"Vu l’orientation des marchés, il est probable que nous ouvrions notre prochain centre R&D en Asie"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Vous allez publier des résultats positifs, révisant du même coup vos objectifs à la hausse : d’où vient cette dynamique qui contraste avec les débats sur l’industrie et les constructeurs français ?
FLORENT MENEGAUX. Michelin est un groupe solide car il est très diversifié. Nous opérons sur différents types de produits, du vélo au génie civil. Par ailleurs, nous avons une empreinte commerciale et industrielle mondiale. Dès lors, les phénomènes de variations d’une zone donnée ne nous affectent pas lourdement. D’une certaine manière, c’est la chance des groupes d’envergure mondiale, car ils peuvent répartir leurs efforts et leurs risques. Notre équilibre provient aussi de la répartition de notre activité en volume : 25 % en première monte et 75 % dans le périmètre du remplacement. Or, les marchés du remplacement sont intrinsèquement moins volatils.
JA. La baisse du marché français et les difficultés des marques Renault, Peugeot et Citroën sont-elles de gros motifs d’inquiétude ?
FM. L’activité en France ne représente aujourd’hui que 10 % du chiffre d’affaires du groupe Michelin. C’est un marché très important pour des raisons historiques et par rapport à notre identité, mais au plan économique, cette importance devient plus relative, nous évitant l’écueil d’une trop forte dépendance. Toutefois, en France comme en Europe, nous sommes naturellement affectés par le ralentissement de l’activité de certains constructeurs. Par ailleurs, il est indéniable que les constructeurs généralistes d’Europe du Sud sont plus fragiles que les autres constructeurs. Nous y sommes naturellement sensibles car nous avons des relations historiques avec les constructeurs français, notamment avec PSA, souvenez-vous de la 2CV et de la DS.
JA. La situation n’est-elle pas encore plus tendue sur le marché du PL ?
FM. Effectivement, car ce marché enregistre des reculs de 20 à 30 % ! Ceci s’explique par l’activité économique légèrement ralentie, mais aussi par un effet de déstockage au niveau de la distribution comme des flottes. Il convient de ne pas mélanger les deux, sinon on fausse l’analyse. Par exemple, en France, on estime que nous approchons du terme du phénomène de déstockage. Le phénomène de stockage s’expliquait par une anticipation des achats à une période où le prix des matières premières fléchissait. L’activité va donc s’améliorer car elle ne subira, entre guillemets, plus que l’impact négatif de l’activité économique légèrement dégradée.
JA. Selon une récente note Xerfi, signée Aurélien Duthoit, la question du poids de l’activité de Michelin en France va forcément se poser dans les années qui viennent. Que répondez-vous sur ce sujet lourd de sous-entendus ?
FM. Les analystes font leur métier, mais ils ne dirigent pas Michelin et ne dictent pas notre stratégie. Or, depuis plusieurs mois, notre direction répète à l’envi qu’il est possible de conserver une implantation forte et compétitive dans les pays matures, y compris des bases industrielles fortes de production, en face d’implantations sur des marchés émergents avec des coûts salariaux moindres.
En France, le principal problème auquel nous devons faire face est un coût du travail trop élevé. Entendons-nous bien : nous ne parlons pas des salaires, mais du coût total du travail. Ce problème n’est pas insoluble et il faut l’aborder au niveau de la filière, en accord avec les autorités politiques. Chez Michelin, il ne remet pas en cause notre implantation en France : une implantation forte avec le siège, la R&D, des sites industriels nombreux.
JA. Un épisode douloureux de type Toul peut-il néanmoins encore survenir ?
FM. Je répondrai par une métaphore : une entreprise, c’est comme un corps humain, cela évolue et il y a des organes qui vieillissent. Nous révisons donc constamment la compétitivité de nos implantations et de nos actions. Tout simplement parce que nos clients veulent payer le juste prix pour leurs pneus. Mais je le répète, un désengagement industriel de France n’est pas à l’ordre du jour.
JA. Névralgique, la R&D n’est certes pas délocalisée, mais elle se développe aussi dans les BRIC, notamment pour le D, n’est-ce pas un jeu dangereux ?
FM. Non, nous sommes simplement en train de rationaliser notre empreinte par rapport à la réalité de notre activité. Alors que l’essentiel de la croissance provient des pays émergents, où serait la logique d’augmenter notre activité en France ? Nous avons déjà internationalisé notre R&D par le passé, sans que cela ne choque personne. Elle s’articule autour de trois grands centres, en France, aux Etats-Unis et au Japon. Vu l’orientation des marchés, il est probable que nous ouvrions notre prochain centre en Asie. D’autant que le groupe attache une grande importance à l’idée d’être local localement. A savoir français en France, allemand en Allemagne, américain aux Etats-Unis, brésilien au Brésil, chinois en Chine, etc. C’est aussi cela la valeur de la diversité.
JA. En France, au niveau de la distribution, la situation s’est-elle apaisée ?
FM. En France, nos relations avec la distribution se sont normalisées. C’est une relation historique et, parfois, intense… Le business et l’affectif ne font pas toujours bon ménage ! Et je reconnais qu’il nous est parfois arrivé d’être maladroits…
JA. Jusqu’où peut aller la distribution sur Internet dans le secteur du pneu ?
FM. C’est une question intéressante. Fondamentalement, je pense qu’Internet n’est pas un canal. Mais il le devient lorsque le canal de distribution traditionnel n’est pas présent sur Internet. Donc, quand la distribution s’approprie Internet comme vitrine commerciale et pour proposer des services supplémentaires et/ou complémentaires, on n’assiste pas à la naissance d’Internet comme canal à proprement parler avec des pure players. Par ailleurs, quand vous regardez ce que ces derniers font, vous constatez qu’il ne s’agit que d’interfaces commerciales. Leur valeur ajoutée, c’est d’utiliser le canal Internet en comprenant que des gens, pour des raisons de commodité, préfèrent acheter des pneus à distance.
JA. Mais vous êtes pourtant bel et bien présents sur Internet ?
FM. Tout à fait, nous sommes présents sur Internet et nous avons notre propre site, Popgom. Pourquoi l’avons-nous mis en place ? Parce que nous avons très vite identifié que le Web serait incontournable dans le parcours d’achat. Donc, nous encourageons aussi notre distribution à aller sur Internet. Internet n’est pas une mauvaise solution, ce n’est pas la question. Mais nous ne pensons pas qu’il va se substituer à la distribution physique, notamment parce que le pneu doit être mis en fonction. C’est un processus. D’ailleurs, dans des catégories de produits plus mûres avec Internet, on voit qu’il ne s’agit pas d’un canal, mais d’une fenêtre, d’une porte d’entrée. Surtout qu’il y a aussi, en filigrane, des problèmes de confiance, le pneu étant très lié à la sécurité. Les taux de transformation pour le pneu sont d’ailleurs très faibles.