Biocarburants : La recette suédoise
...au point de devenir les pionniers européens du bio-éthanol.
Depuis ses hectares de productions céréalières, l'agriculteur français attend patiemment l'heure de son adoubement par l'industrie automobile. Vivotant sur le spectre du colza, il a finalement appris la patience. Son homologue scandinave, lui, est déjà rompu au potentiel d'affaires que l'énergie peut représenter pour la filière agricole (environ 10 % du chiffre d'affaires de la coopérative nationale suédoise). Sur les rives de la Baltique, l'éthanol a trouvé le berceau naturel de son expansion européenne. De Paris à Stockholm, "une histoire de volonté", nous assure-t-on. Au regard de la créativité suédoise en la matière, on saisit tout le chemin qu'il reste à parcourir à la France pour véritablement établir la filière. Car s'il est bien difficile de prendre exemple sur les modèles brésilien ou américain pour installer durablement les biocarburants en France, eu égards aux habitudes de consommation éloignées des nôtres, il est assurément opportun de se pencher sur une recette qui fait ses preuves à 1 500 km de Paris. Celle mise en place par la municipalité de Stockholm et le gouvernement suédois.
Pas de taxe sur l'E 85 jusqu'en 2013
Aujourd'hui en Suède, 90 % des ventes de Ford concernent des véhicules flex-fuel, 80 % des Saab 9.5 écoulées sont également des véhicules fonctionnant au bio-éthanol. Des résultats qui forcent les constructeurs à sauter le pas. L'an dernier, Volvo est ainsi venu grossir l'offre en débarquant sur le secteur avec deux modèles, les V50 et V70 flex-fuel. En 2005, les véhicules "propres" ont ainsi représenté 10 % des immatriculations. Et la tendance est à la hausse. Sur le premier trimestre 2006, ils représentent 12 %. Une proportion qui grimpe à 19 % dans la capitale. "L'éthanol est apparu ici il y a dix ans. Le démarrage a été laborieux mais depuis 2004, la croissance est exponentielle", raconte Göran Fredriksson, responsable de communication produit Saab. Le nombre d'immatriculations liées aux véhicules "propres" (Hybride, biogaz ou biocarburant) a en effet été multiplié par dix ces cinq dernières années et par cinq entre 2004 et 2005. Une évolution fortement influencée par les mesures prises par le gouvernement voici deux ans.
Afin d'imposer l'E 85 (mélange constitué d'essence et de 85 % d'éthanol) dans le pays, la Suède a en effet décidé, en 2004, de supprimer les taxes sur le bio-éthanol jusqu'en 2013. Désormais, ne subsiste guère que la TVA sur ledit carburant. A la pompe, l'E 85 est ainsi affiché à 0,87 euro le litre, contre 1,25 euro pour le SP 95. Intéressant, d'autant que cet allégement s'accompagne d'une baisse de 20 à 30 % de la TVA sur l'achat de ces véhicules "propres". Au final, le surcoût lié à l'achat des véhicules flex-fuel se fait ainsi minime. Entre 100 et 400 euros selon les modèles. Jusqu'en 2011, les entreprises du royaume se voient, elles aussi, incitées. Les taxes sont considérablement réduites en cas d'achat "vert". Par ailleurs, afin de soutenir un peu plus encore le développement du bio-éthanol, le gouvernement donne lui même l'exemple. Les administrations publiques (Police, Poste…) ont, en effet, pour obligation de réaliser 75 % de leurs achats de véhicules avec ce type de carburation. Et pour tous les véhicules "propres", les péages sont gratuits ! Des incitations bien inutiles si elles n'étaient pas accompagnées d'une réglementation contraignante auprès des pétroliers.
Depuis le 1er avril dernier, toutes les stations qui vendent plus de 3 000 m3 d'essence ou de gazole par an, sont obligées de proposer une alternative énergétique à leurs clients. Qu'il s'agisse, d'ailleurs, de bio-éthanol, de biogaz ou de toute autre énergie. En 2009, le seuil sera même abaissé à 1 000 m3. Ce qui devrait ainsi aboutir à un total de 2 400 stations équipées. A la fin de l'année, 700 des 4 000 stations du pays, en seront équipées. "Pour l'heure, il est vrai que cela ne colle pas encore aux besoins du parc suédois. Car malgré leur forte croissance, les véhicules flex-fuel ne représentent encore qu'une petite partie des véhicules en circulation. Mais à terme, c'est une réelle nécessité", reconnaît Nicholas Källsäter, directeur des ventes carburants chez Statoil, 2e réseau de stations suédois.
La locomotive Stockholm
"Les autorités locales sont la clé pour démarrer le développement d'un tel marché". Sûre de son fait, Eva Sunnerstedt, directeur de projet "véhicules propres" à la ville de Stockholm, a des idées à revendre. "Il ne faut pas attendre que l'autre fasse le premier pas", explique-t-elle. Proactive, la capitale n'a pas attendu le gouvernement et les industriels pour entamer sa mue. Elle est aujourd'hui, à la pointe dans le domaine. Actuellement, 40 % des véhicules "propres" vendus en Suède le sont à Stockholm. Un succès qui attire l'intérêt de nombreux observateurs. La capitale a, en effet, pris en début d'année la direction d'un programme international pour l'utilisation de bio-éthanol dans les transports. Dix villes y sont pour l'heure associées, aucune française, qui vont bénéficier de l'expérience scandinave en la matière. Une compétence basée sur une recette en 4 étapes que s'efforce de diffuser Eva Sunnerstedt. Première étape, les poids lourds. Agir sur ce type de véhicule garantit un impact environnemental important pour un investissement moindre, en termes d'installation. Deuxième temps : la flotte municipale. Pour Eva Sunnerstedt, tous les nouveaux achats doivent être des véhicules propres. A la fin de l'année, 60 % de la flotte municipale fonctionnera ainsi grâce à des biocarburants. Durant ces deux premières étapes, la ville acquiert une certaine expérience au niveau de la distribution du carburant. La troisième marche apparaît donc naturelle : développer le réseau de stations-service. Une mission qui passe également par la promotion, par de l'information auprès du public, mais aussi et surtout par une politique municipale adaptée. Pour mener à bien son projet, la ville a ainsi rendu tous les parkings et les péages urbains gratuits pour ce type de véhicules. 4e étape : lorsqu'on réserve un taxi dans Stockholm, un taxi flex-fuel est prioritairement envoyé. De quoi forcer tous les taxis à s'équiper. Aujourd'hui, ils sont ainsi plus de 200 à avoir franchi le pas. Mêmes exigences pour le réseau de transport en commun. D'ici la fin de l'année, 25 % des bus en circulation fonctionneront au biogaz ou au bio-éthanol. L'objectif est de porter cette proportion à 50 % pour 2011. Du reste, Paris s'intéresserait de près à ces actions. Après plusieurs reports, une délégation parisienne devrait enfin rencontrer ses homologues suédois au début du mois de septembre. Certains annoncent même pour la rentrée, le lancement d'une flotte de 15 bus bio-éthanol par la RATP. Une arrivée éventuelle qui en accompagnerait une autre : celle d'une flotte captive à la mairie de Paris, de quelques véhicules.
Mélange faible et fort
La mise en place de la filière éthanol en France ne se résume pas au seul E 85, par ailleurs baptisé "Super Ethanol", par le ministère de l'Industrie. Peu à peu, en effet, les pays membres de l'Union Européenne vont devoir répondre à de nouvelles normes concernant l'incorporation d'éthanol dans le carburant classique. Pour obtenir un impact conséquent sur l'environnement, l'essor des biocarburants doit en effet passer par les "mélanges faibles", ceux qui s'adaptent à tous les véhicules en circulation. Alors que l'UE exige un taux d'incorporation de 5,75 % en 2010, les pompes suédoises écoulent déjà un mélange qui intègre 5 %. L'E 5 y est devenu un standard. A l'échelon français, ce taux est aujourd'hui de 1,2 %. Pourtant, les exigences en la matière vont se renforcer. Un taux de 3 % sera exigé en 2007, de 5,75 % en 2008, puis un taux de 7 % en 2010. Soit des impératifs plus drastiques que ceux fixés par l'Union européenne et loin de ce qu'il se fait aujourd'hui de l'autre côté de l'Atlantique. Aux Etats-Unis, ce taux est d'ores et déjà de 10 %. Quant au Brésil, les véhicules y acceptent un mélange constitué à 25 % d'éthanol. Renault et Peugeot y écoulent des Clio et 206 flex-fuel "totalement flexibles et acceptant un mélange de 0 à 100 % d'éthanol". Mais là encore, les spécificités techniques sont différentes. Pour le Vieux Continent, 5 % est un taux maximum. Pour nombre de professionnels, en effet, une proportion de 10 ou 15 % d'éthanol dans le mélange imposerait des modifications au niveau mécanique. "Il vaut mieux un mélange faible ou un mélange fort. Les moteurs sont adaptés à l'un ou l'autre", témoigne Nicholas Källsäter. Certains s'interrogent donc sur la date à laquelle les constructeurs français lanceront leurs modèles sur les marchés européens, et notamment suédois. Dans le cadre de son "Contrat 2009", Renault a, pour sa part, annoncé que d'ici trois ans, 50 % des véhicules à moteur essence proposés à la vente en Europe pourront fonctionner à l'E 85. A cette date, peut-être les choses auront-elles évolué sur le territoire national. C'est en tous cas la volonté de François Loos, ministre de l'Industrie. "Nous souhaitons que les biocarburants représentent 7 % de la consommation nationale d'ici 2010 et 10 % d'ici 2015", expliquait-il lors de l'homologation de l'E 85. En septembre prochain, un observatoire des prix des carburants sera mis en place par le gouvernement. Des réflexions de ce groupe dépendra l'avenir fiscal de l'éthanol en France.
David Paques
FOCUSLe bilan énergétique en question Malgré la volonté apparente du gouvernement français d'installer la filière, certains s'interrogent aujourd'hui sur le véritable intérêt écologique du bio-éthanol. Car il s'agit de prendre le problème dans son ensemble, de la production du carburant, sa distribution à son rendement énergétique. C'est sur cette équation que des doutes subsistent. D'après une étude de l'agence américaine pour la protection de l'environnement (EPA), la production d'1,3 litre de bio-éthanol nécessiterait la consommation d'un litre d'énergie fossile non renouvelable. " On pour produire davantage. Ce n'est pas la manière dont nous concevons la chose en Europe", explique Michèle Pappalardo, présidente de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). En Europe, en effet, les expertises montrent des tout autres résultats. Ainsi, selon Arvalis, institut lié aux "Céréaliers de France", la production de bio-éthanol, qu'il s'agisse d'une base de blé ou de maïs, nécessite deux fois moins d'énergie que la production d'essence. "Globalement, toutes les études montrent que le bio-éthanol est bénéfique pour l'effet de serre par rapport au pétrole. Elles ne divergent seulement que sur les niveaux", explique Afsaneh Lellahi-Montarges, ingénieur chez Arvalis. Une question de point de vue, en somme, qui ne devrait pas entraver le développement de la filière en France. |
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