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Réflexions sur les prix actuels de l'électricité, du CO2, du gaz et du charbon

Publié le 21 juillet 2014

Par Alexandre Guillet
5 min de lecture
Dans un billet posté sur France Stratégie, Etienne Beeker souligne que les récentes évolutions des prix du gaz remettent en cause certaines analyses et certitudes énergétiques.
Dans un billet posté sur France Stratégie, Etienne Beeker souligne que les récentes évolutions des prix du gaz remettent en cause certaines analyses et certitudes énergétiques.

Le rapport publié par France Stratégie en janvier 2014 sur  "La crise du système électrique européen" pointait le rôle joué dans cette crise par la faiblesse du prix du CO2 sur le marché d’échange des permis d’émission (European Trading Scheme, ETS). Les raisons en ont été analysées : la baisse de la demande d’électricité et le développement non maîtrisé des énergies renouvelables ont déprimé le marché européen du CO2

Valeurs erronées

La valeur de 40 ou 50€ par tonne de CO2 avait été avancée comme pouvant permettre au gaz naturel de redevenir compétitif par rapport au charbon et, ainsi, exclure de la production d’électricité l’utilisation de ce dernier, très émetteur en gaz à effet de serre. Cette valeur, que la plupart des acteurs politiques gardent en tête, repose sur des prix d’environ 55€/tonne pour le charbon et de 11 à 12$/MBtu pour le gaz. Compte tenu des évolutions récentes du prix du gaz, cette référence n’est plus d’actualité.

Effondrement du prix du gaz

Si les tensions avec le fournisseur de gaz russe suite à la crise ukrainienne ont laissé craindre un moment une hausse du prix du gaz, renforçant encore le besoin d’un signal-prix du carbone élevé, c’est exactement l’inverse qui s’est produit. Ainsi, après une période de relative stabilité de près de deux ans, le prix du gaz s’est effondré de 45% depuis décembre 2013 pour atteindre aujourd’hui 6,4$/MBtu (valeur spot NBP, la place d’échange londonienne).

Il se rapproche ainsi du prix du gaz américain, soit 4,6 dollars/MBtu, qui a progressé tendanciellement depuis début 2012 avec la résorption des surcapacités d’extraction de gaz de schiste, diminuant pour le moment l’avantage compétitif des Etats-Unis, mais aussi de celui du charbon (55€/tonne, soit 5,6 $/MBtu en équivalent thermique), qui est resté stable pour le moment. Compte tenu du meilleur rendement des centrales à gaz, celles-ci redeviennent compétitives malgré un prix de CO2 bas (5,6€/tonne).

Quelles conséquences ?

La chute du prix du gaz naturel en Europe reste à analyser en détail, mais un facteur comme la baisse de la demande a dû avoir un impact important. Cette chute de prix a fait suite à la substitution du gaz naturel par du charbon, les deux combustibles étant interchangeables quasi instantanément dans la production d’électricité en raison des surcapacités existantes en Europe aussi bien en centrales à gaz qu’à charbon.

La crise économique et les politiques de maîtrise de la demande d’énergie destinées à s’amplifier ont dû également jouer un rôle déflationniste sur le prix du gaz en Europe. Une anticipation du redémarrage des tranches nucléaires au Japon, lequel capte une bonne partie des cargaisons de GNL (gaz naturel liquéfié) pour compenser l’arrêt de ses centrales, va dans le même sens, ainsi que la volonté affichée par certains pays (en particulier la Pologne, le Royaume-Uni, mais aussi l’Allemagne) de vouloir tirer profit de leurs ressources non conventionnelles.

Au passage, on notera les difficultés de Gazprom, qui voit ses recettes diminuer (l’Europe est son principal acheteur de gaz) et dont la position est bien moins assurée que ne l’imaginent de nombreux observateurs européens.

Le charbon américain...

Dans un terme proche, la production d’électricité à base de gaz devrait reprendre (du fait de ces prix plus bas), stoppant l’hémorragie de fermetures de centrales à gaz, parfois très récentes, devenues non rentables. Parallèlement, le prix du COdevrait encore baisser (mais peu, car son prix est déjà proche de zéro !), comme la demande en charbon. Toutefois, les marges de compétitivité du charbon restent élevées car les réserves mondiales sont extrêmement abondantes. Aux Etats-Unis, en raison de conditions géologiques favorables (couches très épaisses, mines à ciel ouvert), son coût marginal de production est assez bas, et les mines étant proches des ports, son évacuation est facile. Suite aux dernières décisions du Président Obama ayant pour but de prohiber son utilisation dans les centrales électriques – et donc indirectement favoriser l’utilisation de gaz (de schiste) –, il y a fort à parier que des quantités importantes de charbon américain se déverseront dans les années à venir sur notre continent et ce, malgré un éventuel prix de CO2 plus élevé.

Difficile de prédire les conséquences sur le système électrique européen et, au final, sur les émissions de CO2

Une telle baisse nous rappelle que le prix des hydrocarbures est très volatil et n’est pas toujours prévisible. À court terme, elle constitue une très bonne nouvelle non seulement pour notre balance commerciale, mais également pour la compétitivité des gazo-intensifs. À moyen terme, si elle s’avère durable, cette baisse peut géopolitiquement fragiliser la position des grands pays fournisseurs, à commencer par la Russie. Il est plus difficile de prédire ses conséquences sur le système électrique européen et, au final, sur les émissions de CO2, en raison des interactions complexes entre les prix du gaz, du charbon, de l’électricité et des objectifs que l’Union voudra se fixer en matière d’efficacité énergétique, de taux de pénétration des EnR, de lutte contre le réchauffement climatique. Il convient de garder cette baisse à l’esprit pour relativiser l’impact de mesures destinées à redresser le prix des quotas ETS, comme un resserrement des objectifs par la Commission européenne ("backloading") ou l’établissement d’un prix plancher.

Etienne Beeker, Département Développement durable

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