Une voiture neuve, c’est quoi ?
Sur un plan purement statistique, le marché de l’occasion se décompose, le plus souvent, en trois segments : le VO de moins d’un an, la tranche des produits de 1 à 5 ans et les VO âgés de plus de 5 ans. Mais, pour les professionnels, la segmentation recouvre d’autres considérations, souvent stratégiques, parfois marketing : le “vrai VO” (qui désigne les produits de 3 à 4 ans), les voitures neuves, pratiquement neuves ou de “moins de 100 km”, les VO dits “0 km”, les VO sous garantie constructeur… L’an passé, un distributeur allait même jusqu’à parler de “0 km deuxième immatriculation”. Autant de pratiques, à des fins “tactiques” et statistiques, qui rendent d’autant plus floue la frontière entre un véhicule neuf et un véhicule d’occasion. Une problématique sur laquelle le CNPA a décidé de bouger. Fraîchement nommé à la présidence de la branche des concessionnaires VP, Christophe Maurel, qui dirige également le groupe de distribution familial (53e du Top 100), a annoncé sa volonté de clarifier la situation en redéfinissant la désignation d’une “voiture neuve”. “Nous demandons que soit établie une définition d’un VN de façon claire, nette et précise afin de ne pas prendre les clients pour des imbéciles. Un véhicule neuf est un véhicule qui n’a jamais été immatriculé définitivement. Dès lors que le véhicule a été immatriculé et que le droit à la garantie a été amputé, il ne peut plus être présenté comme un VN. Il devient commercialement un VO. Or, le flou actuel permet à des acteurs de communiquer sur une offre de voitures neuves qui, pour nous, n’en sont pas, ce qui a pour conséquence de nuire à l’image d’un produit et d’une marque”, déclare-t-il. Il n’est pas rare, en effet, de trouver sur certains sites, dans l’onglet “voitures neuves”, ce type de mention : “Immatriculé 10 km (date de première mise en circulation : 30/05/2014)”, “Neuf - Non immatriculé 10 km”, “A la livraison, ce véhicule aura une première immatriculation administrative, il ne peut bénéficier d’un éventuel bonus écologique”…
Défendre le consommateur, mais pas que…
L’organisation n’hésite pas à dénoncer un manque de transparence, voire des “actes de tromperie” : “Lors d’une commande sur Internet, les consommateurs ne s’aperçoivent du kilométrage que lors de la livraison, car aucune obligation n’impose de le mentionner pour un VN, à la différence d’un VO. De plus, la première immatriculation entraîne une décote lors de la revente. Enfin, le consommateur doit pouvoir comparer les prix en toute connaissance de cause et choisir entre un véhicule déjà immatriculé ou non.” Si la branche des concessionnaires VP s’offusque “des impacts pour le consommateur”, elle entend surtout par cette démarche défendre son pré carré sur son business premier, la vente de voitures neuves, dans un contexte toujours tendu. Christophe Maurel, qui a donc parfaitement endossé son nouveau costume, ne s’en cache pas. “Seuls les distributeurs et agents de marque, dans le cadre du contrat qui les lie aux constructeurs, devraient être habilités à communiquer sur des offres de voitures neuves. Nous sommes soumis à des obligations de présentation des véhicules dans nos affaires, en indiquant le taux de CO2, la consommation, le lieu de fabrication… Or, un opérateur qui importe un véhicule d’un pays étranger peut, lui, vendre une voiture neuve et s’affranchir de ces obligations. Il y a deux poids deux mesures, et c’est ce que nous condamnons.” Autre message, plus diffus mais tout aussi évident, dans cette démarche : le CNPA n’entend rien moins que d’empêcher les acteurs indépendants, qui profitent de ce vide juridique, pour annoncer dans leur communication et sur leurs sites Internet la vente de voitures neuves. “Mais nous ne jetons l’opprobre sur aucune typologie d’acteurs dans la mesure où l’absence de définition permet de le faire”, tempère Christophe Maurel.
Une action jugée “discriminante”
Des propos qui ne convainquent guère les acteurs indépendants, qui se sentent directement ciblés par cette action. Le sujet est sensible. “D’un côté, je trouve que le CNPA a raison de poser ce sujet sur la table, et d’un autre, les concessionnaires sont les premiers à revendre leurs VD ou VO 0 km comme des voitures neuves. D’ailleurs, le CNPA ne doit pas perdre de vue non plus qu’il a des négociants parmi ses adhérents”, commente un gros négociant français. “A mon sens, cette volonté n’a pour seul but que de protéger les réseaux d’agents et de concessionnaires au détriment des acteurs indépendants. C’est discriminant. Or, le CNPA doit défendre l’ensemble de la profession, partage Vincent Martinez, dirigeant de la société Auto JM, spécialisée dans la vente de voitures neuves. De plus, le constructeur est le premier à imposer à ses distributeurs d’immatriculer le véhicule neuf, aussitôt la vente réalisée, afin de remplir ses objectifs statistiques sur le marché local.” Un autre débat…
Les véhicules “0 km” absents du débat
Aujourd’hui, une voiture neuve fait l’objet de plusieurs définitions, il est vrai assez contradictoires : une définition fiscale qui relève du Code général des impôts, celle de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, une troisième qui émane de la Cour de Justice européenne et une dernière de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (voir FOCUS). Le CNPA milite pour que soit adoptée législativement une définition du véhicule neuf, basée sur celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui considère qu’une “immatriculation antérieure à la vente transforme un VN en VO, que ce véhicule ait été ou non conduit sur route (car il n’est plus de “première main”)”. En revanche, la branche des concessionnaires VP n’entend pas faire la chasse aux véhicules dits “0 km”, qui sont considérés comme des véhicules de seconde main. “Un véhicule qui a déjà été immatriculé est un VO, c’est clair, net et précis, et encadré par la commission des fraudes, juge un professionnel bien connu du marché de l’occasion. Sur ce sujet, il y a des professionnels qui ne savent pas, et qui sont de bonne foi, et d’autres qui savent parfaitement ce qu’ils font. Par exemple, les voitures qui sont importées de Belgique font l’objet d’une immatriculation d’un jour. Au final, le véhicule n’est pas considéré comme ayant été immatriculé une première fois et son importation repose uniquement sur l’obtention d’un Certificat de conformité européen (COC).”
Le référencement en ligne en jeu
Si les enjeux sont multiples pour le CNPA, la bataille du référencement qui se joue sur la Toile, via la désignation “voiture neuve” ou “véhicule neuf”, est cruciale à plus d’un titre pour les concessionnaires. En effet, ces derniers se retrouvent parfois relégués en cinquième ou sixième position sur le moteur de recherche dominant, au détriment des mandataires, dont la force de frappe est plus importante sur le Net. “Si un Internaute recherche un véhicule neuf et que je suis obligé d’indiquer VO 0 km ou véhicule d’occasion récent dans ma communication, logiquement, il ne se rendra pas sur mon site, alors que nous sommes susceptibles de répondre parfaitement à sa recherche, soulève Vincent Martinez. Le client n’a pas besoin de connaître la définition légale d’un VN ou VO dès lors que nous lui apportons des informations détaillées et précises. Sur ce sujet, ce qui importe avant tout est la transparence. Par conséquent, si l’on présente comme neuf un véhicule qui affiche 0 km en mentionnant son immatriculation deux mois auparavant, le client ne peut être floué. En revanche, un véhicule qui a déjà été immatriculé et qui a déjà circulé ne peut pas être présenté comme un VN.” Des propos qui rejoignent ceux formulés par le DGCCRF (voir FOCUS).
Passage obligé par l’Europe
Entre l’absence de définition légale qui détermine de manière ferme l’usage de l’appellation “voiture neuve”, les pratiques en vigueur au sein des réseaux de distribution et l’existence de “réseaux parallèles” qui se sont spécialisés dans la vente de produits neufs, alimentés le plus souvent par les constructeurs et leurs réseaux, le sujet s’annonce compliqué à mener pour le CNPA. La branche des concessionnaires VP entend rapidement sensibiliser les pouvoirs publics et les organismes sur cette problématique, véritable fil rouge de ces prochains mois. Ce dossier pourrait toutefois se heurter à la Cour de Justice européenne, qui considère que “lier la qualité de VN à l’absence d’immatriculation constitue un frein à la libre circulation et à la réduction des écarts de prix sur le marché européen”. Si cette problématique revêt avant tout un caractère national, la branche des concessionnaires VP ne pourra faire fi d’une extension du débat à l’échelle européenne. Le CNPA a d’ailleurs prévu de solliciter le Cecra et l’Acea.
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FOCUS - La réponse de la DGCCRF
Interrogée par un concessionnaire sur ce sujet, la DGCCRF a formulé la réponse suivante, que le CNPA nous a gentiment communiquée : “En l’absence de définition légale, force est de constater que la notion de véhicule neuf n’est pas figée et qu’elle tend à être appréciée “in concreto” par les juridictions. En tout état de cause, il convient d’apprécier la qualité de l’information fournie au consommateur. Celle-ci doit être claire, précise et sans ambiguïté. Sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, il nous semble que le professionnel qui porte sur l’affichage précontractuel, le bon de commande et la facture, “véhicule immatriculé n’ayant jamais circulé” ou “véhicule neuf immatriculé”, répond aux obligations d’information du consommateur.”
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FOCUS - Voiture neuve, plusieurs définitions qui s’opposent
Une définition fiscale considère qu’un véhicule doit afficher “moins de 6 mois et moins de 6 000 km” (article 298 sexies, III, 2, b, du Code général des impôts). Ensuite, la Chambre commerciale de la Cour de cassation définit deux critères cumulatifs qui font perdre à un véhicule son caractère neuf : l’immatriculation et la conduite sur route. C’est l’utilisation qui est faite du véhicule qui doit primer : si le véhicule a servi de moyen de locomotion, il a perdu son caractère neuf. De son côté, la Cour de Justice européenne considère que l’immatriculation pour les besoins de l’importation ne fait pas perdre au véhicule sa nouveauté. Selon elle, lier la qualité de VN à l’absence d’immatriculation constitue un frein à la libre circulation et à la réduction des écarts de prix sur le marché européen. A contrario, en matière pénale, la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère qu’une immatriculation antérieure à la vente transforme un VN en VO, que ce véhicule ait été ou non conduit sur route (car il n’est plus de “première main”).
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