Entretien avec Céline Halbard-Genet, manager sécurité routière Renault : "Il faut féminiser les réseaux automobiles"
...Journal de l'Automobile. Comment abordez-vous votre mission au sein d'une division ingénierie automobile ?
Céline Halbard-Genet. Nos clients ne savent pas que nos véhicules sont parmi les plus sûrs du marché. Ma mission est donc de faire l'interface entre les experts de la recherche et les métiers du commerce. Je dois faire en sorte que les vendeurs, les réceptionnaires et toutes les personnes qui accueillent la clientèle soient au fait de notre culture de la sécurité. Je suis donc en relation avec les services de communication et de publicité, mais aussi avec l'amont, l'ingénierie. Quand un technicien explique quelque chose, cela apparaît souvent trop compliqué. Et de ce fait, le message ne passe pas auprès du public. Je dois recueillir toutes les informations qui viennent des laboratoires et les traduire en des termes plus abordables. Démocratiser la technique en quelque sorte.
JA. Considérez-vous qu'une femme est plus appropriée pour ce poste ?
CH-G. Je pense, en effet, que le fait d'être une femme est sans doute opportun pour cette mission. Quand j'ai été interrogée pour ce nouveau poste, j'étais en compétition avec d'autres personnes. On m'a posé la question : "Est-ce que la technique vous parle ?" J'imagine que le fait d'être une femme a peut-être motivé cette question. Mais dans le cas présent, j'en ai tiré mon avantage. Car la technique n'est pas un sujet qui me passionne. Ce qui m'intéresse, en revanche, c'est ce que cela apporte aux clients. En outre, si on veut correctement expliquer la technique au public, il faut avant tout me la faire comprendre à moi.
JA. Jeune fille, vous destiniez-vous à une carrière dans le secteur industriel ? Et plus encore dans l'automobile ?
CH-G. Je ne pensais pas du tout embrasser une carrière dans le secteur industriel. A vrai dire, je me suis retrouvée chez Renault un peu par hasard. Je songeais davantage au secteur des services, au secteur bancaire… et pour être tout à fait honnête, je me voyais davantage travailler chez L'Oréal que chez Renault ! Mon ambition était de faire du marketing international. Cependant, il fallait bien démarrer quelque part. Alors, j'ai entamé une première expérience qui m'a conduit jusqu'ici. Aujourd'hui, je ne le regrette pas.
JA. Comment avez-vous donc atterri chez Renault ?
CH-G. J'ai répondu à une annonce dans l'Express. Une filiale de Renault cherchait quelqu'un de jeune, dynamique… j'ai répondu. Je ne connaissais rien au financement et encore moins aux
CURRICULUM VITAEDiplômée en marketing à l'Ecole supérieure de commerce Le Havre-Caen, elle entre, en octobre 1989, chez Renault Crédit International (RCI). En charge de l'animation du réseau de concessionnaires dans la région de Lille, elle a pour mission d'y développer la vente de financements. Rapidement, elle prend la responsabilité de la formation des équipes de la région Nord. Des fonctions qu'elle prendra en région parisienne quatre ans plus tard. En 1998, la jeune femme quitte RCI pour rejoindre la direction commerciale de Renault France, où elle va coordonner la politique financements et services entre le constructeur et sa filiale RCI. Céline Halbard-Genet va notamment mettre au point l'offre "New Deal". Fin 2001, elle intègre la division Entreprises de Renault, où elle met en place de véritables entités européennes dédiées aux flottes, à l'image de Renault Parc Entreprises, en France. Des fonctions qu'elle occupera jusqu'en septembre 2005, date à laquelle son poste actuel est créé. |
JA. Les femmes sont-elles plus présentes dans l'automobile aujourd'hui qu'à vos débuts ?
CH-G. Aujourd'hui, c'est assez courant de voir une femme en charge de l'animation des réseaux. Mais à l'époque, en 1989, nous n'étions que très peu de femmes à intervenir auprès des concessionnaires et des réseaux d'après-vente. Heureusement, une femme était à la direction des ressources humaines de RCI. Et elle avait la volonté de féminiser davantage l'entreprise. Cela étant, plonger dans un monde si masculin n'a pas été très simple.
JA. Voulez-vous dire que l'accueil fait aux femmes n'était pas amical ?
CH-G. Je me souviens que le cabinet de recrutement m'avait dit : "Vous savez, les femmes dans l'automobile se résument à celles qui sont affichées sur le calendrier au fond de l'atelier". Cela est assez symbolique, mais il est vrai que ma présence au sein des concessions n'apparaissait pas comme naturelle.
JA. Vous voulez dire qu'il y avait une certaine méfiance, voire défiance, à votre égard dans les réseaux ?
CH-G. Pour eux, c'était un changement radical de voir une jeune femme débarquer pour leur parler de ventes. Une petite blonde de 22 ans qui vient parler du métier dans les showrooms et les ateliers, je conçois que cela puisse avoir interloqué certains professionnels. Mais à l'inverse, j'ai également rencontré des concessionnaires adorables qui ont tout fait pour me faciliter la tâche.
JA. Au fil des échelons avez-vous senti le regard ou l'attitude de vos collaborateurs changer ?
CH-G. Par rapport à mes débuts, les regards ont nettement évolué sur les femmes. Je me souviens qu'au début, on se posait la question de savoir si je comprenais lorsque l'on me parlait de problématique automobile. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
JA. Pensez-vous que les femmes tiennent une place suffisante dans l'entreprise ?
CH-G. Dans mes précédentes fonctions, je trouvais que les femmes tenaient une place conséquente. De manière générale, je crois que dans les services marketing, il y a désormais plus de femmes. En revanche, au Technocentre, où je travaille actuellement, nous ne représentons que 17 % des effectifs. Et là, au niveau de la conception, il y a en effet encore beaucoup de choses à faire.
JA. La direction de Renault est-elle significativement féminisée ?
CH-G. Marie-Christine Caubet, Marie-Françoise Damza ou encore Odile Desforges, je trouve que notre direction est tout de même féminisée. Et cela depuis longtemps. D'ailleurs, Carlos Ghosn a souvent répété son intention d'intégrer davantage de femmes dans le groupe. Il y a donc eu un certain nombre d'accords à ce niveau. Je pense que cela va progressivement s'améliorer. C'est en tout cas la volonté du président.
JA. Dans les ateliers, moins de 1 % des professionnels sont des femmes. Cela veut-il dire, pour vous, que le sexisme est davantage présent chez les cols bleus que chez les cols blancs ?
CH-G. Je ne pense pas qu'il faille raisonner de la sorte. Je pense que la faible présence des femmes dans l'automobile est avant tout une affaire culturelle. C'est un monde très masculin et beaucoup de jeunes filles ne rêvent pas de voitures quand elles songent à leur avenir. Et c'est une chose encore plus vraie lorsque l'on parle de technique pure. Au niveau du commerce, du marketing, de la communication, peu importe le produit, nous pouvons avoir des femmes pour tenir ces postes. Le problème dans les ateliers, c'est que les jeunes femmes ne se posent même pas la question.
JA. Qu'est-ce qui est le plus difficile à faire disparaître, les préjugés des hommes envers les femmes, ou ceux des femmes envers les hommes ?
CH-G. Les deux préjugés sont difficiles à faire reculer. Encore une fois, le regard des hommes commence à changer. Mais le doute persiste encore. Et pour les femmes, un monde aussi masculin peut aussi rebuter.
JA. Y a-t-il une place dans l'entreprise où la femme apporte davantage qu'un homme ?
CH-G. Comme nous sommes dans un monde très masculin, la féminité permet de faire passer des messages plus facilement, d'avoir plus de disponibilité lorsque, l'on sollicite quelqu'un. Je pense que dans une équipe masculine, on a souvent un rôle de "facilitateur". Je me suis rendue compte que, souvent, dans mes missions d'interface, j'avais deux groupes aux objectifs différents, et qu'il me fallait rapprocher. Je pense que s'ils étaient restés entre hommes, la situation n'aurait peut-être pas évolué.
JA. Vous trouvez les femmes plus diplomates ?
CH-G. Quand j'ai quitté RCI et que je suis arrivée chez Renault, en 1998, on m'a dit : tu changes d'entreprise, tu changes de maillot ! Il y avait quelques divergences à l'époque entre des interlocuteurs de Renault et RCI. Deux visions différentes du financement. Il a fallu faire parler et s'entendre tout le monde. Et à ce niveau, je pense effectivement que les femmes facilitent les choses.
JA. Existe-t-il des postes dans le milieu industriel, plus précisément automobile, où la présence de femmes vous semble indiquée, voire indispensable ?
CH-G. S'il y avait un secteur de l'auto à féminiser aujourd'hui, ce serait les réseaux. Mon intime conviction est que les femmes apporteraient quelque chose. Certaines ont déjà essayé. Et peu sont restées. Car il n'y a pas qu'au niveau des professionnels du secteur que les poncifs persistent. Tout le monde n'accepte pas de se faire vendre une voiture par une femme. C'est une question de mentalité.
JA. Dans vos missions de tous les jours, quels sont les écueils dans lesquels il est important de ne pas tomber ?
CH-G. Je pense qu'étant femme, cela demande davantage d'efforts en début de carrière. Et l'important est de jouer sur la compétence. Il ne faut pas jouer la naïve qui ne comprend rien. Il ne faut pas "se la jouer" trop féminine. Il y a des comportements qui peuvent être mal interprétés. Il ne faut pas tomber dans le jeu de la séduction mais d'abord prouver ses compétences.
Propos recueillis
par David Paques
ZOOMLe jardinage, le golf Mère Thérésa Je ne suis pas du tout féministe. Je tiens à être féminine. Je tiens à ce que les femmes restent féminines, même si nous avons des droits à revendiquer. Non, simplement intéressée. Clio III Cela permet de faire la différence. Lutter contre les préjugés. Clio Mégane RS Shopping, même si, comme pour le foot, dès qu'il y a de l'enjeu, je peux être debout à hurler pour supporter Alonso. Pantalon. Un héritage de mon expérience en concession. |
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