Entretien avec Patrick Chiron, directeur adjoint des études et du Conseil chez Eurostaf
Journal de l'Automobile. Le monde de l'automobile est aujourd'hui touché par la sinistrose. Quel regard portez-vous sur la situation ?
Patrick Chiron. Il ne faut pas oublier qu'en France, le marché ne s'est pas trop cassé la figure. Les réseaux sont globalement proches de leurs objectifs. Il ne faut donc pas s'attendre à un bilan 2008 si horrible. Le taux de défaillance ne sera, en effet, pas énorme. Mais on ne peut pas non plus occulter les difficultés, car celles-ci sont réelles. Je pense que sur les bilans 2008, nous allons voir le taux de marge moyen des concessionnaires divisé par 2. Nous devrions tourner aux alentours de 0,6 % de profitabilité. Quant à la rentabilité financière, celle-ci devrait passer en dessous de la barre des 10 %. En fait, en 2008, peu d'affaires seront rentables. Les deux tiers des distributeurs gagneront quand même de l'argent, mais peut-être pas suffisamment. Je pense que seul un tiers des concessionnaires aura une profitabilité normale.
JA. Les réseaux ont véritablement besoin d'aide…
PC. La question est : Les constructeurs auront-ils les moyens d'être généreux avec leurs réseaux ? Je pense pour ma part qu'ils vont avant tout penser à eux et non à leurs distributeurs.
JA. L'augmentation des stocks fragilise-t-elle gravement la viabilité des affaires ?
PC. Aujourd'hui, les concessionnaires sont relativement endettés. Notamment les grandes concessions. Avec l'augmentation des stocks qui immobilise du capital, cela devient en effet dangereux. Ces affaires auront en effet du mal à se refinancer. A court terme, il pourrait donc y avoir une série de dépôts de bilan. Car ces problèmes de trésorerie vont véritablement se poser sur 2009. Ainsi, durant le 1er trimestre, il pourrait y avoir de nombreuses transactions entre distributeurs.
JA. Existe-t-il, selon vous, des marques susceptibles d'être davantage touchées que les autres ?
PC. Les marques étrangères sont sans doute plus exposées à ce problème. Notamment celles qui ont des volumes significatifs. Pour moi, Opel et Ford sont clairement les marques les plus fragiles. Après, sans doute que les réseaux Mercedes, Bmw et Audi vont souffrir cette année. Mais ce sont généralement des affaires solides qui peuvent compter sur les beaux bilans de ces dernières années. Même si je sens les concessionnaires Audi assez fragiles. Ils ont, en effet, beaucoup investi ces derniers temps et je pense qu'ils vont payer la note.
JA. Et les marques françaises ?
PC. Renault a aidé son réseau à déstocker. Pour PSA, le problème est différent. D'ailleurs, on ne les a pas entendus sur le sujet. Mais je suis persuadé que PSA ne pourra pas laisser tomber son réseau. La marque a des possibilités d'aider ses distributeurs qu'Opel et Ford n'ont pas. Les constructeurs boiteux ne pourront pas en revanche aider leurs concessionnaires.
JA. Ce n'est pas la meilleure manière d'aborder une année que tout le monde annonce difficile ?
PC. L'année 2009 ne sera pas si catastrophique. Ce ne sera pas pire que 2008. Ce sera peut-être même mieux. Notamment grâce aux aides gouvernementales et des constructeurs. Je pense que cette année, les distributeurs n'enregistreront pas le fort recul de leurs marges ressenti en 2008. D'une certaine manière, on peut même dire que le pire est passé.
JA. Comment voyez-vous le marché évoluer en 2009 ?
PC. Même s'il est difficile de prévoir, je pense que sur le 1er trimestre, on devrait voir un marché en recul de 8 à 10 %. Janvier sera peut-être correct, notamment grâce à la prime à la casse, mais je pense que ça ne durera pas. Le soufflé de la prime à la casse va retomber rapidement. A la fin du 1er trimestre, le marché va retrouver la conjoncture. C'est un peu comme le nuage de Tchernobyl. On a beau se persuader qu'on sera épargné, mais au final, on "se le prendra" quand même.
JA. Patrick Pelata prévoyait un impact de 100 à 200 000 immatriculations supplémentaires en 2009 grâce à la prime à la casse. Vous n'y croyez pas du tout ?
PC. Je pense davantage à un gain de 100 000 unités. Ce qui est déjà considérable. Sans cette prime, on pourrait d'ailleurs envisager une baisse de 15 % du marché sur l'exercice à venir. Mais je pense que, pour 2009, la tendance se situera entre - 6 et - 10 %. Ce qui correspond à peu près aux performances enregistrées sur le 2e semestre 2008.
JA. La prime à la casse ne risque-t-elle pas d'accélérer la mutation du marché provoquée l'an dernier par le bonus-malus et entraîner un transfert des ventes encore plus important vers les petits véhicules ?
PC. Il n'existe aucune raison pour que cela change. La structure du marché va continuer dans cette voie. Et, effectivement, la prime à la casse joue en faveur des petits véhicules. Cela risque donc de s'accentuer. Alors, c'est certain, la prime a un bon côté pour les concessionnaires. Cependant, comme il y a déjà une remise sur le prix catalogue, il n'y a pas besoin d'en rajouter. Mais au fond, ils y perdent car ils vendent des véhicules à des prix moins élevés. Les marges sont donc plus faibles.
JA. Qu'est-ce qui est le plus préjudiciable ? Avoir un recul net de ses ventes comme en Italie ou en Espagne ou maintenir ses ventes tout en voyant ses marges fondre ?
PC. Je ne pense pas que les concessionnaires français soient les plus malheureux. Peut-être sont-ils ceux qui pleurent le plus, mais ce ne sont pas les plus à plaindre. Pour leurs collègues européens, cela va continuer à être dur. En Espagne et en Italie bien sûr, mais en Allemagne aussi, où le marché peut encore reculer beaucoup plus.
JA. Si vous deviez donner des conseils aux distributeurs ?
PC. Bloquez les investissements ! Il faut impérativement travailler sur sa trésorerie, éviter de faire grossir les stocks, ne pas hésiter à faire des promotions importantes, réorganiser et rationaliser le personnel, même si c'est délicat… Celui qui passera l'année à serrer les boulons va sortir renforcé de cette crise. Il faut absolument faire remonter du cash. Ensuite, je dirais qu'il faut travailler sérieusement sur le VO ancien (3 à 4 ans) car c'est un marché sur lequel, si l'on sait bien acheter, on réalise des marges très correctes. Dernier conseil : pour ses clients comme pour soi, il faut essayer de diversifier ses sources de financements. Il ne faut pas être prisonnier de la captive du constructeur. Surtout si les taux ne sont pas attractifs. Et puis, la crise financière n'est sans doute pas totalement terminée. Nous ne sommes pas à l'abri de nouvelles défections d'instituts bancaires. En bref, pour les concessionnaires, l'objectif 2009 est de sauver sa peau. Tout ce qui n'est pas vital doit être reporté. Est-ce qu'un client ne viendra plus dans les showrooms en 2009 parce que le carrelage est le même qu'en 2008 ?
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