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L’école des femmes

Publié le 3 septembre 2004

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
En s'ouvrant à la mixité en 1994, l'EPF s'est réfugiée dans un sigle, faisant le deuil de son ancienne appellation, l'Ecole polytechnique des Femmes. Depuis, l'école rassemble toujours un nombre élevé de jeunes filles puisque ces dernières représentent 33 % de ses effectifs. Pourtant, l'école...
En s'ouvrant à la mixité en 1994, l'EPF s'est réfugiée dans un sigle, faisant le deuil de son ancienne appellation, l'Ecole polytechnique des Femmes. Depuis, l'école rassemble toujours un nombre élevé de jeunes filles puisque ces dernières représentent 33 % de ses effectifs. Pourtant, l'école...

...défend toujours cette spécificité et revendique son engagement pour la promotion des femmes dans les métiers scientifiques. Visite d'un petit temple surprenant et chargé d'histoire.

 En pénétrant dans les locaux de l'EPF, situés à Sceaux, à quelques encablures du fameux lycée Lakanal, vous percevez instantanément le parfum d'une histoire atypique. Avec l'arôme éthéré et irrégulier des grandes sagas. Avec l'effluve épicé d'un destin, d'une volonté. Dans la cour, un buste de femme dépasse son rôle d'hommage pour vous servir d'indice. Il y a aussi une opulente maison bourgeoise reconvertie en déconcertant espace administratif. Il y a enfin les amphithéâtres et les laboratoires, des bâtiments plus récents et pourtant un tantinet décrépis. L'EPF s'apparente plus à un collège d'une banlieue francilienne aisée qu'au plateau de Saclay, corseté dans son droit maintien institutionnel. Parfum d'histoire, l'EPF trouve ses racines dans le cœur atroce de la Grande Guerre. En 1917, alors que la plupart des hommes sont au front et que la demande d'ingénieurs est très forte, le gouvernement décide de permettre aux filles d'intégrer les établissements de formation d'ingénieurs. Marie-Louise Paris, représentée en buste dans la cour de l'EPF, fera partie des premières à profiter de cette ouverture. Ingénieur diplômée travaillant à Paris, elle commence dès 1923 à envisager d'ouvrir une école d'ingénieurs réservée aux jeunes filles. Les obstacles et les réticences extérieures sont légion, mais grâce à son engagement permanent et à sa force de persuasion, Marie-Louise Paris va concrétiser son insensé projet. En novembre 1925, l'Institut électromécanique féminin voit le jour, avec le soutien de Gabelle, directeur du Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), qui accueille la formation dans ses murs.

 "Loin de nous la pensée de favoriser l'émancipation de la femme…"

Prudente, Marie-Louise Paris déclare alors : "Je sais bien que la plupart des grandes écoles d'enseignement technique admettent maintenant des femmes. Mais ces dernières ont-elles toutes le temps et les ressources nécessaires pour suffire aux longues études qui conduisent aux carrières libérales ? En ce qui concerne la profession d'ingénieur, sont-elles en outre physiquement capables de faire concurrence aux hommes sur les chantiers, pour la construction des ponts par exemple ? Je ne le crois pas. Leurs aptitudes les conduisent au contraire tout naturellement à occuper des postes de confiance dans les bureaux d'études où s'élaborent des projets d'installation et dans les laboratoires adjoints à la plupart des usines." Avant d'ajouter ces mots drapés d'un mystère jésuitique : "Loin de nous la pensée de favoriser l'émancipation de la femme et de l'écarter du foyer qu'elle est appelée à fonder. Nous voulons au contraire lui mettre en main un instrument qui lui assure les ressources matérielles nécessaires à la création de ce foyer." Suivent alors des années incertaines où le sort de l'Institut est rediscuté à chaque fin de promotion. En 1933, désireuse de matérialiser l'élargissement du contenu des cours, qui intègrent notamment un important volet aéronautique, Marie-Louise Paris décide de changer le nom de son établissement. Il s'appellera désormais l'Ecole polytechnique des femmes. En 1938, la Commission des titres d'ingénieurs habilite l'EPF à délivrer le diplôme d'ingénieur et, cinq ans plus tard, l'établissement est reconnu par l'Etat et passe sous la tutelle de l'Education nationale. Après la Seconde Guerre mondiale, l'EPF prend un nouvel essor et ses promotions, jusqu'alors limitées à 5 ou 6 diplômées, rassemblent une vingtaine de jeunes femmes. Reste le récurrent problème des locaux. Jusqu'en 1956 et la sédentarisation dans la propriété de Sceaux, l'EPF est itinérante, passant du lycée La Fontaine au lycée Jules Ferry et même à Sup'Aéro. La survie de l'école a beaucoup tenu au fait que les jeunes ingénieurs estampillées EPF commençaient déjà à être de plus en plus appréciées. Une notoriété basée sur la compétence. D'ailleurs, dès 1963, l'école ouvre une spécialisation Electronique. En avril 1969, Marie-Louise Paris décède. C'est aussi un tournant pour l'école qui va profiter de la solidité de ses fondations pour se développer et adopter un mode d'administration et de gestion plus rigoureux et moderne. En 1976, l'EPF intègre ainsi la Conférence des grandes écoles, tandis que ses promotions regroupent 150 jeunes filles.

 En devenant mixte, l'EPF est passée de 100 à 33 % de jeunes filles dans ses effectifs en dix ans

 Aujourd'hui, l'EPF, qui s'est élargie sur deux sites annexes, distingue des promotions de 170 étudiants. La durée des études s'étale sur cinq ans et, si l'objectif reste de former des ingénieurs généralistes, huit spécialisations (Aéronautique & Espace, Télécommunications, Ingénierie industrielle et logistique, Systèmes et réseaux informatiques, Management des systèmes d'information, Mécanique des matériaux et des structures, Energétique et environnement, et Ingénierie d'affaires et de projets) sont proposées aux élèves. Surtout, en 1994, l'EPF est devenue mixte. Une petite révolution à laquelle s'opposèrent les "anciennes" de l'école. Cependant, avec l'ouverture, certes réduite dans certains cas, des autres écoles aux jeunes filles, cette idiosyncrasie n'avait plus lieu d'être. Cette décision a eu des conséquences spectaculaires : aujourd'hui, le taux de féminisation de l'école n'est plus que de 33 % ! Un taux qui reste toutefois largement supérieur à celui des autres écoles du même type (entre 15 et 25 % selon les sources…). Par ailleurs, devenue un établissement "normal", l'EPF s'est retrouvée en concurrence directe avec les autres grandes écoles, ce qui a posé un problème de maintien du niveau de l'école. Problème relatif car l'EPF jouit d'une notoriété avérée, comme en témoigne le fait que les anciennes de l'école fassent valoir des salaires supérieurs à la moyenne nationale. Pour Claudine Hermann, première femme professeur à Polytechnique et par ailleurs fortement impliquée pour la promotion des filles dans les filières scientifiques et dans la recherche, "l'EPF conserve toujours une grande originalité. L'héritage historique est toujours présent dans les esprits. Durant longtemps, il n'y a eu que des filles dans l'école et pour nombre d'entre elles, c'était le seul moyen de devenir ingénieur car les autres écoles acceptaient très peu de filles. Cette originalité est précieuse même si elle ne suffit pas à faire de l'EPF une grande école du groupe 1. Par ailleurs, l'EPF a aussi eu une démarche pionnière par rapport au développement à l'international".

L'institut IIWE de l'EPF cherche à promouvoir les femmes ingénieurs de toute la planète

Bien qu'ayant épousé le principe de mixité, l'EPF, désormais dirigée par Alain Jeneveau, reste viscéralement investie dans une politique de promotion des jeunes filles dans les filières scientifiques et, par extension, des femmes dans l'ingénierie. Sous l'impulsion de Gay Tischbirek, elle a ainsi créé l'IIWE (International Institut of Women in Engineering). Cet institut cherche à promouvoir les femmes ingénieurs à travers le monde et il organise notamment un séminaire annuel de trois semaines avec des étudiantes et des professeurs venues des cinq continents. Cette année, celui-ci avait lieu en juillet sur le campus de l'EPF et s'agrémentait de visites d'entreprises (IBM, Renault, Schlumberger…). "Les jeunes filles qui participent au séminaire IIWE financent souvent leur voyage", déclare Gay Tischbirek pour mieux souligner leur implication, avant de poursuivre : "Elles sont isolées dans leurs universités ou leurs écoles et nous souhaitons les valoriser. Nous voulons aussi les préparer à la réalité de la vie professionnelle et leur faire mesurer les différences de statut et d'exercice du métier d'ingénieur selon les pays." Cette année, le projet phare du séminaire était consacré à l'optimisation du traitement de l'eau dans les différents pays longeant le Nil. "Ce projet est réalisé en partenariat avec l'Unesco et s'échelonne sur plusieurs décennies. L'eau constitue le principal enjeu du 21e siècle. Par notre choix, nous montrons que la femme va prendre ses responsabilités", précise Gay Tischbirek. Un engagement qu'elle assume pleinement : "Si la promotion des femmes est assimilable au féminisme, alors nous sommes féministes. Mais nous n'excluons pas les hommes. Nous pensons simplement qu'un équilibre entre hommes et femmes ne peut être que positif. Ceci sans naïveté aucune, car ce n'est pas cela qui changera la face de la planète." Un équilibre pour lequel elle milite aussi, dans un registre plus prosaïque, dans l'ingénierie. "Les choses tendent à évoluer… C'est plus rapide dans ce que l'on appelle en anglais les "human sciences" que dans les secteurs de production, comme l'aéronautique ou l'automobile par exemple", constate-t-elle. Industrie automobile qu'elle connaît bien pour avoir travaillé jadis chez Renault et qui lui inspire cette remarque : "Les jeunes filles sont désormais attirées par ce secteur. Mais elles ont l'impression que les portes sont fermées et, du coup, souvent, elles n'insistent pas…" Bref, l'EPF veut participer à l'histoire de l'équilibre entre hommes et femmes ingénieurs et hommes et femmes tout court. Cet entêtant parfum d'histoire…


Alexandre Guillet







Améliorer l'égalité filles-garçons
Pour approfondir le sujet de l'égalité entre filles et garçons, vous pouvez visiter le site de la Conférence des grandes écoles (cge.asso.fr). Vous pourrez notamment y consulter une "Etude pour améliorer l'égalité filles-garçons" réalisée par Claudine Hermann (département physique de l'Ecole polytechnique) et Marie-Laure Beauvais (direction scientifique Ina-PG). Plus largement encore, sur le site int-evry.fr/ demain-la-parité, vous pourrez découvrir le réseau Demain la Parité, créé en 1994 à l'initiative de Françoise Gaspard, actuellement représentante de la France à la Commission de la femme de l'ONU. Deux mines d'informations.



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