes, sont tournées vers l'opérationnel. Le dynamisme est de retour et un indicateur en témoigne : Fiat attire de nouveau de jeunes talents et débauche aisément chez ses concurrents. Sur le front névralgique des produits, Fiat réussit à surnager grâce au succès de la Punto, ce qui laisse à la direction le temps nécessaire pour établir un plan de lancements ambitieux d'ici 2010. Dans ce contexte, les premiers résultats des Bravo, Linea et 500 seront déterminants. Au final, Fiat a redressé la tête en termes de ventes et de finances. En 2006, le groupe a fortement progressé sur son marché domestique et dans la zone Europe (PDM respectives de 30 et 9 %), tandis que les résultats financiers sont revenus dans le vert. La cotation du titre a progressé de 80 % en 2006 et les actionnaires ont redécouvert le mot dividendes. Le groupe a aussi repris le contrôle de Ferrari. Cependant, Fiat reste en convalescence à bien des égards et se gardant d'ailleurs de tout triomphalisme, Sergio Marchionne répète à l'envi que les véritables comptes seront faits en 2010.

Un portefeuille de marques

Au-delà de ses participations dans d'autres secteurs d'activités (banques, presse, sports…), le groupe Fiat s'articule autour d'une mosaïque d'entreprises dans l'automobile : l'équipementier Magneti Marelli, Comau (machines-outils et robots), Teksid (pièces moteurs), Elsasis et le Centre de Recherches Fiat (R&D). Autant de points d'ancrage qui lui garantissent une certaine stabilité et des opportunités, comme la toute récente création de CheckStar (réseau de réparation multimarque) en atteste, par exemple. Par ailleurs, sur le plan des marques à proprement parler, les principales pépites n'appartiennent pas au nouveau Groupe Fiat Automobiles SpA, né en février dernier. En satellite, on trouve donc Ferrari, marque mythique qui a retrouvé une stratégie commerciale digne de ce nom. Les ventes progressent, au gré d'une diversification régionale très favorable. La marque reste positionnée sur le rêve, la sportivité extrême et l'exclusivité et sa direction n'envisage pas de processus de "démocratisation" à la Porsche. Un choix cohérent par rapport à la présence de Maserati. Maserati fait l'objet d'une politique de relance produits ambitieuse, qui a porté ses premiers fruits l'an passé, et doit théoriquement retrouver l'équilibre financier en 2009. Pour assurer sa pérennité, des synergies, rimant avec économies d'échelles, avec Alfa Romeo sont aussi en phase d'études. Par ailleurs, il ne faut surtout pas oublier Iveco, CNH et Irisbus, trois sociétés estampillées "Industrie" qui vivent des heures florissantes. Sergio Marchionne ne cache d'ailleurs pas que c'est en large partie grâce à leurs bénéfices que les plans de relance des marques Lancia, Alfa Romeo et Maserati sont financés. Reste enfin le noyau dur du groupe qui réunit quatre marques : Fiat, Lancia, Alfa Romeo et Fiat VUL. La réussite du plan produits de Fiat conditionnera son avenir, étant entendu que les choses s'annoncent plutôt bien avec les débuts prometteurs de la Bravo, modèle essentiel en termes de marge, et l'incroyable engouement suscité par la nouvelle 500. La marque devra toutefois prendre position sur certains segments (comment une telle marque a-t-elle pu rater le train des monospaces ?) et sur les marchés émergents pour jouer dans la cour des grands. A l'image du pôle véhicules industriels, Fiat VUL accumule les succès et s'affirme de plus en plus comme l'un des piliers du groupe. Le cas d'Alfa Romeo est bien différent… Si la marque conserve une image flatteuse, elle souffre face à la concurrence germanique et a totalement manqué le rendez-vous "SUV & crossover" pour lequel elle était pourtant taillée sur-mesure. Si sa distribution suit, ce qui n'a pas toujours été le cas par le passé, elle possède néanmoins bien des atouts pour renouer avec les profits. On sera plus prudent concernant Lancia. Certes Sergio Marchionne a affirmé qu'il n'avait pas conservé cette marque pour le plaisir et que son audit avait mis au jour un réel potentiel. Mais il n'en demeure pas moins que sauf en Italie, Lancia est aujourd'hui la marque la plus désincarnée du groupe, avec une gamme désarticulée, une réputation vacillante et un positionnement trop flottant. Le retour vers les sommets s'annonce long, dépendant une nouvelle fois des produits à venir et de l'équilibre de la distribution. Enfin, le revival d'Abarth semble pertinent pour travailler le capital image et générer des ventes additionnelles.
En somme, le groupe Fiat apparaît très complet, bénéficiant de marques à fois distinctes et complémentaires sous l'angle des segments de marché. Ainsi, par rapport à ses concurrents français par exemple, il n'a pas le problème du lucratif haut de gamme à résoudre. En outre, il est tout à fait légitime sur les petits véhicules. La clef de son avenir se situe sans nul doute entre les deux, sur les segments de moyenne gamme où on peut allier volumes et rentabilité.

Trois défis à relever

Inutile de chercher à aller plus vite que la musique, mieux vaut se fier à la date de 2010 fixée par Sergio Marchionne pour augurer de l'avenir avec un grand A du groupe. Fiat devra alors avoir épongé ses dettes, son chiffre d'affaires avoisinera les 67 milliards d'e, contre 32,5 aujourd'hui, et son résultat net s'établira aux alentours de 3,5 milliards d'e. Le groupe compte être capable de produire - et de vendre - 2,8 millions de véhicules (hors joint-venture), contre moins de 2 millions actuellement. Toutes les marques devront être bénéficiaires ou revenues à l'équilibre. Pour alimenter cette ambition, 23 nouveaux modèles et 16 restylages sont programmés.
Par ailleurs, trois défis d'envergure peuvent d'ores et déjà être mis en avant. Tout d'abord, l'après-vente. C'est un chantier prioritaire pour le groupe dans presque tous les pays où il est implanté. Fiat est clairement en retard dans ce domaine et les enquêtes de satisfaction clients en témoignent cruellement. Ainsi, dans la dernière étude française J.D.Power, parue la semaine dernière, Alfa Romeo et Fiat figurent encore en queue de peloton. Consciente de la situation, la direction du groupe a amorcé un vaste programme d'amélioration, en sous-traitant certaines activités à des spécialistes comme MSX par exemple. Si les premières améliorations sont sensibles, cela reste un travail de longue haleine.
Par ailleurs, Fiat va devoir relever le défi de la mondialisation. Dans cette perspective, l'accord conclut avec Tata mérite d'être salué. D'autant que le groupe n'aurait aucun mal a s'imposer sur le marché du low-cost, pourquoi pas via un revival de la marque Autobianchi, actuellement à l'étude selon les dires de Sergio Marchionne. Pour la zone "Europe de l'Est-Europe centrale-Russie", le groupe peut faire jouer sa lointaine expérience, mais surtout une précieuse carte Diesel. Toutefois, Sergio Marchionne devra trouver des solutions pour envisager une présence en Amérique du Nord (au-delà de la seule marque Alfa Romeo) et surtout en Chine où le groupe a pris un retard significatif.
Enfin, Fiat va devoir trouver sa place sur la scène de l'innovation sur les énergies alternatives, au-delà du GNV. Ce qui passera automatiquement par un partenariat avec un autre groupe (ou plusieurs). L'inquiétude n'est pas de mise dans la mesure où le groupe peut s'appuyer sur une bonne expérience des partenariats ponctuels (PSA, Ford, Suzuki, Tata…). Il convient simplement de ne pas perdre trop de temps car de nombreux concurrents sont plus avancés sur ce dossier.


 Alexandre Guillet

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