Universités, grandes écoles : l’énième conflit
...l'Hexagone, l'enseignement supérieur dans les domaines des sciences et techniques, qui comprennent aussi les sciences de gestion et les techniques de management, est traditionnellement organisé autour d'un système binaire : d'une part la filière des classes préparatoires et des grandes écoles et, d'autre part, la filière universitaire. Deux pôles qui n'ont jamais vraiment fait bon ménage… Sur fond de crise de la recherche et d'une éventuelle refonte de l'enseignement supérieur, un nouveau conflit vient d'apparaître. Réunie en colloque annuel en mars dernier, la CPU (Conférences des grandes écoles), par la voix de Yannick Vallée, son premier vice-président, a évoqué des mesures à mettre en avant "pour favoriser un fort rapprochement des CPGE (Classes préparatoires aux grandes écoles) avec les universités pour arriver, à terme, à leur intégration comme composantes d'universités". Rajoutant de l'huile sur le feu en soulignant qu'il "n'était pas normal que les étudiants de classes préparatoires ne connaissent pas le monde universitaire et ne soient pas confrontés à la recherche". Cette proposition a fait bondir Christian Margaria, président de la CGE (Conférence des grandes écoles) et directeur de l'INT. Au premier chef, il a rappelé la qualité éprouvée du système des grandes écoles. Qualité consacrée à l'aune du marché par "une employabilité immédiate des diplômés, un très faible taux de chômeurs et un rayonnement des cadres formés "à la française" dans les sociétés multinationales". Sur ce point, force est de reconnaître que les grandes entreprises, comme Renault ou PSA par exemple, ont principalement recours aux grandes écoles pour les postes dits de top management. Et au niveau des ingénieurs et des techniciens des bureaux d'études, le tissu des écoles est privilégié aux universités, au moins au niveau du premier filtre de sélection.
"Dans le contexte actuel, la sagesse conseille de ne pas toucher à ce qui fonctionne en faveur de ce qui fonctionnera peut-être"
Par ailleurs, Christian Margaria tient à battre en brèche certains arguments avancés contre le continuum CPGR-Grandes écoles, notamment sur le thème de la discrimination sociale. "S'il est exact que les enfants des cadres et professions intellectuelles supérieures représentent un pourcentage important des élèves des grandes écoles (ndlr : plus de 70 %), ce phénomène est aussi présent, dans une moindre mesure, dans les troisièmes cycles universitaires", affirme-t-il. Selon lui, "l'argument de poids concernant l'intégration des CPGE dans les universités est le contact avec la recherche qui existerait en 1er cycle universitaire, les cours étant assurés par des enseignants chercheurs." "Existerait", le conditionnel a son importance ! Christian Margaria considère en effet que "vouloir véritablement exposer les étudiants de 1er cycle à la recherche est une douce plaisanterie et, dans la plupart des autres pays, ces premières années d'enseignement supérieur sont consacrées à l'acquisition de savoirs de base académiques". Il souligne aussi les propres lacunes de l'université vis-à-vis de la recherche, avec en point d'orgue l'exemple des querelles intestines qui parasitent les relations entre universités et IUT. Par ailleurs, s'il reconnaît que les professeurs de prépa se consacrent exclusivement à l'enseignement, il rappelle qu'environ 70 % d'entre eux sont recrutés parmi les jeunes agrégés ayant poursuivi des travaux de recherche et décroché un doctorat. Bref, la CGE ne veut pas entendre parler d'un rapprochement avec l'université, surtout sans concertation préalable. Cette polémique, que d'aucuns pourraient assimiler à une énième querelle de clochers, revêt une réelle importance à l'heure de la crise du domaine de la recherche (crise dénoncée par les chercheurs, mais aussi par les entreprises, notamment dans l'industrie) et des travaux préparatoires à l'harmonisation des diplômes en Europe. Le caractère idiosyncrasique de l'enseignement supérieur français reviendra inévitablement sur le devant de la scène et pourrait être remis en cause. Or, s'il y a des choses à améliorer, il y a aussi beaucoup à perdre. "Dans le contexte national actuel de l'enseignement supérieur et de la recherche qui ressemble davantage à une effervescence de panique qu'à une organisation stratégique, la sagesse conseille de ne pas toucher à ce qui fonctionne en faveur de ce qui fonctionnera peut-être", estime d'ailleurs Christian Margaria. L'arbitrage viendra peut-être aussi des entreprises, c'est-à-dire des recruteurs et par extension du marché, et les grandes écoles ont alors peu d'inquiétudes à nourrir. Les critères des plans de recrutement des grandes entreprises automobiles en sont un parfait exemple.
Alexandre GuilletSur le même sujet
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