Schaeffler : "Accélérer sur l'électromobilité"
L'équipementier allemand, Schaeffler, fera partie de l'aventure électrique d'Audi, en fournissant la transmission pour la motorisation électrique de la très attendue e-Tron. Une étape significative pour le groupe qui investi de lourds budgets dans la R&D afin de répondre présent lorsque l'électromobilité s'imposera dans les ventes de véhicules neufs.
Chez Schaeffler, vous parlez d'un scenario dit 30-40-30, pouvez-vous détailler votre vision ?
Matthias Zink. En effet, il s'agit de se projeter sur un scenario de marché qui sera composé de 30 % de véhicules électriques, de 30 % de véhicules thermiques et de 40 % de véhicules hybrides. La méthode de calcul se base sur les enjeux de réduction de CO2 à se fixer si le monde veut respecter les accords de Paris. On considère dans cette équation que 1,4 milliard de véhicules circulent actuellement sur terre et que d'autres s'ajouteront, le tout soutenu par une infrastructure de recharge qui se densifiera. Si on parvient à un mix de 30-40-30 alors on réussira à maintenir en-dessous de 2 degrés la hausse de la température dans le monde.
Et dans le scenario le plus ambitieux pour l'électrique, que se passe-t-il ?
MZ. Le scenario dans lequel le VE se montre le plus agressif sur le marché établit une part de marché de 37 % en Chine, de 34 % en Europe et de 24 % aux Etats-Unis. Dans tous les cas, on ne pense pas que l'infrastructure sera la clé, mais le facilitateur.
Il existe des initiatives, que pensez-vous du projet Ionity ?
MZ. Je pense qu'il va dans le bon sens mais que la route est encore longue. Nous avons besoin de telles approches, mais ce n'est pas encore la bonne échelle pour affronter des scenarii ambitieux. Je ne pense pas que la performance des véhicules soient remis en cause, mais il faudra du temps et certainement une deuxième génération de cette solution de charge ultrapuissante pour entrainer le démarrage du marché.
Quelle est la limite à l'emploi du haut voltage ?
MZ. Jusqu'à présent, je pense que le prix constitue une barrière. Ensuite, vis-à-vis de la recharge rapide, il faudra prendre la mesure du changement de comportement chez les consommateurs.
Le 48 volts fait une percée dans les stratégies d'électrification, quel est votre sentiment ?
MZ. Il y a de nombreuses applications possibles pour le système 48v qui présente des avantages. On peut gagner entre 6 et 8 % de carburant, lorsqu'on l'associe à un moteur thermique. On peut aussi aller plus loin dans son intégration, en lui permettant de la récupération d'énergie et dans ce cas, le gain peut s'établir 15 %. Je suis convaincu que des deux, nous devons suivre cette voie, plus technique.
Quel est votre regard sur la capacité de production des batteries ?
MZ. Les Chinois et les Coréens sont clairement en avance sur l'Europe, sur la production de batteries et de cellules. Je ne sais pas dire dans quelle mesure nous devrions investir dans des capacités de production chez nous et les constructeurs ont intérêt à se poser la question. Reste à savoir qui de la batterie ou des réservoirs à hydrogène s'avèrent être la piste la plus pertinente à long terme.
Ce qui confirme que vous gardez un œil sur l'hydrogène…
MZ. Schaeffler est une société hautement intégrée de manière verticale. Nous nous sommes appuyés sur nos compétences et notre savoir-faire pour faire évoluer notre portefeuille au fil du temps. Parfois nous avons rencontré le succès et parfois l'échec. Nous ne nous interdisons pas aujourd'hui de travailler sur cette technologie qui présente des avantages.
Qu'en est-il de l'électrification des véhicules commerciaux ?
MZ. Schaeffler se révèle plus en plus intéressé, car nous n'étions pas historiquement présents dans les poids lourds. On réalisait 500 millions d'euros de chiffre d'affaires, sur un total de 9 milliards d'euros environ. Le marché du poids lourds se réfère au ROI, c'est aussi simple que cela. Je pense que l'avenir de ce marché est à l'hydrogène ou au carburant synthétique, mais peu de raison de recourir aux batteries électriques. Avec tout le respect que j'ai pour Tesla, l'autonomie et le maillage du réseau de recharge ne permettent pas de remplir la mission. Nous regardons de près ce segment de marché, par région et nous nous y préparons.
Sur le plan de l'apprentissage, que retenez-vous des trois années écoulées depuis la COP21 ?
MZ. Très bonne question ! Je suis ingénieur depuis plus de deux décennies et je retiendrais que Paris a permis de discuter de choses critiques et des désastres engendrés par les changements climatiques. Nous avons commencé à réfléchir à la problématique dans sa globalité, du puits à la roue et même jusqu'au recyclage. En tant qu'entreprise, nous avons appris à nous focaliser sur autre chose que le produit formel et à accélérer sur l'électromobilité.
Combien cela pèse-t-il en termes d'investissement ?
MZ. Nous dépensons plus de 100 millions d'euros par an dans la R&D et les investissements. Cela touche en particulier le travail des ingénieurs attachés à forger de nouvelles compétences. Nous avons besoin de savoir-faire dans les moteurs électriques, dans la gestion de la puissance ou encore dans les logiciels. Nous formons beaucoup de personnes à ces nouveaux défis. Une plus faible part de l'enveloppe, environ 20 millions d'euros, est consacrée aux outils de production. Nous avons par ailleurs une politique de ressources humaines affirmée. Nous pensons dépenser 60 millions euros durant les prochaines années dans le recrutement d'ingénieurs.
La Chine a connu un trou d'air en 2018. Quel a été l'impact sur votre activité ?
MZ. Plus d'un quart de notre chiffre d'affaires se réalise en Chine. Nous pouvons parler d'une forme de dépendance. Le recul des ventes de véhicules sera évident, mais le lancement de nouvelles technologies a sauvé notre bilan. Le fait est que les débats entre la Chine et les Etats-Unis provoquent un scepticisme chez le client final, qui s'interroge sur la pertinence d'un achat automobile. Il faut savoir que les Chinois ne se tournent pas vers le crédit et qu'en situation de doute, ils n'arbitrent pas en faveur de l'automobile. Je pense que la croissance va revenir en 2019, dès les premiers trimestres, car le pays a un fort potentiel.
Quel autre marché a du potentiel ?
MZ. La Chine reste au sommet, mais nous regardons aussi l'Inde avec attention. Ensuite la Thailande, l'Indonésie, la Malaisie et le Brésil présentent des profils à suivre de près pour le nombre de véhicules par habitant. Les Etats-Unis et l'Europe restent des cibles prioritaires pour leur taux d'équipement par véhicule. L'Europe a ceci de particulier qu'elle mène des discussions pour réduire au maximum les ventes de diesel et qu'elle a réussi à se bloquer elle-même dans les méthodes d'homologation en établissant le WLTP. De fait, nous estimons que le marché européen est devenu plus compliqué que celui de Chine.
Pensez-vous que ces problématiques du second semestre, en Europe, se résorberont avec le début d'année 2019 ?
MZ. Je ne le pense pas. Je crois que la situation reviendra à la normale à la fin du premier semestre. Rappelons que durant les derniers mois, les clients ont dû faire l'impasse sur certaines versions de motorisations faute d'homologation. Les impacts sur la production et les ventes ont été tels qu'il faudra plusieurs mois pour rétablir une cadence régulière.
Conjuguons au futur : des équipementiers vont progressivement vers les navettes autonomes. Que peut-on attendre de Schaeffler ?
MZ. Les navettes autonomes mettent une pression sur les constructeurs car elles les forcent à changer de métier pour devenir des fournisseurs de mobilité. De notre point de vue, je considère cette évolution comme positive, du fait que la chose s'avère plus facile pour nous, les équipementiers. Schaeffler maitrise la production d'éléments physiques, nous pourrions proposer des châssis à des fournisseurs de capteurs pour livrer des solutions à des carrossiers qui traiteraient avec le client. Ce n'est pas une idée folle, mais créative. Il y a encore 3 ans, aucun de nous ne pensait que notre groupe aurait sa place au CES. Ce n'est pas une compétition géante, mais un mouvement qui ouvre le champ des possibles. Nous continuons d'observer les opportunités.
Les opportunités passent-elles par un renforcement de l'écosystème en propre ?
MZ. Si nous parlons d'écosystèmes, nous pouvons souligner notre acquisition de Paravan, en août dernier, qui est spécialiste de la technologie du "drive-by-wire", employée notamment pour les véhicules adaptés aux personnes handicapées. Cette prise de position constituait notre premier pas dans la conduite autonome, car la mécatronique et l'électronique utilisée convient totalement aux caractéristiques techniques des futurs véhicules. Nous ne deviendrons pas des constructeurs, nous n'allons pas produire de capteurs ou de solutions de télématiques, en revanche nous pouvons croire en des partenariats et coentreprises qui vont compléter notre portefeuille. Vous verrez en 2019 deux innovations majeurs lors de salons.