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Constructeurs

Entretien avec Carlos Gomes, directeur général de Fiat France : "Je crois beaucoup aux marques, la seule vraie valeur "

Publié le 22 juin 2007

Par Tanguy Merrien
11 min de lecture
Comme ses collaborateurs patrons des marques, le directeur général de Fiat France conduit la filiale phare du groupe comme un chef de guerre. A la fois stratège et animateur de groupe, Carlos Gomes a construit son discours autour d'une ambition clairement définie. Une équipe jeune et expérimentée...

...l'accompagne dans sa croisade de réhabilitation des trois grandes marques Fiat, Lancia et Alfa Romeo. 


Journal de l'Automobile. Le groupe Fiat est sorti brusquement de l'ombre, est-ce que l'image de la marque automobile Fiat change en France ?
Carlos Gomes. L'image de la marque s'avère l'un des points les plus sensibles de notre stratégie de redressement. En Italie, le turn around est acquis, l'image que nous souhaitions donner du renouveau de la marque est effective. En Europe et en France, le processus de changement est aussi en cours, il va cependant moins vite qu'on ne le voudrait. Les Français perçoivent que la marque est en pleine mutation, qu'elle bouge. Ils se rendent compte que nos propositions sont plus nombreuses, plus attractives mais la marque n'a pas encore obtenu le bénéfice d'image attendu. La stratégie de communication alliée aux nouveaux produits devrait nous aider dans notre travail.


JA. Comment qualifieriez-vous la perception de la marque ?
CG. Pour les Français, Fiat est vue comme une marque sympathique, latine et plutôt "cool". Elle reste également dans la perception des Français une marque accessible, proche des gens et qui fait le plein dans les petites voitures.


JA. Est-ce que la marque est perçue comme " jeune" ?
CG. Ce n'est pas tout à fait une marque reconnue par les jeunes, même si nous avons beaucoup de jeunes parmi nos clients. Dans nos propositions, nous avons un grand nombre d'arguments qui les intéressent mais Fiat n'est pas une marque "jeune" dans la pleine acception du terme - et d'ailleurs, nous ne voulons pas non plus être catalogués comme une marque dédiée puisque, parmi les acheteurs de voitures, nous comptons plus de personnes de 40 ans que de 20 ans. Cependant, nous travaillons sur ce point ; des produits comme la Panda, la Grande Punto et bien sûr la 500 vont dans ce sens. Et pour accompagner cette démarche, nous venons de monter une équipe de "free style" qui véhicule les valeurs des sports de glisse très proches de leurs aspirations. Dans notre façon de faire, dans nos produits et notre démarche, nous sommes clairement une marque qui réfléchit "jeune", qui fait des choses fraîches. Ce que l'on recherche, maintenant, c'est que les jeunes s'en rendent compte. Et il faut aller vite, parce qu'ils vont vite.


JA. Pour rester sur cette thématique, vous avez privilégié une équipe de direction très jeune, est-ce pour coller à l'image de renouveau ?
CG. C'est une équipe jeune mais expérimentée. Mais la jeunesse pour la jeunesse n'est pas un atout suffisant. La plupart des cadres qui sont là, ont entre 10 et 15 ans d'automobile. Ils ont tous vécu des expériences positives et négatives et ils sont aujourd'hui au service d'une nouvelle stratégie et d'un groupe qui éclaire la route très loin. Nous étions en phase de survie, il nous fallait construire une équipe pour accompagner la stratégie 2010. L'équipe sert essentiellement à cette étape de croissance, de remise en cause de toutes nos stratégies, de tous nos fondamentaux, et ceci par secteur et par marque.


JA. Quelle est votre politique de marque ? Allez-vous privilégier le groupe ou les entités ?
CG. Je crois beaucoup aux marques, la seule vraie valeur en l'occurrence dans laquelle le client souhaite s'inscrire. Le concept de groupe est quelque chose de plus institutionnel, qui rassure souvent. Si on sait qu'une marque appartient à un groupe qui est serein, important, connu, la marque prendra de la valeur. Sur un plan opérationnel, en termes de vente et de marketing, les marques bénéficient d'une grande autonomie, elles doivent naviguer de façon propre et sans compromis en termes de communication, simplement parce que les clients sont très différents. Il n'y a d'ailleurs que très peu de transfert de clientèle entre les trois marques, les quatre avec le VUL. En revanche, les synergies existent non seulement en back-office et en production mais aussi en échanges, en réflexions réseau et dans le fait que nous proposons un interlocuteur unique pour quatre marques auprès des professionnels, des entreprises, des loueurs etc.


JA. Quelles sont vos ambitions, votre stratégie pour la France à horizon 2010 ?
CG. Nous sommes en droite ligne avec la stratégie énoncée par Sergio Marchionne, à savoir des objectifs ambitieux ! Nous devons réaliser 4 % de parts de marché en France avant la fin de l'année alors que nous étions tombés à 3 %. La question majeure qui se pose s'énonce ainsi : qu'est ce que nous voulons sur le marché français ? Au regard des produits qui vont sortir marque par marque, et aussi des positionnements spécifiques à chacune des entités, nous nous rendons compte qu'il y a des potentiels énormes. En termes de volume, notre souhait consiste à atteindre en 2010 150 000 voitures pour le groupe en France, soit doubler ce que nous faisons aujourd'hui. La répartition serait 5 % pour Fiat, entre 1,3 et 1,5 % pour Alfa Romeo et 0,8 % pour Lancia. Au-delà de cet objectif qualitatif, nous avons aussi l'ambition d'ancrer nos marques dans le panorama de l'automobile français et de faire partie des marques qui sont recherchées par les clients dynamiques.


JA. A qui allez-vous prendre des parts de marché ?
CG. Les constructeurs français sont passés de 62 % à 55 %. La baisse continuera dans les prochaines années et nous devrions en bénéficier. Parallèlement, nous allons nous confronter à des constructeurs qui sont ou stagnants ou qui initient leur chemin de régression.


JA. Sur quels outils allez-vous vous appuyer pour prendre ces parts de marché ?
CG. Le premier outil, c'est l'image même de la marque. Et tous les produits qui arrivent et qui sont les premiers ambassadeurs de la marque. Que ce soit chez Fiat, Lancia ou Alfa, nous avons des lancements prévus de produits qui vont s'inscrire sur des segments sur lesquels nous n'étions pas, donc générer de nouveaux volumes de ventes. La gamme est le premier levier, l'image le second, et j'attends beaucoup du travail que nous allons faire en termes d'image et de notoriété sur chacune des marques pour pouvoir gagner du volume. Aujourd'hui, une marque grise n'intéresse personne. Asseoir nos nouveaux produits est la première priorité, construire des marques fortes la deuxième, la troisième portant sur le réseau.


JA. Comment cela se traduit sur le terrain ?
CG. Nous voulons atteindre 650 points de vente fin 2009 pour l'ensemble de nos marques. L'enjeu est vraiment majeur et se définit ainsi : un réseau plus capillaire, plus étendu, et plus qualitatif, avec des structures plus modernes, vraiment dans l'air du temps et avec des ressources professionnelles et humaines, formées au nouveau commerce et aux exigences des clients. Nous travaillons à la fois sur toutes les zones qui sont à découvert, et auprès des distributeurs en phase de transmission.


JA. Vous n'intervenez pas directement chez le distributeur, comment allez-vous pouvoir révolutionner tous les services ?
CG. Nous commençons par revoir les structures physiques qui conditionnent déjà, d'une certaine manière, la notion de service. Puis, nous nous attachons à assurer une formation solide à tous ceux qui sont en contact avec les clients dans nos concessions. Nous allons tripler le nombre d'heures consacrées à la formation comportementale. Nous passons de la notion du "je réceptionne", à celle de "je suis un agent au service du client". Nous mettons également en place des services qui vont oser la rupture au niveau du concessionnaire, l'obliger à travailler différemment. Enfin, nous œuvrons beaucoup sur la compétence technique et la réparation. Au final, ce que veut le client est quelque chose de très simple. Il veut un contact facile, simple, clair avec son distributeur, une réparation sans faille et un prix juste.


JA. Cela va coûter cher, qui va payer tout cela ?
CG. Cela fait partie des investissements naturels que fait le réseau. Les nouveaux volumes qu'il va acquérir ainsi constitueront son retour sur investissement. Par ailleurs, Fiat investit aussi lourdement pour pouvoir remplir le plan. Bien évidemment, nous établissons des priorités. Cette année les investissements les plus colossaux portent sur deux domaines : les structures et la formation technique. L'année prochaine, cela sera plutôt l'académie de vente et les process.


JA. Avez-vous des préconisations de rapprochement de marques dans le réseau ?
CG. Alfa et Lancia semblent être deux marques qui peuvent, d'un point de vue distribution, notamment dans les grandes métropoles définir un mode de distribution cohérente et logique. L'ensemble, les trois marques réunies plus les véhicules utilitaires, a aussi une cohérence pour le client, à condition que les identités des marques soient bien respectées. Et bien sûr, la marque Fiat seule a vocation à se maintenir, c'est elle qui fait les plus gros volumes et donc trouve de toute façon son marché.


JA. Envisagez-vous une politique de filialisation ?
CG. Nous n'avons pas de politique de filialisation au-delà du fait que dans certains endroits où l'immobilier est très cher comme Paris ou la Côte d'Azur, nous sommes obligés d'y aller nous-mêmes.


JA. Pierre Fleck a évoqué la création d'un réseau Magneti Marelli, allez-vous créer des centres ?
CG. Il n'est pas exclu que nous fassions l'expérience sur un ou deux centres, mais notre priorité consiste d'abord à mettre tous les outils du réseau en phase avec le marché. Nous avons beaucoup de chantiers en même temps et ne pouvons pas nous disperser. Nous avons augmenté de 20 % les effectifs d'après-vente de Fiat France, nous avons mis en place des équipes dédiées aux agents, une population que nous avons trop délaissée par le passé, cela nous occupe pleinement. Maintenant, la marque Magneti Marelli est très porteuse.


JA. Le fait que vous ayez autant de marques vous incite-t-il à pousser vos clients à créer des plates-formes de pièces détachées ?
CG. Des scénarii ont été évoqués mais pour l'instant, rien n'a été encore conclu. Il y a deux ou trois expériences qui fonctionnent et nous travaillons, par exemple, sur l'approvisionnement deux fois par jour sur toute l'Ile-de-France. La création d'un pôle régional de distribution représente un lourd travail au niveau de la pièce.


JA. Encouragez-vous les distributeurs à prendre ou former des Financial Managers ?
CG. Les gros distributeurs l'ont déjà fait parce qu'ils ont le volume suffisant pour. Ce qui pose problème, ce sont les petites structures qui ont du mal à dégager une personne. Elles trouvent d'ailleurs souvent des solutions alternatives en créant des postes multifonctions. Les distributeurs font beaucoup de financement captif, cela prouve que le financement réussit plutôt bien.


JA. Vous recrutez également des vendeurs, "ambassadeurs", est-il même dit pour Lancia…
CG. Nous faisons un focus sur Lancia parce que c'est la seule marque qui n'avait pas de vendeur exclusif. Nous avions initié cette démarche avec Alfa Romeo, il y a trois ans. Pour le groupe, nous allons recruter 300 nouveaux vendeurs d'ici à 2010. L'Académie que nous avons créée prendra en charge le recrutement, la formation, l'intégration dans le réseau etc. Le vendeur Lancia sera comme les autres vendeurs exclusifs du groupe et il y en aura d'autant plus que les volumes vont augmenter. L'important est qu'ils proposent des solutions adaptées, et des packages financement - services les plus en phase avec les exigences du client. Et si besoin, ils font appel au spécialiste de la concession, au chef produit Fiat, ou encore à l'intranet, des outils de plus en plus basés sur les nouvelles technologies.


JA. Le groupe Fiat a aussi plusieurs sites de production en France, quel rôle jouent-ils dans le plan ?
Les sites de production du groupe en France ne sont pas liés à l'automobile. En revanche, ils participent à la reconnaissance de la marque sur le territoire français puisqu'ils font travailler 10 000 personnes dans 19 usines. Cela prouve que le groupe Fiat a toujours investi en France et qu'il continue à croire au marché français.


JA. Quel est votre rapport à l'environnement ?
CG. Nous avons d'excellentes nouvelles en ce domaine. Dès aujourd'hui Fiat respecte le seuil de 140 g d'émission de CO2 pour l'ensemble de sa production, ce qui le place en tête des constructeurs. La Grande Punto est "voiture citoyenne" en France pour la troisième fois consécutive. Nous continuons à lancer des produits moins polluants comme la Panda Panda, essence/GNV qui déclare 113 g de CO2. Dans la foulée, nous nous préparons à vous annoncer une grande nouvelle.


JA. La nouvelle 500 sera électrique ?
CG. C'est vous qui le dites ! Fiat est dans une logique de développement durable, de respect de l'environnement et d'anticipation, non dans une recherche d'effets d'annonce marketing. Fiat a une politique clairement calée sur le thème environnemental et c'est une marque qui s'y prête.


Propos recueillis par
Hervé Daigueperce


 

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