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“Nous n’allons pas parler de crise, mais de rupture”

Publié le 19 juillet 2013

Par Gredy Raffin
8 min de lecture
Le traitement de la relation client par les centres de contact se trouve à un tournant historique. Des solutions de plus en plus innovantes et des modèles économiques vont faire leur apparition, notamment la vente par Tweeter qui est en cours d’expérimentation au Royaume-Uni.
Eric Dadian, président de CCA International et président de l’AFRC.

 JOURNAL DE L'AUTOMOBILE. Vous avez innové dans les techniques de prospection, pouvez-vous nous en dire davantage ?

ERIC DADIAN. Avec un constructeur automobile, nous avons décidé d’entrer en conversation avec les internautes et les sociaunautes britanniques. La démarche se veut logique, en partant du CRM vers le digital, sur une plateforme unique. Nous avons donc acheté la licence d’une solution américaine que nous testons en ce moment à Londres, au sein d’un laboratoire où les téléconseillers sont devenus des Community Managers capables de suivre les commentaires, d’analyser les échanges et de converser en plusieurs langues et sur différents canaux.

JA. Quels sont les premiers retours ?

ED. La finalité reste de vendre et de fidéliser les consommateurs. Ce constructeur nous a demandé de comptabiliser le nombre de ventes générées suite à un tweet d’insatisfaction, soit des données publiques, exploitables librement. Nous sommes à 3 pour 1 000 et il s’agit de conquêtes sur des marques n’ayant pas donné entière satisfaction. Un ratio que nous pouvons améliorer.

JA. Comment procédez-vous ?

ED. Dès qu’un sociaunaute manifeste un mécontentement, nous entrons en contact avec lui. Nous demandons l’autorisation d’échanger, d’obtenir ses coordonnées, et lui proposons de se rendre en concession pour découvrir les produits de la marque pour laquelle nous opérons. Ensuite, les commerciaux font leur travail. Ce test est en cours depuis six mois et donne pleine satisfaction.

JA. Pourriez-vous le proposer à d’autres marques ?

ED. Nous le proposons à d’autres marques hors automobiles, en Angleterre. Nous avons positionné le centre d’écoute, d’analyse et de pilotage à Londres, mais l’aspect conversationnel peut aussi être situé plus localement dans l’un des centres répartis en Grande-Bretagne, en France et en Espagne. Le digital permet un traitement à distance de la relation client, cela peut donc être dupliqué en France.

JA. Qu’est-ce qui vous empêche de venir travailler pour le même constructeur dans l’Hexagone ?

ED. Justement, nous devons le contacter, car les constructeurs restent l’un de nos objectifs. Nous travaillons d’ailleurs pour le compte d’un des deux groupes français, dans notre centre d’Amiens (80). Là, la mission reste standard, entre service client, appels sortants et relation avec les concessionnaires. Même si l’automobile demeure une faible part de notre activité.

JA. Vous déclariez l’an passé à nos confrères de L’Usine Nouvelle que la filière était en mutation, qu’en est-il aujourd’hui de votre sentiment ?

ED. Nous n’allons pas parler de crise, mais de rupture. D’abord sur les canaux, qui vont nécessiter de nouvelles compétences chez les conseillers, dont la tâche sera à plus forte valeur ajoutée. En face, il y aura des consommateurs de mieux en mieux informés sur la marque, les produits, les publicités… qui prendront l’habitude de se rendre sur les forums et d’échanger avec leurs pairs avant de contacter le service après-vente. La compétence va monter et les échanges n’en seront que plus intéressants. Ensuite, il y aura une rupture sur les secteurs, d’où notre revirement vers l’automobile, les services publics ou encore l’e-commerce.

JA. Le recrutement en sera-t-il impacté ?

ED. Je suis persuadé que le savoir-faire, qui est double, sur le produit et sur la relation client, va être mis à profit pour faire évoluer nos téléconseillers. Ils ne seront plus mono-tâche, mais cumuleront les applications, les services et les canaux à traiter. Ce qui sera plus épanouissant et sûrement plus rémunérateur.

JA. Cela conduira-t-il au rapatriement des forces vives ?

ED. Ce n’est plus le débat. Là aussi, il y a eu une rupture. Nous sommes en in-shore, en off-shore, en near-shore et en home-shore, et nous pouvons répondre à toutes les demandes car nous considérons que l’équilibre s’est créé. Il nous faut offrir la plus grande proximité, géographique et culturelle, et c’est en cela que le home-shoring nous intéresse.

JA. Ressentez-vous une pression du pouvoir politique ?

ED. Non, nous sommes écoutés et suivis par des audits. En revanche, nous ne savons pas de quel ministère nous dépendons, entre celui de l’Emploi, celui des PME et Nouvelles Technologie et celui du Redressement productif. Je les ai rencontrés à plusieurs reprises, mais nous avons peu d’espoir et n’attendons rien en particulier. Ce qui nous importe : montrer la qualité de nos services.

JA. Y aura-t-il des ruptures sous l’impulsion des autorités européennes ?

ED. Le consommateur est informé sur ce que l’on peut lui vendre. A en croire toutes les études, il a une méfiance et une défiance vis-à-vis des politiques et des marques. La loi Pacitel devrait être intégrée à la loi Hamon (qui entend renforcer les droits des consommateurs, N.D.L.R.), et une directive européenne devrait être adoptée, elle est tout du moins dans l’air du temps. Il nous appartient d’avoir un comportement responsable.

JA. D’aucuns soulignent un risque économique ?

ED. La téléprospection est un outil de vente pour nombre de PME, en effet. Chez CCA International, nous nous sommes engagés à avoir un équilibre entre protection du consommateur et protection de l’emploi, par respect déontologique.

JA. Vous parlez de méfiance des consommateurs à l’égard des marques, estimez-vous qu’elle s’estompe sur les réseaux sociaux ?

ED. Exactement, il n’y a qu’à voir ce qu’un acteur comme la Redoute est parvenu à obtenir en créant une application qui permet d’essayer virtuellement les vêtements via Facebook. La gamification entretient la confiance entre la marque et le client.

JA. Est-ce applicable à l’automobile ?

ED. Naturellement, les constructeurs pourraient proposer de configurer un véhicule depuis leur page Facebook et encourager la co-création. Il serait en outre possible d’y entrer en contact direct avec un conseiller commercial capable d’aiguiller sur les choix du modèle, de motorisation et de finition, par rapport aux besoins du prospect.

JA. Il est de coutume de citer le modèle anglo-saxon comme référence en matière de relation client. La France est-elle aussi en retard qu’on s’acharne à le croire ?

ED. Je pense que la France a une qualité de service et que nous sommes capables de faire des sauts technologiques dès lors que nous prenons du retard sur nos voisins. Les études européennes tendent à le prouver. Avec 273 000 employés, le secteur de la relation client n’est plus “un petit boulot”. Nous le sanctionnons avec des normes et des labels, mais nous n’accusons aucun retard sur l’Angleterre. La seule différence, c’est qu’outre-Manche, il existe une réelle culture de la relation téléphonique.

JA. 273 000 conseillers mais un nouveau schéma qui émerge, le self-care. Dans quelle mesure est-il possible de l’instaurer ?

ED. Cette approche est née des opérateurs téléphoniques, désireux de maîtriser les coûts. Par exemple, chez Sosh (Orange, N.D.L.R.), 90 % des solutions sont apportées par d’autres utilisateurs et seulement 10 % par des Web-conseillers. Ce modèle tient la route et nous allons laisser le choix, à la discrétion du consommateur, entre les canaux de communication et entre les prix, selon le degré de personnalisation de la relation. S’il veut se débrouiller seul, il aura la possibilité de le faire et les téléconseillers ne seront plus sollicités pour des tâches simples.

JA. Quel conseil donneriez-vous à l’automobile ?

ED. Au-delà de positionner la relation client au cœur de leur dispositif commercial, les constructeurs pourraient s’en servir dans une démarche de co-création, à l’instar du projet mené par le Crédit Agricole, qui a développé le concept de CA Store, un magasin d’applications, dont les clients sont les premiers contributeurs. Dans l’automobile, le consommateur final peut tout à fait entrer dans la chaîne de fabrication d’un nouveau véhicule, et pas uniquement au travers d’études marketing.

JA. En tant qu’entrepreneur, quels sont les risques identifiés ?

ED. Il y a un contexte économique difficile, et il nous appartient donc d’innover. Il ne s’agit pas seulement de technologie, mais aussi d’organisation du travail et d’efficacité d’analyse du consommateur. Nous avons lancé un programme baptisé “Voix du client”, qui n’enregistre que les propos de nos interlocuteurs, et il s’avère qu’ils cherchent à nous faire évoluer sur le parcours d’achat.

JA. Assiste-t-on à une guerre des prix ?

ED. Il y en a une, si nous n’avons pas de valeurs ou nous ne savons pas la défendre. En France, il a longtemps été considéré que le service client devait être gratuit, à l’inverse de l’Angleterre. Ma conviction est que son coût doit être intégré dans le prix du produit et que, par la suite, la mise en relation ne soit pas facturée. Le juste prix dépend ensuite du produit, de sa valeur ajoutée et de sa propension à générer des réclamations.

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