Entretien avec Patrick Le Quement, directeur du Style Renault : "C'est un homme droit qui a des idées ondoyantes".
...dont… Georges Douin ! Avec sa verve habituelle, Patrick le Quément revient sur cette aventure et dévoile aussi des pans méconnus de la personnalité de Georges Douin.
Journal de l'Automobile. D'une manière générale quel portrait brosseriez-vous de Georges Douin ?
Patrick Le Quément. Au premier chef, je m'attarderai sur le mot "polytechnicien". Parce que je crois que c'est un vrai "polytechnicien" ! C'est-à-dire quelqu'un de très rationnel. C'est un homme droit. Droit et courageux. Avec de réelles convictions. Et quand il prend une position, il l'argumente, la défend. Et il ne fuit jamais devant les positions qu'il a prises auparavant. Et quand une décision est prise et entérinée, il ne revient pas dessus. C'est tout le contraire d'une personne fuyante. Mais attention, il ne faut pas en conclure que c'est quelqu'un de rigide. Il a même l'immense qualité de ceux qui savent s'adapter avec le souffle du vent, qui vont dans le bon sens. Enfin, Georges Douin est quelqu'un de foncièrement honnête et fidèle en amitié. Ce qui est naturellement très important à mes yeux. D'ailleurs, en ce qui me concerne, j'ai toujours eu un rapport très amical avec lui. Et c'est un homme que je respecte et qui m'impressionne.
JA. Vous avez beaucoup œuvré pour que le département design occupe une place importante au sein de Renault, et vous répétez souvent que la tâche ne fut pas simple du fait de nombreuses forces de résistance. Georges Douin fut-il un de vos soutiens et si oui, dans quelle mesure ?
PLQ. Vous savez, la résistance : elle continue ! Il ne faut pas croire que tout est simple ! Mais revenons à Georges : il a joué un rôle important dans ce processus puisqu'il a été à chaque fois présent dans les comités de sélection. En fait, au début de l'année 1998, quand je suis arrivé dans l'entreprise au sein du département design, Georges Douin a été nommé directeur du bureau d'études. Et nous dépendions tous les deux d'un patron qui s'appelait Aimé Jardon, directeur général adjoint. Nous étions collègues et puis après un certain temps, Georges Douin a pris la succession d'Aimé Jardon. Donc il est devenu le directeur technique et du même coup, mon patron. C'était un choc ! Pas parce que c'était lui, mais parce que c'était la première fois que j'avais un patron plus jeune que moi. Et là, quand même, je me suis dit que j'avais de la chance que ce soit lui et pas quelqu'un d'autre. Même s'il est évident que nous n'avons pas toujours été d'accord, c'est clair.
JA. Y a-t-il des moments particuliers auxquels vous pensez en disant cela ?
PLQ. Je répète que c'est quelqu'un de très rationnel, tout comme Louis Schweitzer d'ailleurs, quelqu'un qui a vraiment les pieds sur terre et qui a un point de vue très "client". C'est-à-dire qu'il multiplie les remarques objectives comme "Attention à la visibilité à l'arrière" ou "Attention à la hauteur du bandeau" par exemple. De ce point de vue, il avait vraiment une approche extrêmement rationnelle. Donc, parfois, lui et le directeur du produit ont défendu des positions qui n'ont pas rendu ma tâche très facile ! Un exemple : tout le monde admire l'Audi TT, mais pour nous, c'était inconcevable de faire une TT avec un bandeau qui peut être considéré comme une simple meurtrière… En fait, chez Renault, il y a principalement deux types de véhicules : la gamme des voitures à vivre, comme les monospaces par exemple, et la gamme des voitures classiques, comme la Laguna par exemple. Moi, je n'ai jamais eu de problème pour dessiner des voitures classiques. La première Laguna, celle d'aujourd'hui, ou la prochaine, ce sont des projets qui se sont passés sans difficultés. En revanche, par rapport à la famille des "voitures à vivre", la tentation des ingénieurs est de demander des prestations qui sont souvent difficilement conciliables avec l'obtention d'un bel objet. Ce qui s'est notamment parfois traduit par des arrières très droits par exemple. En fait, la tradition des voitures à vivre, c'est d'essayer de concilier l'inconciliable, avec en arrière-plan, le danger de tomber dans un aspect trop utilitaire.
JA. Pouvez-vous être plus précis…
PLQ. Attention, je ne veux pas qu'on puisse mal interpréter mes propos. Quand je suis entré dans l'entreprise, je savais qu'il y avait un ancien directeur technique qui avait dit : "Le rôle du style, c'est d'habiller le bossu"… On en revient au danger de tomber dans une dimension trop utilitaire. Ce n'est pas le cas de Georges Douin parce que d'une part, ce n'est pas du tout un personnage arrogant, et que d'autre part, il a toujours défendu avec beaucoup de vigueur et d'énergie la tradition des voitures à vivre. Simplement, moi, de temps en temps, je disais "Prenons garde, on va revenir dans le registre "habiller le bossu"". Bref, disons qu'en général, la tâche des designers Renault est peut-être un tantinet plus difficile que dans d'autres entreprises… Je m'explique : quand vous demandez à un designer de la marque quelle est à ses yeux l'importance des proportions, il considère que c'est ce qui fait une belle voiture à 70 %. Et ce qui est intéressant, c'est que ce mot "proportion" n'est pas compris par les gens, les ingénieurs. Il n'y a pas de formule mathématique magique pour la proportion ! Dans ce domaine, il y a une part subjective importante qu'il faut accepter.
JA. Revenons à Georges Douin : il est souvent vanté comme un manager souple doté d'une excellente capacité d'écoute. Vous avez été amené à travailler avec lui sur plusieurs projets d'envergure, partagez-vous cette analyse ?
PLQ. Tout à fait ! Et ce que les gens savent peut-être moins, c'est qu'il a vraiment beaucoup d'humour. Plusieurs souvenirs me reviennent à l'esprit lorsqu'il faisait des discours de départ pour certains collaborateurs. Déjà, il est idéal pour ce genre de discours : il a l'air un peu sec, un peu raide, c'est un polytechnicien, il est habillé de façon extraordinairement classique, avec son petit pull-over, etc. Et puis, avec un ton très sérieux, il vous dit des choses d'une drôlerie ! Il trouve les bons mots, la bonne histoire. L'an passé, après avoir fait une présentation lors d'un séminaire consacré à l'international, il a eu une standing ovation ! Il avait été extraordinaire et très drôle ! D'une manière générale, il a toujours trouvé le message juste, les mots chaleureux pour son interlocuteur. Et pour les départs, il est merveilleux, vraiment très bon.
JA. Est-ce qu'il sera aussi bon pour son propre discours de départ à votre avis ?
PLQ. Oui, je pense ! D'autant qu'il se maîtrise très bien. Le problème de la plupart des gens, c'est qu'ils ne parviennent à maîtriser leur émotion. Lui, il est très cool. Il n'aura pas de problème pour son discours de départ. J'insiste : c'est un personnage chaleureux, fidèle en amitié, qui mérite vraiment d'être connu.
JA. Certains projets de style ont-ils été stoppés par les départements plans&produits pour cause d'incompatibilité d'objectifs et/ou de moyens ?
PLQ. Oui, bien sûr, il y a eu des projets qui ont été arrêtés. Mais c'est tout à fait normal dans la vie d'une entreprise comme Renault. Et ces projets n'ont jamais été arrêtés pour de mauvaises ou d'injustes raisons. Et parmi ces projets qui n'ont finalement jamais vu le jour, certains ont donné des regrets à tout le monde. Par exemple, certains projets ont été stoppés parce qu'ils n'étaient pas économiquement viables. Et lui et moi l'avons regretté…
JA. A t-il participé à la définition de la nouvelle identité visuelle Renault que vous avez bâtie ? A t-il apporté des remarques ?
PLQ. Oui, bien entendu, il a fait de nombreuses remarques. J'écoute beaucoup les gens qui font des remarques pertinentes. En fait, la proposition de faire évoluer à la fois l'identité visuelle et le vocabulaire formel de la marque repose sur un programme que j'ai présenté. Il y a une première phase qui a débuté en 1988, qui a duré sept ans, et qui résidait dans la recherche de plus d'innovation conceptuelle. A l'intérieur de l'entreprise, nous pensions être très forts dans ce domaine et en fait, nous réalisions des enquêtes qui laissaient apparaître que nous n'étions pas perçus comme tel. Puis, il y a eu une deuxième phase qui a commencé en 1995. Nous nous étions aperçus que les modèles étaient plus importants que la marque. A l'époque, par exemple, on parlait de Twingo, pas de Renault. Nous avons donc décidé de tout faire pour que nos voitures soient tout de suite identifiables comme des Renault, et que l'on puisse reconnaître une Renault à 30 mètres. La troisième phase est en cours.
JA. Georges Douin dit qu'il n'est pas un grand spécialiste du design et reconnaît faire des erreurs dans ce domaine. Partagez-vous cet avis que l'on peut soupçonner d'être empreint de fausse modestie ?
PLQ. Moi, je l'écoutais parce qu'il allait toujours au fond de l'analyse. Mais c'est vrai qu'il prenait parfois des positions qui me surprenaient. Oui, j'ai eu des surprises. Mais j'ai toujours essayé de comprendre pourquoi je ne m'attendais pas à sa réaction. Parfois, il a été un peu imprécis. Mais il faut toujours rester extrêmement modeste, et certaines fois j'ai compris après ses raisons alors que je n'avais pas saisi sur le coup. De toutes façons, il prenait des positions empreintes de modestie en disant : "J'ai un petit problème avec ça" ou "Ce n'est que moi" par exemple.
JA. Vous auriez du mal à déterminer sa sensibilité en matière de style ?
PLQ. Je pense qu'il était très heureux quand on a eu une belle Berlinette. Récemment, on lui a montré ce qui sera la prochaine Laguna, et il adore. Donc je pense que c'est quelqu'un qui aime les voitures vives, sportives dans leur expression. Mais sans aucun aspect show, toujours classiques. Et il a toujours aimé les Berlinette !
JA. A ce propos, il nous a transmis sa frustration de ne pas avoir trouvé un successeur à la Berlinette. Partagez-vous cette frustration ?
PLQ. Oui, nous partageons tous les deux cette même frustration… Mais à chaque fois, nous avons buté sur la rentabilité du projet. Economiquement, ça ne tenait pas la route. L'entreprise qui veut faire une Berlinette pour le continent européen, ça n'a pas de sens économique. Si vous prenez une voiture comme la Miata (NDLR : Mazda MX5) par exemple, elle a du sens car c'est une voiture pour le monde entier. Mais Dieu sait combien de fois on a essayé de relancer ce dossier.
JA. Vous qui avez un sens inné de la formule, comment définiriez-vous Georges Douin en quelques mots ?
PLQ. Je dirais que c'est un homme droit et qui a aussi des idées ondoyantes. Il est droit, il a une apparence raide, mais ses réflexions sont flexibles. Il est vertical en position, mais il a des pensées horizontales. Et ces pensées ne sont pas des lignes droites, elles ondoient. C'est ça qui fait le caractère exceptionnel de l'individu.
Propos recueillis par Hervé Daigueperce et Alexandre Guillet
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