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La cote Argus est trop éloignée des valeurs de marché

Publié le 8 novembre 2012

Par Benoît Landré
11 min de lecture
Philippe Delafaite, président d’Ootoo - Fondée en 2011, la société Ootoo envisage de se positionner sur le marché de la cotation automobile avec une approche et une solution innovantes et transparentes. Son dirigeant, Philippe Delafaite, a saisi l’Autorité de la concurrence le 12 juillet dernier, afin d’ouvrir le marché et mettre fin au monopole de celui qu’il appelle “l’acteur dominant”.
Philippe Delafaite, président d’Ootoo.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Votre société est opérationnelle depuis décembre 2011. Son développement est-il en ligne avec votre feuille de route ?
PHILIPPE DELAFAITE.
Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous sommes en stand-by. Nous nous sommes déjà déployés marginalement et des clients sont prêts à nous suivre. Notre ambition est de proposer au marché une plate-forme de cotation. Nous pensons que c’est utile, pertinent et fiable car les distributeurs n’auront ainsi pas à choisir entre Ootoo, Eurotax ou L’Argus, mais pourront accéder à une plate-forme qui intègre l’ensemble des outils de cotation. Il faut créer les conditions pour qu’ils l’utilisent de manière optimale et nous pensons que nous allons les obtenir.

JA. D’après vous, les conditions ne sont actuellement pas réunies. Quelles sont les caractéristiques du marché français de la cotation ?
PD.
Nous sommes dans un marché fermé car nous avons un coteur dominant qui se retrouve avec quasiment 100 % de parts de marché. Les situations de monopole créent des dommages énormes à l’économie. Dès lors, nous avons jugé qu’il n’y avait aucune raison de faire des concessions, c’est la raison pour laquelle nous avons saisi l’Autorité de la concurrence. Nous attendons qu’elle se prononce dans les prochains jours sur notre requête.

D’une certaine façon, j’ai participé au système que je combats actuellement, à la seule différence que je l’ai créé pour qu’il soit ouvert, tandis que d’autres en ont fait une “cage”.

JA. N’y avait-il pas d’autres solutions pour faire bouger les lignes ?
PD.
Dans le développement de notre “plateforme” de cotation multi-cotes, nous avions prévu d’intégrer les principaux coteurs du marché automobile. Aussi, nous avions motorisé notre solution avec le référentiel de L’Argus, via un contrat qui permettait d’accéder à cette cote. Notre proposition a séduit le marché. Et fin avril, alors que nous allions entamer notre déploiement auprès de certains groupes de distribution, L’Argus nous a coupé ses accès. Nous avions alors deux solutions : soit dénaturer notre offre et attaquer le marché en nous appuyant sur notre cote et celle d’un autre acteur moins dominant, soit exiger du “coteur dominant” qu’il nous rebranche les tuyaux. Nous avons opté pour cette deuxième démarche, ce qui nous a fait réfléchir à l’environnement de la cotation.

Aujourd’hui, L’Argus campe sur ses positions, nous subissons des pratiques que nous jugeons anticoncurrentielles, c’est pourquoi nous campons sur les nôtres également. Notre projet s’inscrivant ensuite dans une dimension internationale, il n’est pas impossible que nous nous heurtions à d’autres barrières sur d’autres marchés.

JA. Quelles sont les autres observations que vous notez aujourd’hui au sujet de la cotation automobile ?
PD.
Nous observons des pratiques qui sont illicites dans 80 % des cas, comme par exemple les constructeurs qui récupèrent les données émanant de leurs distributeurs, alors qu’ils n’en ont pas le droit au regard du droit de la concurrence. Mais notre intention n’est pas de viser le “coteur dominant” et de diviser les acteurs. Plus encore, nous avons souhaité, à travers un ouvrage*, poser des questions plus larges sur les pratiques mises en œuvre dans le domaine de la cotation et les risques juridiques qui en découlent. Faut-il interdire les systèmes de cotation ? Les cotes doivent-elles être partisanes ou au service de l’économie ? Un coteur doit-il avoir un profil bien particulier pour éviter les conflits d’intérêt ? Il faut définir un profil pour pouvoir accéder aux données confidentielles, comme une agence de notation, et c’est cette position neutre qu’Ootoo souhaite occuper sur le marché.

JA. Vous réclamez “le libre choix du fournisseur de cotes pour les clients”. Est-ce à dire que les constructeurs imposent à leur réseau une cote plus qu’une autre ?
PD.
Le fait d’imposer par des homologations, des recommandations ou des aides, des outils dans lesquels on ne trouve qu’un seul référentiel de cotation, comme c’est le cas pour Planète VO ou Eurolinea, impose le système de prix au distributeur et lui interdit la liberté de choisir d’autres coteurs. Or, les distributeurs n’utilisent pas l’outil du “coteur dominant” pour son contenu ou parce qu’il amène une vérité absolue et limpide. La compétition n’est pas basée sur les mérites, mais sur bien autre chose, que nous ne jugerons pas mais qui suscite néanmoins des interrogations. Une entreprise doit être autonome et doit pouvoir choisir son système de prix. Mais le contexte ne permet pas une compétition à armes égales.

Par ailleurs, le référentiel est également imposé aux particuliers à travers les labels occasion des constructeurs, dont les fiches d’estimation sont grandement influencées par la logique du “coteur dominant”. La cote Argus est un leurre pour les consommateurs car elle est dépositionnée, trop éloignée des valeurs de marché et faite de manière concertée.

JA. Au quotidien, en quoi cette situation est-elle préjudiciable pour les professionnels de la distribution ?
PD.
On place les responsables occasion devant un rôle qu’ils ne sont pas capables d’endosser car ils n’ont pas d’outils de comparaison fiables, solides, qui peuvent leur donner une bonne vision du marché. Les professionnels ne savent pas coter. Ils essayent d’aller chercher eux-mêmes les valeurs de marché en surfant sur les sites Internet. Sauf que, sur les portails, les outils qui permettent intellectuellement de comparer les véhicules n’existent pas. S’ils ne savent pas coter dans le présent, comment vont-ils faire pour le futur ? Ils prennent des risques phénoménaux et commettent des erreurs. Un mauvais système de cotation pénalise celui qui l’utilise, c’est évident. Cela joue sur les ventes, mais aussi sur l’après-vente. Commercialiser du VO repose sur un vrai savoir-faire, c’est un métier. Mais proposer du VO récent de 1 ou 2 ans est à la portée de tout le monde.

JA. Vous parlez aussi de “cotes trompeuses qui servent des intérêts partisans”. Qui ciblez-vous ?
PD.
Quels sont les coteurs qui sont exposés à des conflits d’intérêt ? C’est la première question à se poser. Par exemple, on aurait tendance à penser que L’Argus propose des cotes basses et La Centrale des cotes hautes. Pour La Centrale, 85 % du chiffre d’affaires provient des professionnels, aussi est-il dans son intérêt d’avoir une cote haute. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les vendeurs trouvent que cette cote est bonne. Nous affirmons qu’il n’est pas possible de mélanger les genres et de multiplier les casquettes d’infomédiaires sur Internet, de sociétés de conseil, de groupes de médias… Est-ce que l’on est un coteur professionnel ou un coteur marketing ? Un coteur professionnel, comme Ootoo, se tient à un programme de conformité, ne fait qu’un seul et unique métier, est transparent sur l’utilisation des données et ne fait pas d’interprétation puisqu’il se base sur une méthode photographique. Et nous ne faisons que cela.

JA. Vous militez pour la création d’un “Observatoire des prix des véhicules d’occasion”. Quelles sont les conditions nécessaires à ce projet ?
PD.
Des groupes de distribution nous ont présenté leur accord de principe pour que nous accédions à leurs données, et nous lançons une campagne d’acquisition auprès des distributeurs, baptisée “L’appel des 500”. A partir de ces données, nous produirons une analyse de leurs ventes. Si nous avons 1 000 véhicules à observer, nous allons scruter comment ils se sont vendus par rapport à l’indicateur de cotation, sur 12, 24 ou 36 mois, et comment les distributeurs se sont positionnés par rapport à ces produits. Et c’est à partir de ces analyses que nous allons nourrir et fiabiliser notre système de cotation ou notre observatoire de prix. Aussi, nous nous battons pour qu’ils nous donnent accès à leurs données de ventes. Non seulement, nous n’en ferons pas n’importe quoi, mais nous allons créer un album de photos qui permettra d’anticiper et d’avoir une vision juste du marché. Les signaux que nous allons donner sont d’une fiabilité que l’on ne peut pas remettre en cause car notre méthode interdit toute interprétation. Il est urgent et impératif de créer un observatoire des prix.

Propos recueillis par Benoît Landré le 09/10/2012

* “Cote servante ou cote trompeuse”


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QUESTIONS À... Jean-Claude Marcantonio, directeur des Valorisations & Solutions Pro de L’Argus

"Tout ceci n’est pas très chevaleresque"

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Philippe Delafaite a entamé ses démarches suite à un blocage de votre part au référentiel de L’Argus. Que répondez-vous ?
JEAN-CLAUDE MARCANTONIO.
Nous lui avons concédé les droits d’utilisation du référentiel en avril 2011 dans des conditions extrêmement favorables. En contrepartie, nous lui avions demandé de nous tenir régulièrement informés de ses projets. Nous n’avons jamais interrompu l’accès à ces données et ces droits lui sont toujours concédés. Aujourd’hui, il a accès à la base la plus complète qui soit, avec une mise à jour mensuelle. C’est incompréhensible. D’une certaine manière, nous avons favorisé la création de sa start-up.

JA. Ootoo dénonce un marché fermé et la situation de monopole de l’Argus. Contestez-vous ces propos ?
JCM.
Oui, je les conteste complètement. Le marché de la cotation n’a jamais été aussi ouvert. De plus, Internet a complètement modifié les comportements et favorisé l’arrivée de nouveaux acteurs. Ces derniers représentent une alternative possible pour les utilisateurs. Nous sommes d’ailleurs attaqués par des sites qui utilisent notre marque de manière indélicate et avons, de fait, engagé des démarches d’assignation contre certains éditeurs. Il existe, par exemple, le site coteargus.fr qui ne nous appartient pas.

Par ailleurs, je perçois une contradiction dans le projet de Philippe Delafaite : il parle de marché fermé et, dans le même temps, il invite l’ensemble des coteurs à rejoindre sa plate-forme de cotation. C’est bien qu’il existe plusieurs acteurs sur ce marché. Enfin, dans son communiqué, il informe de sa saisine auprès de l’Autorité de la concurrence tout en lançant, simultanément, un appel auprès des distributeurs, complété d’un bon de commande. Tout ceci n’est pas très chevaleresque.

JA. Votre présidente Alexandrine Breton des Loys a réagi en plaidant “votre totale indépendance dans la construction des valorisations”. Vous sentez-vous attaqué sur ce sujet ?
JCM.
La notion d’indépendance est essentielle et vitale pour nous. Nous sommes un groupe familial indépendant éditeur de presse, de sites Internet et de logiciels. Nous n’intervenons pas, par exemple – et il s’agit d’une règle stricte –, dans la vente entre les acheteurs et les vendeurs. Nous n’avons jamais développé la moindre activité de négoce, nos sites Internet étant des places de marché sans intermédiation de notre part.

JA. Les professionnels reprochent souvent à la cote Argus de ne plus être en phase avec le marché. Que répondez-vous ?
JCM.
La cote Argus ne détermine pas un prix, elle a toujours été et reste une base de négociation pour les professionnels et les particuliers, qui peuvent l’utiliser à leur guise selon la nature des transactions. Ensuite, il convient de savoir de quel marché nous parlons. Internet a changé la donne, les canaux de vente se sont multipliés tout comme les modèles des constructeurs. Il nous a fallu réagir vite pour nous ajuster à ces mutations. Aussi, nous avons mis en place il y a trois ans un gros travail de recherche et développement qui va aboutir, dans les prochaines semaines, à une cote adaptée et spécifique à chacun des canaux, comme par exemple les ventes BtoB, BtoC, CtoC ou en salles des ventes. Notre objectif est d’affiner et de qualifier le plus précisément possible ces nouvelles valeurs Argus en cohérence avec l’évolution du marché. Désormais, les professionnels pourront utiliser la cote tout au long du cycle de vie du VO dès sa prise en charge.

JA. Entre Internet, les mesures gouvernementales, la guerre sur les remises commerciales et les politiques commerciales opaques des constructeurs, êtes-vous perturbé dans votre métier ?
JCM.
Le contexte économique a poussé les constructeurs à adopter des pratiques commerciales agressives. Ce comportement a perturbé le marché de l’occasion et affecté plus particulièrement le segment des véhicules récents et des citadines. Le bonus/malus a également modifié la façon de travailler des professionnels du VO. Ce constat a également motivé notre nouvelle cote, qui fournira des valeurs stables dans le temps et livrera aux professionnels des valeurs Argus plus conjoncturelles, afin de mieux appréhender ces politiques commerciales.

Nous sommes informés des politiques commerciales des constructeurs mais, plus que la nature de l’opération, c’est la durée qui importe. Les promotions qui durent peuvent, en effet, modifier la façon dont nous exerçons notre métier. Mais nous sommes en prise directe dans ce marché, via les constructeurs, les distributeurs, les professionnels et les particuliers.

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