La "réunionite" à la française se cherche un avenir
Dans le monde d’avant, la "réunionite" était vue comme un mal bien français. Est-ce toujours le cas après plus d’un an de pandémie ? Selon une étude réalisée par les sociétés Barco et Circle Research "avec 10 meetings par semaine en moyenne, un cadre français passe l’équivalent d’une journée entière de travail hebdomadaire en salles de réunion". Rassurez-vous, nos amis chinois et japonais ne font pas vraiment mieux. Selon une autre étude réalisée par l’IFOP et publiée en octobre 2018, un salarié passe en moyenne 4,5 heures en réunions chaque semaine. Sur la base d'une semaine de 35 heures, avec 47 semaines de travail dans l'année, le temps consacré à cette tâche équivaudrait près d’un mois par an ! La crise sanitaire compliquant les réunions en présentiel, les visio-conférences ont pris le relais. Et là, c’est le drame ! La réunionite fait un retour fracassant dans le quotidien des collaborateurs, pis encore pour leurs managers, dans une version virtuelle tout aussi chronophage mais pas nécessairement plus productive ?
Définir un ordre du jour précis
La dernière cartographie des compétences de France Stratégie montre que 82 % des salariés utilisent des outils numériques dans leur travail. Si la crise aura permis une avancée significative quant à la maturité digitale des organisations, encore faut-il choisir l’outil adapté pour réaliser des visio-conférence de la meilleure des façons. Il existe aujourd’hui une multitude d’outils collaboratifs (Zoom, MS Teams en passant pour Meet ou Webex), de brainstorming ou de planification. L’essentiel consiste à utiliser à bon escient, ce qui n’est pas toujours le cas, si j’en crois mes échanges réguliers avec des candidats et managers. Si les e-réunions permettent de continuer à collaborer à distance, elles ne semblent pas mieux préparées. L’établissement d’un ordre du jour clair et précis des sujets à aborder, la prise de note et les suivis semblent moins systématiques et la passivité semble rythmer la majorité de ces rendez-vous. On ne va pas se mentir, si certains estiment les réunions en visio plus productives, c’est qu’en réalité, elles permettent de gagner du temps en termes d’organisation et de logistique. D’autres avoueront sans mal que le virtuel permet de faire autre chose en même temps - en restant les yeux face caméra pour faire illusion. A quand un détecteur de passivité en réunion virtuelle ?
L'animation reste déterminante
Pourquoi donc, nos réunions virtuelles ou présentielles sont-elles si peu plébiscitées ? Dans le monde d’avant, le management était plus vertical, centralisé avec des managers parfois omniprésents. Comme au théâtre classique, les fondements du management reposaient essentiellement autour de l’unité de temps (la journée de travail avec ses horaires imposés), unité de lieux (le lieu de travail, défini contractuellement) et d’action (les tâches à réaliser au quotidien ou au mieux à la semaine). Très simple pour un manager, depuis son bureau de superviser, de contrôler et d’informer ou de communiquer avec ses équipes.
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Nous sommes passés sous la contrainte à une nouvelle ère, celle du distanciel (quand cela est possible) avec comme prérequis indispensable : la confiance, l’autonomie, le pilotage par objectifs et, au final, une culture du résultat plus prégnante. Quel changement brutal pour certains managers et collaborateurs ! La crise favorise de manière considérable l’incertitude. Celle-ci engendre des réactions différentes d’un salarié à l’autre : stress, angoisse, inquiétude impactant de manière globale le moral des troupes. Mais l’incertitude peut aussi favoriser la stimulation et la créativité. Le rôle des managers dans l’animation du distanciel comme du présentiel est donc très important.
On informe en virtuel ; on décide, on crée et on réfléchit en présentiel
Certaines études que nous avons réalisées chez Agora Search&Consulting montrent que, depuis le premier confinement, les attentes des collaborateurs comme des managers ont évolué au sujet des réunions (comme sur pas mal d’autres sujets d’ailleurs). Dans un monde devenu hybride, où les collaborateurs devraient passer en moyenne 40 % de leurs temps en télétravail (soient 2 jours par semaine), les systèmes hybrides entre présentiel et virtuel devront coexister. Ce qui apparait clairement, c’est que l’organisation des réunions doit davantage être pensée en fonction des objectifs à atteindre ce qui n’était pas forcément le cas avant. De fait, si on informe en virtuel, on communique, on décide, on crée, on réfléchit mieux en présentiel.
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De même, les échanges bilatéraux (de toute nature) doivent être réalisés sauf cas de force majeure en présentiel. Les réunions en présentiel restent donc essentielles et ne vont pas disparaitre. "Au contraire, elles permettront de faire revenir certains au bureau" comme j’ai pu déjà l’entendre. Néanmoins, cette dichotomie entre présentiel et distanciel pose question sur le temps passé en réunion et le travail en équipe traditionnellement valorisé dans l’entreprise (vs le travail individuel). Le format des réunions devrait donc dépendre de l’objectif poursuivis, y compris pour s’assurer du moral des troupes ou renforcer le fameux lien social ou la cohésion des équipes. Les collaborateurs veulent moins de réunions mais davantage de disponibilités et de lieux de rencontre car finalement on risque de ne revenir au bureau davantage pour travailler ensemble et se voir. La réunion informelle comme driver du retour du collaborateur, vers un retour en force de la machine à café ?
Pas plus de 52 minutes pour une réunion efficace
Quelles règles néanmoins s’imposent pour gérer ses e-réunions : définir des règles de gouvernance et des bonnes pratiques numériques semble un prérequis. Savez-vous qu’une réunion efficace ne devrait jamais dépasser 52 minutes ? (dixit un guide pratique du management à distance de Moovone – 04/2021). Une autre étude démontre que 21 minutes seraient le temps idéal pour une réunion efficace : un objectif, une décision, ce qui me parait très suffisant. Nos amis nordiques sont de bonnes références en la matière. C’est d’autant plus vrai à distance, lorsque les raisons de décrocher se multiplient : problème technique, coupure de l’image et/ou du son, présence de ses enfants, du chat ou de belle maman… Qui n’a pas souffert de micros restés ouverts, d’un fond d’écran ringard (ou trop souvent vus), de certains monologues de collègues ou de ses boss… Je croise encore beaucoup trop de managers qui se plaignent du temps passé en visio. Ils enchaînent pour certains les e-réunions (et commencent à répondre à leurs e-mails après 20h). Certains pensent tout comme moi que la multiplication du nombre de réunions est un découragement à la collaboration spontanée et à l’esprit d’initiative (à méditer donc…).
Pourquoi ce besoin de réunions ?
Ce qui interpelle finalement, c’est pourquoi avoir tant besoin de réunions ? Certaines mauvaises langues diront que les entreprises communiquent généralement assez mal. Je crois surtout que beaucoup confondent encore réunion d’information et réunion pour partager. C’est finalement notre rapport au travail collectif qui devrait interpeler. D’autres pourront penser que le besoin de contrôle et le manque de confiance en sont la raison principale. Petites ou grandes organisations, avec des structures très verticales ou très matricielles, je crois d’avantage que c’est la fixation des objectifs qui pourrait expliquer la réunionite française, chinoise ou japonaise. Le management par le livrable (ou par objectifs) qui s’impose aujourd’hui plus encore depuis le premier confinement est loin d’être la norme. De fait, les managers ont besoin d’être informés, de contrôler, pas forcément de communiquer, d’où beaucoup de réunions souvent inutiles ou l’on attend son tour, comme à confesse, pour partager. Comme si le fait d’être réunis autour d’un écran pouvait suffire…
La distance peut favoriser une forme de proximité
"La distance géographique mais aussi temporelle pourrait paradoxalement favoriser le développement d’une forme de proximité" juge Thibault Lieurade, journaliste de The Conversation dans son article du 5 septembre 2021. Il semble donc tout à fait possible d’envisager une forme de sociabilité numérique à distance et donc de partage numérique. D’ailleurs, les fournisseurs de solutions informatiques ont communiqué des chiffres selon lesquels 52 % des personnes interrogées avaient constaté une amélioration de la collaboration pendant le premier confinement dans le monde, ou encore que 72 % des salariés français interrogés estimaient que leurs relations avec leurs collègues s’étaient améliorées. Quelles soient virtuelles ou présentielles, la façon dont nous gérons les réunions est symptomatique de la façon dont nous coopérons, à distance ou pas, au sein de l’entreprise. Du moins me semble-t-il… Le mois prochain, nous ferons un point pour comprendre si la fin du télétravail obligatoire est une bonne ou une mauvaise nouvelle.
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