Créativité es-tu là ?
...de temps, afin de laisser ré-émerger de nouveaux projets.
Lorsque nous connaissons des bouleversements intérieurs, nous préférons en ignorer les signes annonciateurs, car nous sommes démunis en tant qu'individu face à notre propre changement. Une transition nous permet de réajuster nos valeurs et de nous réinvestir dans nos objectifs personnels, quel que soit notre métier. Nous n'avons pas de contrôle sur ces mouvements intérieurs. Ils sont craints plutôt que bienvenus dans une vie professionnelle, à 30 ans comme à 50. Désireuse de ne pas laisser un collaborateur, tous niveaux de responsabilités confondus, dans cet état d'apesanteur, la majorité des entreprises lui offre une seconde chance sous forme d'accompagnement.
Si cette initiative est louable, bien souvent, l'encadrement s'agacera vite d'un collaborateur qui fut brillant, mais qui peine soudain à retrouver son souffle dans un nouveau projet. Cependant, l'enjeu est de taille. Il suffit d'être présent et patient, en attendant que la personne en errance reconstitue ses potentiels avant de repartir sur un nouveau défi personnel.
Comme si la promesse de tant d'abondance n'était pas supportable, les managers prescrivent à l'individu concerné des objectifs qui l'enjoignent de revenir dans la norme dans des délais "raisonnables". Ce faisant, ils renient toute cohérence avec leurs invitations et exhortations à la créativité, à l'esprit de rupture…
Ne pas confondre innovation et créativité
Un souci d'efficacité et de performance a permis de confondre deux dynamiques pourtant distinctes : d'une part, l'innovation qui est une des activités de l'entreprise et d'autre part, la créativité qui relève essentiellement des individus.
On peut affirmer qu'actuellement l'activité créative se laisse kidnapper par l'activité d'innovation. On peut même ajouter que l'entreprise semble vouloir continuer à ignorer, malgré cette colonisation, que le monde du 'jeu' et du 'je' est un univers soumis à des cycles de vie qui par conséquent, ne peuvent pas être linéaires et encore moins soumis aux ordres du temps social.
FOCUSElisabeth Damour est consultante en ressources humaines et son parcours professionnel l'a mené de Londres à Saõ-Paulo et ensuite à Paris où elle a créé le cabinet Suivi d'Effets en 1999. |
L'esprit de normalisation et de contrôle, qui caractérise l'ensemble de nos activités, fait barrage à un esprit de maïeutique (*). Ce n'est donc pas une surprise que l'entreprise ne puisse qu'entretenir une attitude paradoxale à cet égard. Ce qui est dommageable, puisqu'elle ne profite pas des résultats qu'elle veut atteindre en investissant dans un accompagnement individualisé. Pour éviter les risques de "l'inconformité", elle se prive donc du potentiel créatif de ses collaborateurs.
Prendre garde à ne pas favoriser la pénurie de créativité
L'entreprise innovante a souvent mis au point des systèmes performants afin d'éliminer ses trois bêtes noires : la prise de risque, l'incertitude et l'irrationnel. Les trois sont des expériences attachées la créativité individuelle. On aura ainsi oublié que le rationnel ne peut se construire qu'à partir de l'irrationnel, la réciproque ne jouant, en l'occurrence, pas.
C'est un véritable voyage dans l'irrationnel que vit un collaborateur en transition. A l'aise dans l'atermoiement, il a des difficultés à élaborer une vision pour le futur : on ne s'étonne donc pas que ces collaborateurs soient souvent dépossédés de tout projet stratégique. On leur rend d'ailleurs ainsi un grand service : cela leur donne le temps dont ils ont généralement manqué et leur encadrement pourrait même aller plus loin en confiant momentanément les efforts de "rationalité" à d'autres relais dans l'entreprise. On aura compris qu'il serait vain de pousser la personne à mettre les choses en action. L'objectif est d'abord pour elle de régler le dilemme de ne pouvoir satisfaire à deux appels contradictoires : être conforme à la norme ou être en conformité avec elle-même.
En l'absence de permissions suffisamment protectrices pour accueillir ces expérimentations individuelles et en faire naître une dynamique créative, les collaborateurs entrent en hibernation. Ils contribueront de fait à la seule activité que l'entreprise rend acceptable et favorise tout en s'en défendant : créer la pénurie de créativité…
Elisabeth Damour, Coach
elisabeth.damour@suivideffets.com
* Le questionnement maïeutique, véritable accouchement des esprits, consiste à accompagner la réflexion de son interlocuteur, afin de l'aider à exprimer les idées qu'il a en propre. Socrate, philosophe grec, est à l'origine de cette pensée.
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