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Constructeurs

Entretien avec Louis Schweitzer, président de Renault : "Georges Douin symbolise admirablement Renault".

Publié le 29 avril 2005

Par Tanguy Merrien
8 min de lecture
La première rencontre entre Louis Schweitzer et Georges Douin eut lieu en 1986 alors que ce dernier était directeur des études mécaniques et le futur président de Renault... "stagiaire" ! Depuis, ils n'ont cessé de se croiser, notamment sur les dossiers les plus importants dont la marque...

...Renault ait eu à s'enorgueillir. Louis Schweitzer a eu l'amabilité de répondre à quelques questions sur son proche collaborateur.


Journal de l'Automobile. Avez-vous été surpris du choix fait par un jury de journalistes issus de rédactions tout à fait différentes de nommer Georges Douin Homme de L'Année 2004 du Journal de l'Automobile ? Ou alors avez-vous estimé que les journalistes avaient toujours un train de retard ?
Louis Schweitzer. C'est un choix naturel et c'est aussi un choix un peu inattendu et inhabituel. C'est un choix inattendu et inhabituel parce que Georges Douin n'est pas une star publique des médias. Quand vous avez choisi Bernard Dudot, pour citer un autre Homme de l'Année venant de Renault, vous aviez élu quelqu'un qui était très impliqué dans le domaine public. Georges l'est beaucoup moins, c'est un homme qui n'est pas médiatique par nature. Cela m'a paru un choix naturel parce que, effectivement, quand on fait le bilan de la période récente de Renault, notamment de la politique internationale et de la politique produits, l'homme qui était porteur de ces deux politiques, c'était Georges Douin. Par ailleurs, en plus de ce qu'il a fait, c'est quelqu'un qui symbolise admirablement Renault. J'ai donc trouvé que c'était un très bon choix. J'ajouterais qu'en plus d'être tombé dans l'automobile quand il était petit, Georges a plus de trente ans de carrière chez Renault : le bilan de son action peut donc être réalisé sur la durée.


JA. Est-ce que vous vous rappelez la première fois où vous vous êtes rencontrés ?
LS. Je l'ai rencontré quand j'étais "stagiaire" chez Renault en novembre 1986, il était à l'époque directeur des études mécaniques.


JA. Et vous a-t-il paru cet homme discret, froid disent certains, un peu distant évoquent les autres, timide finit par dire l'ensemble ?
LS. Il n'est sûrement pas froid. Le mot "distant" n'est pas le mot que j'emploierais à son égard parce que, au contraire, c'est quelqu'un d'extrêmement sensible, d'extrêmement engagé. Sensible est un mot que j'utiliserais sûrement, timide peut-être. Pourtant, la première vision que j'ai eue de lui, à l'époque - et c'est toujours une vision importante pour tout portrait qu'on fait des gens -, c'est celle de l'expertise technique. La "base" de Georges Douin, c'est d'être un très grand expert dans son domaine, celui des moteurs.


JA. Est-ce que vous pensez justement qu'un dirigeant d'un grand constructeur automobile doive associer des études à Polytechnique et une attirance pour les moteurs ?
LS. Si je disais oui, je serais très ennuyé parce que j'aurais pu ne jamais être le patron de Renault ! Je pense qu'un patron peut être ou n'être pas expert technique, mais il me paraît essentiel qu'il y ait, dans une équipe de direction générale, des gens qui n'aient pas seulement une culture technique mais aussi une vraie expertise technique. Il y a une différence entre expertise et culture. Si l'on observe l'équipe de direction de Renault d'il y a quelques mois ou celle de demain, elle est constituée à la fois de gens qui sont des managers de formation et d'autres qui ont une expertise technique générale. Vous avez aussi des personnes qui ont une vraie expertise du métier de l'automobile ou d'un métier de l'automobile. Je pense qu'une équipe de direction générale où cette dimension manquerait aurait une perception fausse de l'entreprise. Par ailleurs, de façon générale, un manager qui est un pur généraliste, qui n'a pas un savoir-faire métier, est un manager à qui il manque un élément. Au fond, un manager généraliste est pour moi un être un peu curieux.


JA. Quelles sont à votre avis les qualités premières de Georges Douin, quels sont aussi peut-être ses défauts ?
LS. J'ai évoqué la compétence technique, je n'y reviens pas. Il y a une qualité que Georges Douin possède et que je souhaite souligner : il a une très grande intelligence. Et cette intelligence est aussi celle de quelqu'un qui a de l'ouverture, qui est le contraire d'un doctrinaire. Il y a un troisième point qui me paraît important : Georges Douin est quelqu'un d'une rigueur intellectuelle et morale incontestable. Quand on regarde cela de près, on voit bien que, dans les métiers qui obligent à réfléchir, à aller sur des terrains inconnus, comme c'est le cas pour l'international, cet ensemble de qualités se révèle tout à fait adéquat.


JA. Et les défauts ?
LS.Pour évoquer les défauts de Georges, parce qu'il en faut quand même, disons que ce n'est pas un extraverti naturel. Par exemple, je le vois moins naturellement dans une fonction d'animation commerciale que dans une des fonctions qu'il a exercées. D'ailleurs, quand il parle, que ce soit en interne ou en externe, ou face à la presse comme vous avez dû le voir, il donne beaucoup d'informations, et il fait peu d'effets autour. Finalement, je pense que quelqu'un qui fait une interview de Georges Douin en sort avec plus d'informations qu'avec une personne beaucoup plus extravertie.


JA. Est-ce justement en fonction de ces compétences que vous avez souhaité lui confier une fonction à l'international ? Il a reconnu lui-même avoir été surpris et a rappelé votre commentaire : "Vous me remercierez plus tard", lui auriez-vous même promis...
LS. C'est bien possible parce que, au fond, lorsque l'on a ce type de profil, le risque est grand que l'on vous affecte à un métier purement conceptuel. En effet, le plan produit relève du concept pur et non de l'opérationnel. Mais quand vous êtes dans une entreprise comme Renault, ne pas avoir de dimension efficiente, ce ne peut être qu'une frustration. L'international me paraissait être un domaine où Georges pouvait être opérationnel, qui allait bien avec sa nature, son tempérament.


JA. Pensez-vous que le management consiste à essayer de déterminer la meilleure place pour ses collaborateurs ?
LS. Il y a deux choses différentes. Tous les hommes ont des champs, des emplois qui leur sont plus naturels que d'autres, les mettre à contre-emploi serait une erreur parce qu'on les mettrait ainsi en condition d'échec. D'un autre côté, si une équipe de direction d'une entreprise est constituée de gens qui sont trop purement métier, qui n'ont pas une vue globale, vous aurez face à vous une collection de représentants de secteurs. Vous n'arriverez pas à créer une équipe, c'est une question d'équilibre à trouver.


JA. Est-ce que vous pensez qu'on puisse être trop dépendant d'un collaborateur ?
LS. Je pense qu'une fragilité peut naître du fait que vos collaborateurs soient, ou bien tous du même modèle, ce qui les empêche de couvrir le champ, ou bien d'une manière ou d'une autre un masque par rapport au monde réel, c'est-à-dire qu'ils font barrière entre vous et les autres. Si l'un ou l'autre de ces éléments existe, vous êtes enfermé par vos collaborateurs. Si cela n'existe pas, les collaborateurs sont au contraire une façon de se démultiplier parce que personne ne fait rien tout seul, parce que si vous essayez de diriger tout seul 130 000 personnes, vous échouerez. Donc, je pense qu'il y a effectivement un bon usage de l'emploi des collaborateurs qui ne doit pas être, comme on l'entend souvent, la garde rapprochée. La garde rapprochée est au contraire quelque chose qui vous coupe du monde, le mot même de garde invoque l'idée d'une coupure. Pour moi, les collaborateurs doivent être synonymes d'ouverture.


JA. Sur quel projet, à votre avis, Georges Douin s'est-il exprimé le mieux ?
LS. Sur l'ensemble des champs ! Il y a des projets qui sont largement les siens. Pour donner un exemple concret, Renault Samsung est un projet qui a été très largement porté par Georges Douin. La Clio Tricorps, qui est une voiture qu'on ne connaît pas beaucoup ici mais qui a été très porteuse de l'internationalisation de Renault, est un objet de Georges Douin. Est-ce que ce sont ceux sur lesquels il s'est le mieux exprimé ? On ne peut pas répondre cela, il s'est exprimé sur beaucoup de projets, d'objets, de constructions même, mais ces deux projets-là sont vraiment ses projets et ne se seraient pas réalisés sans lui, de même que je peux dire que j'ai fait Logan par exemple. De façon générale, ce qui fait la force de Georges, c'est qu'il n'est pas du tout politique dans le mauvais sens du mot.


JA. Est-ce qu'il fonctionne à l'affectif vis-à-vis de ses supérieurs hiérarchiques ?
LS. D'une certaine façon, oui. Plus par la sensibilité que par les démonstrations. Il est toujours un peu réducteur de parler d'affectif en ce sens que cela pourrait signifier "vous faites ceci pour me faire plaisir". La dimension sensible me paraît plus adéquate.


JA. Est-ce que vous le prendriez comme administrateur du festival d'Avignon ?
LS. Je le verrais plus prendre une place dans un cadre comme le Medef International. Georges Douin est un homme de culture, c'est un grand amateur d'opéra, mais Avignon est un festival de théâtre !


JA. Pensez-vous qu'un homme de cette envergure puisse prendre sa retraite ?
LS. J'espère qu'après 60 ans il continuera d'avoir une activité dans la sphère économique. Il y a tellement peu de gens en France qui ont son ouverture !

Propos recueillis par Hervé Daigueperce

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