Alain Favey, Skoda : "La marque n'a pas encore atteint son vrai potentiel en France"

JA. Lors de la présentation des résultats financiers de la marque pour l'année 2018, Bernhard Maier, le président de Skoda, a indiqué que la marque aurait pu vendre 100 000 véhicules de plus. N'est-ce pas frustrant pour le responsable des ventes que vous êtes ?

AF. Evidemment que cette situation est frustrante. Elle l'a également été pour notre réseau car la demande était forte mais nous ne pouvions pas produire davantage et les délais de livraison sont devenus trop longs. Cela étant, je préfère cette situation à celle qui nous conduirait à pousser les véhicules pour les vendre. Cette demande est la preuve que nos nouveaux modèles plaisent.

JA. Skoda gagne du terrain depuis 2013, les volumes ont augmenté de 36 %, mais la croissance semble s'effriter avec 4,4 % en 2018.  Est-ce le signe d'une certaine maturité ?

AF. Il faut faire le lien avec la question précédente. Notre croissance pourrait être encore plus soutenue si nos moyens de production progressaient aussi vite que la demande. En 2018, nous aurions ainsi dépassé 1,350 million contre 1,253 million d'unités effectivement enregistrés, et donc afficher une croissance plus forte. Nous avons besoin de capacité de production en Europe et nous avons été à l'origine du projet de la nouvelle usine du groupe VW qui pourrait être opérationnelle en 2023.

JA. A plus court terme, l'augmentation de la production à Mlada Boleslav va-telle vous permettre d'alimenter votre croissance ?

AF. Il y avait un goulot d'étranglement dans la production du site et avec ce nouvel atelier de peinture, où nous avons investi plus de 214 millions d'euros et embauché 650 personnes, nous allons gagner 600 véhiculespar jour et ainsi atteindre une production journalière de 2 700 véhicules. De quoi améliorer notre croissance mais cela ne règle pas le problème global de nos capacités de production.

JA. D'autant qu'en 2025, Skoda vise 2 millions de ventes dans le monde. Où allez-vous loger ces 800 000 unités supplémentaires ?

AF. Notre dispositif actuel ne va effectivement pas suffire pour atteindre notre objectif. Mais ce chiffre inclut la Chine qui dispose de ses propres moyens de production. L'an dernier nous avons totalisé 340 000 unités dans ce pays et nous y visons plus de 600 000 unités à l'horizon 2025. Le marché chinois est aujourd'hui en baisse mais nous pensons qu'au-delà de ce passage plus compliqué, il va continuer à croître et donc nous apporter des volumes supplémentaires. Puis, dans cette vision 2025, il ne faut pas oublier le marché indien.

JA. Avant de revenir sur l'Inde, votre performance sur le marché chinois n'est pas bonne jusqu'ici. Comment l'expliquez-vous ?

AF. Il y a eu, comme souvent dans des marchés qui se retournent, un décalage entre le niveau de stock et celui du marché. Contrairement à certains marchés plus habitués à ces retournements, comme le Brésil par exemple, la Chine, qui n'a jamais connu une telle situation, a été surprise et n'a pas adapté sa production avec les premiers signes de baisse du marché au 3^e trimestre 2018. Nous nous sommes très vite retrouvés avec des stocks importants qui ont conduit à une guerre des prix depuis fin 2018. Ceci étant, Skoda devrait maintenir son taux pénétration cette année.

JA. Plus globalement, quels sont vos objectifs pour l'année 2019 ?

AF. Il est pour l'heure difficile de faire une prévision globale compte tenu de la situation en Chine et de son poids dans nos ventes. En revanche, il est certain que nous allons battre un record en Europe cette année. Nous venons de lancer la Scala, viendra ensuite la Superb restylée avec ses nouvelles versions hybride rechargeable et Scout, puis ce sera au tour de notre petit SUV Kamiq.

JA. Revenons sur vos développements en Inde. Skoda vient d'inaugurer son centre technique à Pune, "pour développer des produits aux goûts des consommateurs locaux." Faut-il comprendre que vous allez y bâtir une gamme spécifique ?

AF. Absolument. Jusqu'ici nous vendons en Inde des produits que vous connaissez et nous réalisons 0,5 % de pénétration, soit environ 17 000 véhicules sur un marché de plus de 3 millions d'unités. Pour gagner du terrain sur ce marché nous devons effectivement proposer des produits vraiment adaptés. Nous allons partir de la plateforme MQB A0 du groupe, la mettre en phase avec les nécessités du pays, et développer cette gamme avec un niveau de coût intéressant pour l'Inde mais aussi pour d'autres marchés où l'on pourrait prendre pied ensuite. 

JA. Skoda serait-elle en passe de réussir le défi low cost que VW n'a jamais relevé ?

AF. Le président du groupe, Herbert Diess, a rapidement reconnu le savoir-faire de Skoda en matière de développement au juste coût et a désigné la marque comme maître d'œuvre en Inde notamment. La marque VW en profitera ensuite puisque les produits développés dans ce pays feront aussi partie de son offre.

JA. Quelle serait la part de marché idéale en Inde pour être visible ?

AF. Pour cette première étape, avec les deux premiers produits que nous allons lancer en 2021, notre objectif est d'atteindre 50 000 unités. Cela triplerait notre pénétration à 1,5 %. Naturellement avec la suite du programme et des développements nous visons plus haut.

JA. Avec le label et les produits iV, vous signez votre entrée dans l'électromobilité. Comment allez-vous vous positionner sur ce nouveau marché ?

AF. Nous débutons avec la e-Citigo qui est un modèle d'entrée de gamme avec une technologie éprouvée mais améliorée avec notamment une plus grande autonomie. L'étape suivante sera de mettre sur le marché des modèles reposant sur la plateforme MEB du groupe VW. Le premier sera un SUV basé sur le concept Vision iV découvert lors du dernier salon de Genève. Pour séduire la clientèle prête à acheter de tels véhicules, nous allons offrir un contenu produit très attractif et très Skoda. C'est-à-dire avec un vaste espace intérieur, un vrai coffre, des astuces, la possibilité d'avoir une transmission intégrale, etc. Tout ce qui fait une Skoda doit être dans ces produits électriques.

JA. Skoda, comme les autres marques du groupe, a renouvelé ses contrats de distribution en intégrant la vente en ligne. Quelle est votre position sur ce point ?

AF. Nous ne voulons pas révolutionner le monde mais simplement répondre à une demande de nos clients qui souhaitent, pour certains, avoir la possibilité d'acheter leur voiture en ligne. Il ne faut pas y voir un nouveau canal de distribution. Une marque moderne se doit d'offrir cette possibilité mais dans tous les cas cela passera par notre réseau.

JA. Skoda est aujourd'hui présente dans 104 pays. Allez-vous bientôt ouvrir de nouveaux pays ?

AF. Ce n'est pas la priorité. Nous devons nous concentrer et encore améliorer les choses sur les marchés où nous sommes comme par exemple en Europe de l'Ouest. La France, l'Italie, l'Espagne ont encore du potentiel. La Russie, où Skoda à le lead pour le groupe VW, est aussi un gros potentiel. Nous allons y lancer le Karoq, notre pénétration est au-dessus de 5 % et va en s'améliorant. Nous devrions y vendre 90 000 véhicules cette année. Nous avons déjà évoqué l'Inde dont la future gamme pourrait nous permettre de toucher plus tard les pays de l'Asean et l'Afrique.

JA. La France fait donc partie des potentiels à développer. Quels sont les éléments qui brident les ambitions de Skoda dans l'Hexagone ?

AF. La France, comme d'autres pays, doit effectivement faire face au manque de production. Dans les 100 000 ventes manquées en 2018, de nombreuses l'ont été en France car la demande était au rendez-vous notamment sur le Karoq ou le Kodiaq. Malgré la hausse des volumes depuis 2013, la marque n'a pas encore atteint son vrai potentiel. Nous visons 3 %. Ces dernières années, sous la houlette de Lahouari Bennaoum et maintenant de Dorothée Bonassies, les équipes ont fait et font de l'excellent travail mais il s'agit d'un défi permanent. Le marché français fait clairement partie de nos priorités de croissance. Vous vous doutez bien que je regarde la situation de très près.