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Constructeurs

Entretien avec Georges Douin, directeur général adjoint, plan, produit & opérations internationales Renault : "Ma plus grande satisfaction reste le Salon de Paris 1992, avec la présentation de Twingo. C'était vraiment énorme !".

Publié le 29 avril 2005

Par Tanguy Merrien
15 min de lecture
S'entretenir avec Georges Douin, directeur général adjoint de Renault, c'est un peu comme être invité à assister en privilégié aux grands événements des trente dernières années de la marque au losange. Malgré une réticence naturelle vis-à-vis des médias, Georges Douin s'est prêté de bonne grâce...

...au jeu des questions-réponses sur le dossier "Douin".


Journal de l'Automobile. Après Polytechnique, comment êtes-vous entré chez Renault ? Etait-ce un rêve d'enfant ou plutôt une opportunité professionnelle intéressante ?
Georges Douin. En premier lieu, j'ai rejoint Renault parce que j'aimais les voitures, le produit automobile. Ensuite, pourquoi Renault plus que Peugeot ? Disons tout simplement qu'au sein de la famille Douin, nous étions plutôt Renault. J'avais donc une culture Renault. J'aimais bien la marque, il y avait des postes à pourvoir, bref, il ne faut pas chercher trop loin, je ne me suis pas posé de grandes questions métaphysiques…


JA. Que vous a apporté votre formation initiale, notamment votre passage à l'X, par rapport à vos fonctions, voire à la gestion de votre carrière ?
GD. Ma formation de polytechnicien a fait de moi un bon généraliste, notamment sur les principes fondamentaux des grandes fonctions physiques. Elle m'a donné une ouverture d'esprit et une capacité d'analyse et de synthèse, autant d'éléments qui font que vous êtes capable d'aborder et de traiter des sujets assez divers. Mais quand je suis arrivé chez Renault, j'ai quand même eu quelques surprises… En fait, je ne connaissais pas la pratique. J'ai eu la chance d'avoir des gens très accueillants autour de moi, des agents techniques en particulier, qui m'ont bien aidé à apprendre le métier au début. En outre, j'ai débuté aux essais, ce qui constitue un très bon apprentissage, car on est de plain-pied dans le produit, avec ses prestations et ses petites misères… J'ai donc pu apprendre comment fonctionnaient les différents éléments d'un véhicule.


JA. Vous êtes d'ailleurs réputé pour avoir une excellente compétence technique, pensez-vous que c'est nécessaire pour être dans une équipe dirigeante d'un constructeur automobile ?
GD. Je suis persuadé que, dans une équipe de direction d'un constructeur automobile, il faut une partie des personnes issues de l'ingénierie et maîtrisant parfaitement le produit. Le président n'a pas besoin d'être un grand technicien, mais il faut qu'il ait autour de lui un ou plusieurs experts techniques et produits.


JA. Vous rejoignez ensuite le département R&D de Renault, quelles sont les qualités que doit faire valoir un département aussi névralgique ? Que doit-on exiger d'un tel service ?
GD. Oh, l'exigence est énorme ! Il faut à la fois avoir les pieds sur terre, au niveau de la qualité, des coûts, des attentes clients, mais cette dimension prosaïque ne doit pas faire perdre de vue les enjeux fondamentaux liés à la métallurgie, à la combustion, à la dynamique, à l'aérodynamique, etc. Le spectre est très large ! Il va du traitement des problèmes actuels en après-vente aux travaux sur la pile à combustible pour dans vingt ans. En fait, on attend d'une équipe R&D des compétences de natures très diverses. Et je trouve que ces dernières années, les choses se sont encore complexifiées, le spectre s'est encore élargi.


JA. Quels sont les principaux projets R&D que vous avez pilotés ?
GD. Je suis resté longtemps au sein de ce département et les projets sont donc nombreux ! Par rapport à mon implication, on peut évoquer la Renault 5 GTL en 1979, après la seconde crise pétrolière. Une 5 portes faisant moins de 5 litres aux 100 km qui a apporté à Renault un avantage compétitif important sous l'angle de la consommation. Ma contribution est intervenue dans le domaine du moteur, de la consommation. En fait, de métier, je suis motoriste.


JA. Quel souvenir gardez-vous de votre passage au Berex ?
GD. Un excellent souvenir ! C'était un espace de liberté. C'était aussi la première fois que j'étais patron, que j'avais les clefs d'un ensemble. Nous avons notamment développé la R5 Turbo. Une voiture conçue pour gagner et qui a gagné le rallye de Monte-Carlo 1981. Une grande satisfaction de ma carrière. Nous avons aussi fait des essais pour remplacer la Berlinette, mais sans succès, ce qui a été une frustration. Et puis, nous avons bien entendu réalisé différents travaux pour la maison mère. Au début des années 80, je me souviens notamment d'une voiture pour handicapé avec toutes les fonctions centralisées sur un joystick. Une évolution qui est utilisée aujourd'hui.


JA. Vous évoquez la Berlinette, y a-t-il d'autres projets que vous regrettez de ne pas avoir pu mener à terme ? La Voiture Verte notamment ?
GD. Oui, c'est effectivement une frustration. D'autant que nous avions vu venir ce que Porsche a remarquablement réalisé récemment, c'est-à-dire la conciliation du sport et du loisir. Nous avons d'ailleurs travaillé sur un Véhicule Vert Alpine (VVA) dont il existe une maquette au Musée Renault. C'était un beau concept, probablement un peu en avance sur son temps pour Renault à l'époque. Et Renault a alors préféré prendre la route de l'Espace, qui s'est avéré aussi être un grand succès.


JA. A ce propos, avez-vous participé activement au projet Espace ?
GD. Non, pas directement dans sa genèse. Mais ensuite, dans les années 90, l'épopée de Matra m'est tout à fait familière puisque j'étais le correspondant permanent de Matra. Nous avons fait du bon travail et mon grand regret est que nous n'ayons pas réussi à faire survivre Matra…


JA. Au Berex, vous avez pris un premier poste de patron. Quelles sont les qualités de manager fondamentales pour diriger ?
GD. Je ne suis pas certain d'être un exemple de manager, car on me dit que je suis trop gentil ! Ma façon de procéder consiste à être dans le camp de mes collaborateurs. J'ai toujours cherché à être proche de mes équipes, à comprendre leur travail et à le promouvoir. En fait, je n'ai jamais été le "grand patron qui fait peur", mais j'ai eu d'autres satisfactions.


JA. A l'échelle du top management, quel est le langage qui réunit les techniciens hors pair et les financiers ?
GD.Ah, c'est un langage toujours difficile… parce qu'on a quand même l'impression que la finalité des financiers serait d'obtenir un rendement financier sans forcément passer par l'automobile… Donc, il faut essayer de leur rappeler que notre vocation est de faire des automobiles et de gagner notre vie avec. Les deux sont importants. C'est par conséquent parfois un langage un peu musclé…


JA. Parmi tous les projets que vous avez conduits, quels sont ceux qui vous ont particulièrement animé ?
GD. Une période me revient en mémoire, la période 1992-1997, quand j'ai été nommé au comité exécutif et que j'étais responsable du plan, des produits, des projets et aussi des études économiques. Nous avions vraiment un ensemble de gestion de projets pour assurer l'avenir de Renault, sa croissance et sa rentabilité. C'était une époque bénie car nous disposions de tous les leviers pour réussir ce que nous souhaitions faire. Bien entendu, nous n'étions que prescripteurs et les équipes d'ingénieurs et d'industriels faisaient le travail à proprement parler. Et, au cours de cette période, le sommet a sans doute été la sortie du Scénic en 1996, un produit parfaitement centré sur les attentes des clients. Même au-delà de ce que nous escomptions, puisqu'en fait, nous avons été obligés d'augmenter les capacités de production ! Et je me souviens que nous avons conçu et développé cette voiture dans un esprit exceptionnel entre les différentes équipes. D'ailleurs, les gens qui y ont participé sont encore là aujourd'hui et s'en souviennent comme moi.


JA. Vous aviez donc tous les leviers, ce qui induit que vous aviez beaucoup de responsabilités, n'est-ce pas trop dur à porter parfois ?
GD. On n'a jamais toutes les responsabilités. Dans une entreprise de la dimension de Renault, c'est forcément collégial. Le président décide, bien entendu. Mais il consulte, avec des débats parfois contradictoires. La prise de décision qui intervient est in fine assez consensuelle. Les responsabilités, on les ressent, mais on les partage aussi.


JA. Lorsque vous supervisez un projet et que vous devez valider son lancement, qu'est-ce qui vous permet, au-delà des études, de déterminer s'il est valable ou non ?
GD. Il y a beaucoup d'instinct. Et toujours beaucoup d'envie de réussir, heureusement ! Il y a le fait que nous avons une histoire aussi. Ensuite, selon les projets, selon les pays, la réussite n'est pas toujours égale. Et je dirais que ça tient autant à l'histoire de l'entreprise qu'à sa compétence précise à un moment donné. Un exemple : Renault a toujours été meilleur sur les segments populaires que sur le haut de gamme. Sur le haut de gamme, nous cherchons encore la juste équation et heureusement l'Espace nous a apporté une alternative vitale.


JA. Quel est le critère roi pour donner le dernier le feu vert à un projet ?
GD. C'est une équation économique : marge opérationnelle liée à un certain volume. En regard de la rentabilité, il faut aussi considérer l'apport à l'image de Renault.


JA. Y a-t-il des projets auxquels vous teniez particulièrement qui n'ont pas vu le jour ?
GD. Honnêtement, assez peu. Il y a deux types de projets : ceux liés à la gamme centrale et ceux qui sont un peu spéciaux. Pour les premiers nommés, il faut être très, très rigoureux. Par exemple, nous avions retardé le renouvellement de la Laguna en 2000 et nous avons perdu des parts de marché. Il faut veiller à conserver une gamme complète tout en sachant la diversifier. Puis, il y a des projets plus originaux. C'est souvent dans cette sphère que des avant-projets sont arrêtés. Quand on estime qu'ils sont trop décalés, trop audacieux, voire trop coûteux.


JA. Y a-t-il un véhicule chez vos concurrents que vous auriez vraiment aimé lancer ?
GD. Il n'est pas de coutume de parler de la concurrence, mais disons que la 206 CC de Peugeot, oui, j'aurais bien aimé.


JA. Passons au volet international de votre activité, quel a été votre rôle dans le développement international de Renault ?
GD. En 1997, Louis Schweitzer a modifié l'organisation de Renault avec l'arrivée de Carlos Ghosn. Il m'a alors confié l'international et je me souviens qu'il m'a dit : "Vous verrez, vous me remercierez un jour." Et il avait raison, je le remercie ! Il avait un grand projet qui s'est déployé depuis notre usine brésilienne en 1997 jusqu'à maintenant, de façon permanente et dynamique. Je pense que j'ai apporté notamment l'idée que l'international ne soit plus le fait de quelques mercenaires satellisés, mais qu'il devienne central et pleinement intégré dans la stratégie de l'entreprise. Comme j'étais très légitime dans la maison, j'ai tout fait pour que les différents chantiers soient menés à bien. Je n'ai pas toujours été en première ligne, mais j'ai effectivement parrainé ces chantiers. Et nous avons structuré et rationalisé les activités internationales de Renault. La Turquie est un bel exemple de réussite.


JA. Que vous inspire le phénomène de mondialisation ?
GD. C'est une voie de croissance, qui suppose la plupart du temps une présence industrielle au moins dans les grands pays. Puis, ce qui complique un peu les choses, c'est d'être capable d'établir un vrai réseau régional avec des échanges interrégionaux.


JA. On a le sentiment que vous parlez des pays comme de régions : est-ce un message de proximité ?
GD. Oui, et cela tient sans doute à deux événements. Primo, le déploiement de Renault en Amérique du Sud, même si je n'ai pas connu cette période. Ceux qui ont travaillé là-bas ont été marqués par cette culture, imprégnés par cette région. A contrario, avec l'échec de Volvo, il a aussi été question de la difficulté des relations avec les Suédois. Donc, depuis dix ans, nous avons abordé l'international avec la volonté d'éviter les chocs culturels et d'adhérer aux cultures de nos partenaires. L'exemple le plus abouti, c'est Nissan.


JA. Revenons sur votre nomination à la tête des affaires internationales par Schweitzer. Avez-vous eu peur d'échouer ?
GD. Le changement, c'est toujours une vaste interrogation… Disons que j'étais un technicien, que j'ai fait l'X et pas Sciences po, et que je n'étais pas spécialement désigné pour cette fonction. Dans la maison, certains ont sans doute été surpris par ma nomination. C'était aussi une chance et un challenge.


JA. Selon vous, quelles sont vos compétences qui ont incité Louis Schweitzer à prendre cette décision ?
GD. Je connaissais parfaitement Renault. Et je lui apportais l'assurance qu'avant de décider d'une implantation, tous les paramètres auraient été mesurés et pris en compte. Sachant que lui avait bien entendu la vision géopolitique des choses.


JA. Au chapitre international, il est inconcevable de ne pas évoquer l'aventure Nissan. Quel regard portez-vous sur cette opération d'envergure sachant qu'on parle de vous en disant que vous êtes l'homme qui a apporté le dossier sur le bureau de Louis Schweitzer ?
GD. J'ai participé à cette aventure qui résulte avant tout d'un travail d'équipe. Il se trouve que l'équipe était dans mon champ d'intervention, d'accord. C'était notre rôle. Notre analyse consistait à voir que l'Europe s'élargissait et qu'elle constituait notre terrain de jeu privilégié. Une autre zone, l'Asie, montrait des signes d'ouverture et, là, nous nous demandions comment aller dans cette région. Sachant que nous ne connaissions pas cette culture, que l'endroit est éloigné, que les Coréens, Américains et Japonais prenaient position. Il fallait trouver une alliance, un partenaire. Coréen ou japonais. Nous avons fait le tour des acteurs possibles, de leur situation, de leur présence ou non au Etats-Unis, etc. Nous avons donc établi une short-list et nous sommes allés voir ces acteurs. Les pistes coréennes ont été écartées. Mais la situation de certaines entreprises japonaises était difficile dans cette période… Bref, il y a eu une demi-finale entre Mitsubishi et Nissan, et les choses se sont bien passées avec Nissan. Nissan était sans doute le plus international des Japonais.


JA. Qu'est-ce qui aurait pu faire échouer cette alliance, quels étaient les éléments qui vous gênaient ?
GD. L'analyse de Nissan était porteuse, avec notamment une bonne qualité et une bonne présence aux Etats-Unis. Avant l'arrivée de Carlos Ghosn, l'entreprise manquait néanmoins de management, de produits porteurs et attractifs. Elle s'enfonçait dans une sorte de banalisation, à l'inverse du côté brillant de Honda ou global de Toyota. Mais nous n'avons pas eu peur.


JA. Autre registre, mais projet toujours colossal, la Logan : qu'avez-vous apporté à ce projet ?
GD. La Logan, c'est particulier… D'autant que Louis Schweitzer s'est approprié ce projet à 100 % et a laissé très peu de place aux uns et aux autres. Je revendique aussi Logan, à ses côtés bien sûr ! Certes, l'idée Logan a été portée par le président qui a constaté très tôt qu'il y avait de la place pour une telle voiture, notamment dans les pays émergents. Nous avions l'expérience de la R12, en Turquie et en Roumanie notamment. Il faut savoir qu'il y a un parc de 2 millions de R12 en Roumanie. On n'avait jamais réussi à remplacer vraiment la R12, même avec la Clio tri-corps qui a pourtant bien fonctionné à l'Est. Mais il fallait faire aboutir la démarche. Nous avions historiquement des liens étroits avec les Roumains. Donc, nous sommes allés naturellement vers Dacia. En 1998, le projet a été validé. Ensuite, nous avons transformé l'usine en cinq ans ! Nous avons déployé un nouveau management de projet, basé sur le strict nécessaire et une volonté d'intégration locale prioritaire. Une fois ou deux, le président m'a dit : "Elle va voir le jour, cette voiture." Car il sentait que ce n'était pas simple.


JA. Vous partez en juillet, avez-vous un programme ? Après une telle activité, peut-on vraiment prendre sa retraite du jour au lendemain ?
GD. Je n'ai pas vraiment de programme. J'ai l'intention de ne faire que des choses qui m'intéresseront. Je ne chercherai pas à rester dans le système. Les quelques touches que j'ai laissent présager des choses intéressantes !


JA. Au final, avez-vous des regrets ?
GD. Je ne me suis jamais posé la question de faire autre chose et le temps est passé très vite. Regrets… Peut-être en tant qu'ingénieur, de ne pas avoir réalisé plus de prouesses techniques, car nous avons toujours été prudents chez Renault.


JA. Et vos plus grandes joies ?
GD. Il y en a un certain nombre. Ma plus grande satisfaction reste le Salon de Paris 1992, avec la présentation de Twingo. C'était vraiment énorme ! Enorme ! Tous les regards étaient portés sur le véhicule, il n'y avait plus rien pour les autres. Tout le monde, le gratin comme le Français moyen, les personnes âgées comme les enfants ! Il y a aussi la sortie du Scénic que nous avons déjà évoqué. En sports aussi, on peut citer la 1re victoire de Jabouille en 1979. Le Monte-Carlo. Et toutes les victoires en F1.


JA. Dernière question, que représente cette élection pour vous ?
GD. D'abord, j'ai été surpris, je ne pensais même pas que je pouvais être sélectionné… Comme toute surprise de cette nature, c'est plutôt sympathique ! Je suis donc très heureux et je ne pense pas risquer d'être surmédiatisé par cet événement. J'ai compris que j'étais plus l'homme d'une carrière que d'une année. Le fait que je quitte Renault a sans doute compté dans cette élection… J'ai compris enfin qu'il y avait un peu de procuration de Louis Schweitzer et Carlos Ghosn, tous deux déjà élus par le passé. Cela prouve aussi que j'ai été porté par une entreprise qui réussit, Renault, et c'est essentiel.

Par Hervé Daigueperce et Alexandre Guillet

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