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Constructeurs

Entretien avec Luc-Alexandre Menard, directeur des opérations internationales et Président du conseil d’administration de Dacia : "Il n'a jamais changé de ligne et m'a toujours aidé à avancer".

Publié le 29 avril 2005

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
Quand l'Homme de l'Année 1991 parle de l'Homme de l'Année 2004… Luc-Alexandre Ménard, Président de Dacia est en contact direct et permanent avec Georges Douin depuis trois ans. Il nous raconte sa première rencontre avec celui qui est devenu son "patron", un homme pour qui il a manifestement...

...une profonde admiration.


Journal de l'Automobile. Depuis trois ans, vous êtes l'un des collaborateurs les plus directs de Georges Douin. A quand remonte votre première rencontre ?
Luc-Alexandre Ménard. Je l'ai rencontré pour la première fois en Allemagne, en 1987. Je dirigeais depuis un an la filiale allemande de Renault et Georges Douin était directeur des études. Il faisait escale à Francfort, nous avons dîné à l'aéroport, nous avons parlé de moteur. Mon niveau de connaissance sur le sujet était proche de zéro alors que lui était LE motoriste par excellence de l'entreprise. Nous avons parlé du 15/05. Il s'agissait des normes de pollution en Europe, des normes que l'on arrivait à atteindre avec un moteur "normal" pour l'époque, c'est-à-dire équipé d'un carburateur. Il n'y avait pas encore les agrégats que l'on trouvait aux Etats-Unis, à savoir l'injection indirecte et le catalyseur. Compte tenu de l'importance de l'écologie dans l'esprit des Allemands, je voulais lui transmettre le message que j'avais impérativement besoin de ces éléments. C'était iconoclaste de ma part puisqu'il existait des normes européennes que nous atteignions, et pourtant il m'a suivi. C'était en 1987, ça fait un peu plus de quinze ans, je peux lui dire merci parce que nous avons été la première marque à vendre des voitures respectant les normes US en Allemagne, et cela a été le début de la renaissance du nom de Renault dans ce pays.


JA. Et quatre ans plus tard, en 1991, vous receviez le titre d'Homme de l'Année du Journal de l'Automobile pour les performances commerciales de Renault en Allemagne… Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, vous êtes devenu directeur des opérations internationales de Renault et président de Dacia en 2002. Depuis cette date, vous êtes en contact direct avec Georges Douin. Quelle est la fréquence de vos contacts et vos modes de communication ?
L-AM. Il y a trois ans, à quelques semaines près, Georges Douin est devenu mon patron. Quand je ne suis pas à l'étranger, il communique fréquemment par note écrite, 3 ou 4 fois par semaine, nous nous téléphonons toutes les 48 heures au minimum et nous avons des réunions au moins une fois par semaine.


JA. Qu'est-ce qui le caractérise le mieux ?
L-AM. Son sens de la prospective. Il ne faut pas oublier qu'il est le patron du produit chez Renault, et le produit, c'est la clé. Il cherche toujours à aller plus loin. Par exemple, quand on travaillait sur la Clio en 1998, il voulait déjà sortir de la géographie européenne : il a inventé la Clio Tricorps, appelée Symbol ou Thalia selon les pays. C'est un formidable succès et c'est lui qui en est l'initiateur.


JA. Et encore ?
L-AM. C'est un homme réfléchi et prudent. Il va accumuler les données, multiplier les avis pour avoir une compréhension extrêmement précise du sujet avant de prendre une décision. Mais lorsque celle-ci est prise, les choses vont ensuite très vite. Il a un fonctionnement que l'on pourrait qualifier d'itératif. Lorsqu'un problème se pose, il va l'aborder d'une autre façon, par une autre voie, jusqu'à trouver la solution. Je me souviens que, pour le dossier iranien, nous avons dépensé beaucoup d'énergie pour tenter de parvenir à un accord avec nos partenaires locaux, mais nous avions de nombreux paramètres à combiner et nous bloquions sur l'un d'entre eux. Cela a mis du temps, mais nous avons fini par tomber d'accord.


JA. Qu'est-ce qui caractérise son management ?
L-AM. Il m'a dit la première fois, lorsque je suis devenu son collaborateur : "On est là pour faire 4 millions de voitures à l'horizon 2010." Depuis, il n'a jamais changé de ligne et m'a toujours aidé à avancer vers ce but. Tout ce qu'on a fait ensemble depuis trois ans a été tiré par cet objectif 2010 dont il est le fondateur avec le président. Ce qui le caractérise, c'est qu'il se montre d'une grande souplesse et ouverture d'esprit. Il n'a jamais mis de feu rouge à l'encontre d'une action prospective sur tel ou tel territoire inconnu. Parfois, il a placé des feux clignotants et parfois des feux vert cru, c'est-à-dire qu'il avait des projets auxquels il tenait particulièrement. Et il a toujours relayé les tentatives, aidé quand ça bloquait, permis de faire avancer les dossiers même quand les questions posées étaient parfois décalées.


JA. Les feux vert cru, c'était quoi ?
L-AM. Nissan, Samsung, ce sont ses bébés. Je n'étais pas encore là. Pour ma part, ma mission a été de réussir la Logan, de faire gagner de l'argent à Dacia, puis de réussir l'industrialisation de la Logan en Russie et dans les autres pays.


JA. Quatre millions de véhicules en 2010, c'est un challenge difficile que vous portez en partie sur vos épaules, puisque un quart des véhicules seront des Logan. Pouvez-vous nous rappeler la répartition de la production de Logan par pays ?
L-AM. Nous allons produire en Roumanie 150 000 Logan cette année, si tout va bien, et 200 000 en 2006, lorsque les ventes auront débuté en Europe occidentale. L'usine de Moscou vient de démarrer avec une capacité initiale de 60 000 voitures, le Maroc va suivre très prochainement avec un potentiel de 30 000 à l'horizon 2010, puis 300 000 en Iran, 100 000 au Brésil (mi-2007), 50 000 en Inde, 25 000 en Colombie. Vous rajoutez la Chine et vous devriez y trouver votre compte (ndlr : soit environ 250 000 Logan produites en Chine).


JA. Prenons l'exemple de l'Inde, avec le joint-venture signé il y a un mois avec Mahindra. Quel a été le processus ?
L-AM. L'Inde, Georges Douin y croyait peu au début. Au départ, une analyse du marché fournie par la direction financière montrait un potentiel de croissance vraiment intéressant. Ensuite, le département en charge de la vente de moteurs m'a informé que Mahindra, l'un de leurs clients, souhaitait se développer dans l'automobile. Nous avons fait une étude de sensibilité rapide que j'ai montrée à Georges Douin, qui m'a autorisé à mettre un peu de ressources sur ce dossier. Il a tout de suite inclus le potentiel indien dans les 4 millions d'objectif. Ensuite, les négociations se sont déroulées, des négociations qui ont duré deux ans tout de même. Je le tenais régulièrement au courant, il faisait avancer le dossier auprès du président. On en parlait au minimum une fois tous les 15 jours.


JA. Et la Chine ?
L-AM. Ce n'est pas moi qui m'en occupe. C'est le domaine d'intervention de Georges Douin en direct, comme il gère en direct Renault Samsung Motors. C'est en cours, donc je ne peux pas en parler…


JA. En 2000, on évoque la commercialisation de Logan en Europe de l'Ouest, mais Louis Schweitzer affirme qu'elle ne viendra pas en France lors de sa présentation en 2004. Puis, à la surprise générale, il annonce son lancement en France juste avant le Mondial. Quelles sont les discussions en interne qui ont abouti à cette décision surprenante ?
L-AM. Depuis le début, je me suis battu pour que la Logan soit vendue en Europe de l'Ouest. Georges Douin ne m'a jamais vraiment suivi sur le sujet. Cette décision est vraiment celle du président.


JA. Comment se porte Dacia ?
L-AM. La société Dacia commence à être rentable depuis à peu près six mois. Elle tire son chiffre d'affaires des ventes de Logan, du pick-up et des éléments qui seront livrés aux usines de montage de la Logan, sur lesquels nous faisons une marge. Ainsi, depuis peu, l'usine russe achète ces éléments à Dacia, et doit être rentable elle aussi. Quand le projet a débuté, il y avait l'usine de production de Roumanie et on avait prévu un atelier dédié aux éléments pour fournir les usines d'assemblage du Maroc, de Russie et de Colombie. Avec tous les autres projets, la décision de créer une vraie usine d'éléments a été prise fin 2003. Elle a été inaugurée il y a un mois par Louis Schweitzer. Elle est la base d'expédition des pièces vers les usines de montage dans tous les pays cités. On y centralise également les pièces des autres fournisseurs pour gagner en coût logistique.


JA. On parle de 5 000 ventes en France, quel est l'objectif pour l'Europe ?
L-AM. Le volume, on ne sait pas… C'est le marché qui va faire le volume. Ce que je sais, c'est que nous sommes capables de fournir s'il y a de la demande. La Logan sera lancée en juin, en France, en Allemagne et en Espagne, puis à la rentrée, dans d'autres pays, en Italie, notamment.


Propos recueillis par Xavier Champagne


 





Curriculum Vitae



  • Nom : Ménard

  • Prénom : Luc-Alexandre

  • Age : 60 ans

  • Titulaire d'un DESS de droit public et ancien élève de L'ENA. Auditeur puis conseiller référendaire à la cour des comptes, il est conseiller technique au cabinet du ministre de l'Intérieur en 1978 avant d'être détaché chez Renault en 1981, en tant que responsable financier des filiales Europe. Nommé directeur général de Renault Allemagne (1986), puis directeur de l'Europe du Sud (1993) et directeur commercial France (1994), il devient directeur des opérations internationales en juillet 2002, après avoir pris en charge le Mercosur (en 1997). Il préside le conseil d'administration de Dacia depuis septembre 2002.

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