"Pour l’hydrogène, on ne peut pas dire que ce sont les constructeurs français qui n’ont pas fait l’effort"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. En un mot, quel est aujourd’hui le principal frein à la promotion de l’hydrogène dans l’Hexagone ?
Fabio Ferrari. Actuellement, ce qui freine le déploiement de l’hydrogène, c’est l’absence d’infrastructures de recharge, voire le manque de volonté d’en mettre en place. Eu Europe, l’Allemagne, puis à un degré moindre l’Angleterre et les pays nordiques, font figure d’exception. A l’échelle mondiale, on peut encore citer le Japon, la Corée du Sud et les Etats-Unis, en particulier la Californie.
JA. L’obstacle légal est-il encore incompressible en France ?
FF. Non, vous avez le droit d’installer des infrastructures en France. Mais ce qui est compliqué, c’est de faire de la génération d’hydrogène, à savoir avoir une station autonome. En France, il existe une loi qui stipule que la génération d’hydrogène fait l’objet d’une demande d’utilisation, ce qui implique certains délais…
JA. Pensez-vous que la situation puisse se décanter rapidement, dans la mesure où il y a un certain nombre de gros faiseurs qui s’intéressent à cette technologie ?
FF. Il faut reconnaître que le vecteur énergétique qu’est l’hydrogène ne sera déployé que s’il y a une volonté politique de le faire. Ainsi, l’Allemagne ne s’intéresse pas seulement à ce vecteur pour les véhicules, mais aussi pour stocker les énergies renouvelables. C’est une approche énergétique globale. On peut espérer que nous arriverons au même résultat en France.
JA. Même sans l’appui du législateur, plusieurs constructeurs portent attention à vos solutions, n’est-ce pas ?
FF. Dans un premier temps, avec Renault, nous sommes partis du client, à savoir des flottes qui avaient testé le Kangoo ZE et l’avaient apprécié tout en se heurtant parfois à des limites d’usage. Nous avons donc proposé une solution d’extension de l’autonomie, sans passer par le range extender thermique qui, comme son nom l’indique, n’est plus dans le domaine du “zéro émission”. Renault a testé notre solution et elle a été retenue.
JA. Au-delà de Renault, quels sont les autres constructeurs avec lesquels vous êtes en contact ?
FF. On peut citer Nissan et Renault Trucks. La technologie peut donc s’adapter aux camions, et c’est même là encore plus évident, car plus on a besoin d’énergie pour déplacer un véhicule, plus les batteries posent un problème. Pour un camion, on raisonne en tonnes de batteries ! Et cela peut se répercuter sur l’espace du véhicule, ce qui devient problématique dans une logique de livraison, par exemple. D’où l’intérêt de l’extension par l’hydrogène.
JA. Et PSA Peugeot Citroën n’est pas dans la boucle ?
FF. D’une part, pour l’instant, PSA a sans doute d’autres dossiers plus urgents et, d’autre part, leurs choix stratégiques dépendront aussi de la nouvelle géométrie de leurs partenariats, notamment celui avec GM. Cependant, nous restons confiants par rapport à l’intérêt que nous pouvons susciter chez PSA.
JA. L’idée n’est pas de faire de la polémique, mais on peut penser que l’intérêt conjoint de toutes les marques françaises pourrait être un argument clé face à la tiédeur du législateur ?
FF. En fait, c’est un tout. Renault a été un pionnier sur ces technologies et PSA a rapidement suivi la cadence. Ainsi, la solution que nous proposons est un dérivé d’une technologie développée par PSA et le CEA. Nous ne sommes donc pas partis d’une feuille blanche. Notre directeur technique est d’ailleurs parti chez Renault, puis chez Nissan, au Japon, quand la R&D sur cette technologie a été placée en Asie. Il est ensuite revenu chez nous pour donner un nouvel allant à ces solutions en France. Donc, on ne peut pas dire que ce sont les constructeurs français qui n’ont pas fait l’effort. Simplement, ils n’ont pas trouvé l’appui politique pour aller plus avant. Or, l’impulsion politique est nécessaire pour des investisseurs. Ils ne peuvent pas avancer si rien n’est fait au niveau des infrastructures, des taxes, etc.
JA. Plus prosaïquement, quel est le surcoût de votre solution, sur un Kangoo ZE par exemple ?
FF. Tout d’abord, il faut prendre en compte que nous sommes actuellement au stade de la petite série industrielle, seulement quelques milliers d’unités par an. Cela dit, selon les options, il faut envisager un surcoût de 10 000 à 15 000 euros. Je parle du coût pour le client final, qui bénéficie de la prime VE dans le cas d’un Kangoo, mais qui n’a malheureusement aucune aide supplémentaire pour le choix de l’hydrogène.
JA. La fiabilité de vos solutions est-elle éprouvée ?
FF. Oui. Il y a très peu de pièces supplémentaires, en fait. Hormis le compresseur d’air, il n’y a que des éléments passifs. C’est donc extrêmement fiable.
JA. Votre cible principale se situe au niveau des flottes. La peur de l’hydrogène est-elle plus facile à lever avec ces interlocuteurs qu’avec le grand public ?
FF. Au premier chef, cette cible s’impose aussi parce qu’il n’y a pas de réseau de distribution. Mais nous pouvons installer une station au sein d’une entreprise. Principalement avec Air Liquide, qui est notre premier fournisseur de stations et de molécules. J’insiste sur le fait que les technologies que nous utilisons pour l’hydrogène sont déjà éprouvées pour le gaz naturel. Les fabricants de réservoirs sont par exemple les mêmes que ceux qui fabriquent les réservoirs de tous les bus au gaz naturel qui circulent dans nos villes. Or, quand les gens montent dans un bus gaz, ont-ils peur ? Sont-ils seulement au courant ? La peur n’est pas fondée. Il est vrai que ce frein est plus facile à lever auprès des entreprises.
JA. Mais il y a tout de même des différences entre l’hydrogène et le gaz naturel, n’est-ce pas ?
FF. Certes, l’hydrogène présente quelques spécificités. En particulier, c’est la plus petite molécule qui existe, et elle s’infiltre donc partout. Il faut alors doter le réservoir de systèmes un peu plus étanches que dans le cas du gaz naturel. Mais en l’occurrence rien de bien complexe ou révolutionnaire, on ne réinvente pas la roue ! Nos réservoirs ont une telle épaisseur de carbone qu’ils sont même plus indestructibles que les réservoirs traditionnels essence ou Diesel. Et dès que l’on sort du réservoir, on se retrouve avec des pressions très faibles. La sécurité ne pose donc pas de problème majeur.
JA. Pour conclure, pourquoi la piste de l’hydrogène liquide, à l’origine prometteuse, a-t-elle été abandonnée par tout le monde ?
FF. Le problème du stockage de l’hydrogène liquide réside dans l’obtention de températures très basses qu’il faut ensuite savoir maintenir. S’invitent donc des problèmes de stabilisation et d’évaporation. Des problèmes qu’on sait surmonter, mais à des coûts très élevés. Le stockage classique, haute pression, est donc plus compétitif.
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