Entretien avec Pierre Duguet, chef de projet X6 (C6)
...Journal de l'Automobile. Racontez-nous brièvement la genèse de X6, devenu commercialement C6.
Pierre Duguet. Notre réflexion fut la suivante : Nous sommes généralistes, pas question de s'attaquer au segment des Audi A8, Phaeton… Notre créneau c'est plutôt de venir taquiner les Peugeot 607, Volvo et autres Audi A6, avec une référence prestations sur la Mercedes Classe E, mais sans aucune revendication de lui tailler des croupières. Au début c'était assez flou, mais en gros, il fallait se repositionner sur le haut de gamme, avec tous les codes inhérents à ce segment. En s'attachant au marché, sans s'occuper d'XM.
Avant de valider ne serait-ce que la silhouette berline, nous avons regardé si il n'y avait rien à faire sur le segment du monospace, très en vogue. Il y a eu des maquettes, mais le choix n'a pas été retenu. Nous avons voulu suivre une autre expression de l'espace, une composante essentielle du confort. Plus en longueur, plus à l'horizontale, tout en gardant une voiture élégante, racée. Après cela, un constructeur généraliste qui veut faire du haut de gamme doit se démarquer un peu des standards allemands, affirmer sa légitimité par la différence. Sinon nous avions une petite chance en France, mais aucune sur les marchés étrangers. A ce titre, impossible de présenter une berline trois corps conventionnelle. La silhouette de C6 est donc inclassable, tricorps au milieu tout en étant bicorps sur les côtés, donnant une impression de coupé grâce aux portes sans montant. Elle rappelle pourtant tous les codes chers à Citroën, à savoir un style simple, facile à lire, une certaine élégance, avec un grand porte-à-faux a l'avant.
Le concept-car Lignage, qui a inspiré C6, fut présenté a Genève en 1999. Il avait alors été réalisé en 5 mois, et les premiers dessins furent réalisés au mois d'octobre dans un restaurant, sur un coin de table, déjà avec Marc Pinson, le designer final, qui était alors un des rares français dans le design auto. Ce n'était qu'une idée de Salon, une recherche de concept, à ce moment-là. La validation définitive du projet a eu lieu en juillet 1999. Les deux derniers projets étant celui d'aujourd'hui et celui de Pininfarina qui avait également participé aux recherches.
JA. A quelle demande particulière du constructeur répond le projet C6 ?
pD. La marque a fait beaucoup d'efforts ces derniers temps en termes de largeur de gamme. Car si l'histoire de Citroën est belle, riche, chatoyante… on ne peut pas dire que la profondeur ait toujours été un maître mot ! La deuche d'un côté, la DS de l'autre, rien ou presque entre les deux, ce n'était pas simple !
Comme Peugeot, nous considérons qu'un constructeur généraliste ne proposant pas de haut de gamme dans son catalogue perd progressivement en crédibilité et en notoriété. Il perd alors son image sur la haute technologie, le savoir faire. Citroën n'avait plus de voiture sur ce segment depuis longtemps, il a donc été considéré que C6 était vitale pour la société. Il a fallu évaluer la place et de la légitimité de Citroën dans le segment du haut de gamme. Ça a pris pas mal de temps et de réflexion stratégique, mais il était temps de le faire. Pour résumer, C6 est le résultat d'une volonté mais aussi d'une nécessité de construire une gamme complète autour des valeurs qui sont celle de Citroën.
JA. Pourquoi le projet a-t-il alors été mis en sommeil pendant si longtemps, retardant d'autant la sortie du véhicule ?
pD. Pendant toute la phase de réflexion autour de la construction de la gamme Citroën, il a fallu faire des arbitrages, et ralentir un peu le mouvement sur le projet C6, pas pendant deux ans complets, mais tout au moins pendant des périodes étalées sur deux ans. Sans état d'âme et sans aigreur, nous considérions, tout comme la direction de Citroën, que la logique de gamme complète était importante, C6 venant naturellement compléter et finir l'offre.
Soulignons par ailleurs que ce relatif retard a permis une parfaite mise au point de l'ensemble des solutions technologiques présentes sur C6, ce qui a demandé, pour certaines, beaucoup plus de temps que prévu.
JA. La C6 a-t-elle réellement une place commerciale, ou bien est-elle plutôt un véhicule d'image, une vitrine, comme certains l'ont fait ?
pD. La revendication en termes de marché est modeste (7 000 en FR et 20 000 dans le monde en 2006), mais il ne faut pas interpréter ces chiffres comme un manque de confiance dans le projet de notre part. Nous partons de rien, avec derrière nous 5 à 6 années sans haut de gamme, ou presque. Il nous faut conquérir des parts de marché. Mais C6 se pose également en vitrine pour la marque. Elle possède exactement les mêmes cotes qu'une Audi A6 par exemple, mais quand on les met à côté, elle "présente" plus, indéniablement. Tout en restant accessible, puisqu'à niveau d'équipement égal, la Citroën émarge tout de même à 10 000 euros de moins ! Et par rapport à une Mercedes, c'est 15 000 euros de moins ! Pourtant nous ne ferons pas d'effet d'annonce avec 40 000 voitures comme certains peuvent le faire.
JA. Aujourd'hui le véhicule roule, comment vous l'évaluez par rapport à ses concurrentes ?
pD. Sur les prestations, nous avons mis des références concurrentes en face. Ce ne sont pas toujours les mêmes. Pour la suspension, il s'agissait de la Mercedes S (NDLR : du segment supérieur), mais également BMW pour le comportement routier, bien qu'il s'agisse d'une propulsion. Hors, on sait bien que les tractions ont un caractère sous-vireur plus compliqué a gérer, mais nous n'avons pas hésité a nous y frotter ! C6 est le résultat de ce travail de benchmark, nous permettant d'aligner un véhicule digne de son rang dont nous n'avons pas à rougir. Au final, C6 se pose en voiture à la fois confortable, mais présentant également des qualités dynamiques très satisfaisantes. Nous voulions une voiture "plaisir de conduite". Ses valeurs sont l'expressivité, la vitalité et le bien être. C'est un coupé à la conduite sympa, ce n'est pas une péniche, et elle reste malgré tout agréable à vivre grâce à son confort de suspensions, son espace habitable, la grande surface vitrée…
JA. C6 peut-elle sortir des sphères franco-françaises, plus proches de la culture Citroën ?
pD. Oui bien sûr, il y a de la place en Allemagne et au Royaume-Uni pour quelques milliers de voitures, mais nous visons également la Chine, qui représente aujourd'hui un gros potentiel sur le haut de gamme. Audi s'y est installé, fabrique et vend 60 000 A6 par an sur place, et Volvo y réalise des chiffres plus qu'honorables avec la S80. L'émergence des richesses dans ce pays fait a créé un engouement pour les véhicules importés. C'est devenu important et valorisant d'avoir des voitures étrangères en Chine. Avec des objectifs de 5 000 C6 par an en Chine, nous pensons être dans le vrai.
JA. Est-ce que malgré cette fierté évidente, vous avez des quelconques regrets sur un point concernant ce véhicule.
pD. J'aurais aimé qu'elle sorte un peu plus tôt, avant les fêtes plutôt qu'après ! (Rires) sinon bien sûr, il y a toujours des petits détails stylistiques. Nous pouvons par exemple regretter d'avoir été tributaires de pièces transversales (comodos notamment), car C6 devrait plutôt se positionner en creuset de technologies pour les autres modèles et non l'inverse. Maintenant, nous ne sommes pas les seuls à le faire. Sur une Jaguar par exemple, vous retrouvez des comodos de Ford Mondeo, une Aston Martin arborant quant à elle des comodos de Ford également. C6 est un modèle à faibles volumes, on ne peut donc pas développer spécifiquement tous les composants pour elle. Enfin, le partenariat entre les marques, la politique de plate forme et les composants communs sont un grand leitmotiv de Jean-Martin Folz.
JA. Claude Satinet a-t-il suivi le projet avec intérêt tout le long de son développement ?
pD. Il a été là dans toutes les étapes de décision bien sûr, mais il est resté également très participatif, avec les stylistes. Je n'ai pas peur de dire qu'il a été ex-tra-or-di-naire du début jusqu'à la fin du projet. Il a eu le culot de décider au départ le concept alors qu'à l'époque, nous étions assez peu à nous montrer fan de ce type de voiture. Sa volonté très avant gardiste, de changement radical, a été une précieuse alliée. A chaque fois que nous avons organisé des roulages avec un prototype, et ce depuis 2003, il ne s'est jamais désisté et a tenu à suivre toutes les étapes. Ce n'est pas courant. Il a été le soutien numéro 1 de C6, le numéro deux étant Jean-Martin Folz, qui s'est également particulièrement impliqué dans cette voiture.
Propos recueillis
par Frédéric Richard
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