Entretien avec Kazuhiko Miyadera, Responsable R&D Europe de Toyota.
...capacité à combiner la combustion avec tout type d'énergie alternative.
Journal de l'Automobile. Comment s'organise votre activité au sein de la R&D globale de Toyota dans le monde ?
Kazuhiko Miyadera. Notre activité de R&D en Europe n'est pas vraiment liée au programme de développement mondial du groupe. Cependant, nous avons tout de même la responsabilité du développement de certaines technologies d'avant garde liées au mode de propulsion hybride. Ainsi, à Zaventem, en Belgique où nou sommes implantés nous travaillons à l'amélioration des batteries des véhicules de demain.
Par ailleurs, pour être tout à fait honnête, il faut reconnaître que les véhicules Toyota vendus en Europe n'ont pas été, à la base, développés spécifiquement pour ce marché. Compte tenu de nos parts de marché relativement confidentielles à notre arrivée, la stratégie était plutôt de vendre en Europe les véhicules existants, souvent développés pour le marché américain.
Depuis deux ans, la direction monde de Toyota prend conscience du potentiel européen. Je crois donc que dorénavant, nous devrons apporter un plus en R&D pour nous attacher aux spécificités locales avant le lancement d'un nouveau modèle en Europe. Le centre R&D de Zaventem a un rôle à jouer dans cette direction. Et j'ai coutume de dire aux ingénieurs que s'ils veulent vraiment progresser, ils doivent venir ici, car l'Europe est le marché le plus dur pour nous en R&D. Le consommateur est très exigeant.
JA. Quand Toyota a-t-il commencé à s'intéresser aux énergies alternatives ?
KM. Le programme hybride a débuté en 1965 chez Toyota ! Il ne s'agissait alors que de bribes de recherches. Le véritable début des opérations date d'un grand projet mis en place par les dirigeants de l'époque. En 1993, ce projet, baptisé, G21 pour "génération 21e siècle", exprimait clairement la volonté de la marque de "faire quelque chose" pour le futur dans le domaine de la voiture propre.
CURRICULUM VITAE |
Prius I.
JA. Pourquoi avoir choisi de privilégier l'hybride plutôt qu'une autre technologie ?
KM. Il ne s'agit justement pas d'un choix. Avec l'hybride, il est notamment question de combiner plusieurs sources d'énergie. C'est pour nous la clé fondamentale. L'enjeu est de parvenir à combiner au mieux telle ou telle combustion, avec telle ou telle autre énergie alternative, que ce soit l'électricité, la pile à combustible… On nous a souvent demandé si la Prius I était rentable. En réalité, non, elle ne l'était pas. Il a donc fallu réduire les coûts, augmenter les performances, baisser la masse du véhicule, pour la seconde génération. Cette stratégie est toujours d'actualité puisque notre challenge reste de faire progresser ces quelques paramètres fondamentaux à chaque nouvelle génération.
JA. Travaillez-vous tout de même sur d'autres projets que l'hybride ?
KM. Nous travaillons sur tout ! Mais nous ne pouvons pas trop développer ce sujet… Néanmoins, notre approche est intéressante, car il y a une sorte de compétition interne entre les différents départements de recherche de Toyota. Un exemple : un bon ami à moi a développé le moteur essence pour la Prius. Son but ultime était de faire le meilleur moteur, afin de battre le prototype du groupe, fonctionnant avec une pile à combustible. Il a réussi, la voiture a été réalisée, et, ironie du sort, il travaille aujourd'hui au développement de la pile à combustible chez nous, pour battre son propre moteur essence en terme d'émissions polluantes, de consommation… Cela pour dire que toutes les technologies se côtoient, pour aboutir à un même but, la voiture la plus propre possible. Pourtant, même avec la pile à combustible, nous continuerons de croire à l'hybridation. Cette technologie autorise la récupération de l'énergie de freinage, donc une forme de "recyclage", tout en permettant une utilisation optimale des deux modes d'énergie employés. La tendance est à la multiplication des hybridations, et non au foisonnement des technologies.
JA. Comment vous situez-vous par rapport à vos concurrents ?
KM. Nous pensons toujours être en avance, notamment grâce à notre position sde "premier constructeur à avoir commercialisé un véhicule hybride en 1997". Ces dix ans d'antécédents nous ont apporté beaucoup de connaissances, sur l'évolution du marché par exemple, ou ses difficultés, et nous ont permis de pratiquer plus rapidement des aménagements nécessaires à la progression de notre structure. Néanmoins, l'avance ne signifie pas que nous devons nous endormir sur nos lauriers. Nous savons que de nombreux constructeurs travaillent sur le sujet de la voiture propre, et nous acceptons volontiers la compétition. Il faut de la concurrence pour motiver les ingénieurs !
JA. Pourquoi ne croyez-vous pas au véhicule 100 % électrique ?
KM. Les voitures électriques ont aujourd'hui, de gros problèmes d'autonomie. Il est, par ailleurs difficile de fabriquer un véhicule de taille raisonnable compte tenu du volume occupé par les batteries. Je pense que, tant que nous n'assisterons pas à une révolution dans le domaine de la batterie, le véhicule 100 % électrique sera limité à une utilisation urbaine. De plus, notre système hybride permettant lui-même un roulage 100 % électrique, nous adapterons ces hypothétiques nouvelles technologies de batterie, ce qui en fera un véhicule encore plus attractif pour le client qu'une simple voiture électrique. La batterie est donc une des clés du marché de demain, c'est certain.
JA. Quelle est votre vision du parc automobile mondial dans 20 ans ?
KM. Nous pensons qu'en 2020, 50 à 70 % des Toyota vendues dans le monde seront des hybrides. La progression de ces technologies et leur compétitivité grandissante devrait inciter de plus en plus les clients à se doter de véhicules propres, "faire un acte citoyen" en quelque sorte, pour les générations futures. Déjà, depuis 1997, les mentalités changent chez les constructeurs ! Personne ne voulait alors miser sur l'hybridation. Aujourd'hui, tous s'y mettent et présentent des prototypes ou même des voitures de série pour certains !
JA. Croyez vous à l'hybridation Diesel ?
KM. Tout dépend de l'utilisation qui est faite du véhicule. Si vous roulez principalement sur autoroute et que vous n'êtes intéressé que par la consommation, l'hybride Diesel sera plus attrayant. Pourtant, ce n'est pas forcément le meilleur choix en terme de respect de l'environnement. Quand on parle d'hybridation, on avance souvent la baisse de consommation ou des émissions de CO2, mais rarement des émissions de NOx (oxydes d'azote) ou de particules. Avec un système hybride Diesel, ces deux facteurs sont importants à prendre en compte. L'hybride essence reste moins polluant que l'hybride Diesel, de même que l'essence pollue moins que le Diesel. Il nous faudrait donc ajouter un filtre à particules, ce qui augmente le coût et influe sur les performances. Sans compter le problème de vibrations, supportables sur un utilitaire (Toyota dispose d'un modèle de VUL hybride Diesel de série au Japon), pas sur une voiture particulière.
Propos recueillis par
Frédéric Richard
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.