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Constructeurs

Chevrolet France devant la justice

Publié le 17 février 2015

Par Romain Baly
6 min de lecture
Assigné en justice suite à son retrait du marché hexagonal par dix-sept de ses anciens distributeurs et le CNPA qui lui réclament 33 millions d’euros d’indemnités, la marque a vu sa défense tanguer face aux questions des juges.
Les 17 distributeurs réclament 33 millions d’euros d’indemnités à la marque.

Faisant état de ventes déclinantes et d’une stratégie recentrée sur d’autres marchés, la maison mère de Chevrolet, General Motors, annonçait en décembre 2013 le retrait de France et d’Europe de la marque au nœud papillon pour fin 2015. Cette dernière entérinait son départ plus rapidement que prévu et prenait finalement congé du marché hexagonal le 31 octobre 2014. Une précipitation injustifiée pour dix-sept anciens distributeurs “Chevy”, qui estiment que la marque n’a pas tout fait pour permettre une bonne exécution du préavis de deux ans et qui ont donc assigné en justice Chevrolet France en lui réclamant 33 millions d’euros d’indemnités. Partie civile dans ce dossier, le Conseil national des professions de l’automobile (CNPA) a tenu à soutenir cette démarche et souhaite que ces dix-sept plaignants – présents à l’audience auréolés de maillots floqués de termes évocateurs tels que “ruiné”, “floué” ou “liquidé” – soient indemnisés à hauteur du préjudice subi, certains étant sur le point de liquider leur affaire. Le 30 janvier dernier, tous se sont donc retrouvés au tribunal de commerce de Paris. Lors de sa plaidoirie, l’avocat des plaignants, Me Renaud Bertin, a souhaité mettre en avant l’attitude jugée “méprisante” et “désinvolte” de Chevrolet. Selon ce dernier, le départ précipité de la marque avait été orchestré dès le début du processus et il n’avait jamais été question pour elle de respecter le préavis de deux ans. Me Bertin évoque ainsi un courrier envoyé à ses distributeurs, le 17 décembre 2013, par Ludovic Dirand, président de Chevrolet France, dans lequel il est question d’une “résiliation anticipée”, mais aussi de “liquider le stock des distributeurs de manière rapide et efficace” grâce à une vaste campagne de contremarques ou encore de l’absence de campagnes publicitaires pour le deuxième semestre 2014. Des arguments tendant à prouver une fuite en avant, corroborée par l’un des éléments clés du dossier, en l’occurrence celui des indemnités. Au-delà des sommes dérisoires proposées, l’avocat met en lumière une forme de pression exercée par la marque sur son réseau. En mars 2013, celle-ci propose ainsi à ses distributeurs une indemnité de 600 euros par véhicule si ces derniers s’engagent à partir avant le 30 juin 2014 contre 400 euros si la signature intervient avant fin septembre et… zéro euro dans le cas d’un départ plus tardif. “Chevrolet se targue d’avoir vu 80 % de son réseau accepter sa proposition, mais celle-ci a été acceptée par défaut alors que les 20 % restants savaient que les sommes étaient insuffisantes pour leur affaire et souhaitaient pouvoir négocier”, étaye Renaud Bertin.

“Vous ne pensez donc qu’à vous ?”

Un point que réfute Me Xavier Henry, du cabinet de Me Vogel, avocat de la marque. Arguant que Chevrolet avait tout fait pour donner du temps à son réseau, ce dernier explique que “ce départ concernait l’ensemble du marché européen et il se trouve que 95 % des distributeurs ont accepté la proposition qu’il leur avait été faite. Celle-ci ne devait donc pas être aussi inacceptable qu’on le dit”. Et de stigmatiser par ailleurs l’attitude du CNPA dans cette affaire. Dénonçant des “visées électoralistes” – la direction du CNPA étant à cette époque sur le point d’être renouvelée –, Me Henry estime que les concessionnaires ont été incités à ne pas accepter ces indemnités pour pouvoir en réclamer de plus importantes, mais aussi à ne plus commander de véhicules pour pouvoir dire que le préavis était inexécutable. Un argument contrecarré par Me Bertin sur la foi de la fameuse lettre de Ludovic Dirand, dans laquelle est expliqué que 1) les contremarques ne concernent QUE les véhicules en stock et que 2) les commandes seront désormais exécutées dans un délai de trois à quatre mois (réévalué par la suite), ne motivant en rien toute démarche en ce sens. Déstabilisé par son confrère, Me Henry le fut encore davantage face au président du tribunal. Ce dernier n’a pas manqué de souligner les approximations dans la ligne de défense : “Pourquoi organisez-vous une campagne de déstockage massif dès le mois de janvier alors que vous dites vouloir laisser vivre le contrat pendant deux ans ?” “Nous avions peur de voir les distributeurs partir au fur et à mesure”, répond alors Me Henry. “Vous ne pensez donc qu’à vous ?, lui rétorque le président. Que faites-vous pour votre co-contractant ? Si vous n’étiez pas pressés, pourquoi proposer une indemnité dégressive ?” Et ce dernier d’évoquer “le manque de discernement de la marque”. “Pourquoi ne pas avoir envisagé de vous retirer plus rapidement en donnant des indemnités plus importantes et plus justes à vos distributeurs ?”

Verdict rendu le 23 mars

Acculée, Chevrolet s’en est finalement remise à son président qui, de manière aussi inattendue que spontanée, a pris la parole pour se défendre. Reprenant les exemples des concessionnaires de Guyane et de Guadeloupe, ce dernier a tout d’abord commencé par signaler que les contrats étaient tout à fait exécutables à plus long terme. Par ailleurs, Ludovic Dirand a fait état du manque d’investissement de son réseau au début de l’exercice 2014 et explique avoir laissé à sa disposition 700 VN, non commandés. “Et pour cause, étaye Me Bertin, les concessions étaient en surcharge du fait de la campagne de déstockage. Par ailleurs, ces véhicules ont été mis à disposition par M. Dirand le 2 janvier et retirés dès le 15 en étant cédés au réseau belge face aux faibles retours.” Demeure alors un point crucial qu’il revient à présent aux juges de trancher. La chute des ventes entrevue à compter du mois de mars provient-elle davantage de l’annonce du retrait de la marque, comme le défend depuis le début Me Bertin, que du manque d’investissement des distributeurs, comme le sous-entend Ludovic Dirand ? Œil pour œil, dent pour dent. A la sortie de cette audience Pierre Galvan, l’un des dix-sept plaignants – concessionnaire à Montpellier qui se dit lui-même “sur la paille” –, a jugé que “la défense de la marque avait été audacieuse. Celle-ci a préféré charger le CNPA plutôt que d’aborder le fond du problème. A l’écoute des questions du président, je suis prudent, mais confiant quant au verdict”. Conformément à la ligne adoptée depuis le début de cette affaire, Ludovic Dirand n’a de son côté pas souhaité faire le moindre commentaire, expliquant simplement attendre le verdict. Celui-ci sera rendu le 23 mars prochain.

 

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