"Nous sommes un partenaire de nos clients, axé sur une relation de confiance qui n’a rien d’angélique…"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Henri Trintignac, votre vice-président en charge des systèmes des véhicules électriques et hybrides, préfère dire que vous travaillez sur “l’électrification” de la chaîne de traction plutôt que sur le véhicule électrique en lui-même, qu’est-ce que cela vous inspire ?
JACQUES ASCHENBROICH. Valeo a été parmi les premiers à dire qu’il n’y aurait pas une solution unique, celle du véhicule électrique, mais un continuum de solutions, et qu’il fallait trouver des solutions techniques qui permettent d’aborder l’ensemble du spectre. Ce que nous essayons de faire consiste à concevoir des briques technologiques, que l’on puisse utiliser au niveau de la chaîne de traction elle-même et sur différentes facettes des véhicules électriques et hybrides. En particulier sur l’électronique de puissance et sur un certain nombre de concepts de moteurs électriques.
JA. Vous évoquez en parallèle l’importance de vos recherches sur la partie thermique, que vous considérez comme une vraie manne d’économies : qu’en est-il exactement ?
JA. La partie thermique du véhicule électrique s’avère tout aussi importante que sa motorisation. Je cite en permanence un chiffre que beaucoup oublient : quand il fait - 10 ° dehors, vous utilisez plus d’énergie pour chauffer votre voiture que pour la déplacer. Vous réduisez ainsi, dans un véhicule totalement électrique, son autonomie par deux.
Nous développons et présentons, aujourd’hui, un ensemble de concepts qui permettent de réduire de 30 % la consommation énergétique, tant pour le chauffage que pour l’air conditionné. Et donc réduire la partie thermique des voitures - et nous sommes, sur ce sujet, le numéro 2 mondial -, trouver des solutions qui économisent, de façon pratique, la consommation énergétique dans un véhicule électrique permettra également de baisser les émissions de CO2 dans un véhicule classique. C’est l’une des briques technologiques que j’évoquais à l’instant, qui sera utilisée dans le véhicule électrique, hybride et thermique. Et puis, je n’oublie pas la partie LED, qui s’avère très précieuse. C’est la double chance, si je puis dire, qui permet d’ouvrir le champ du design de façon infinie et de réduire les émissions de CO2 jusqu’à 2,8 g, cela est considérable.
JA. Cependant, on a reproché longtemps aux LED d’être très chers, même si leur apport au design a tout de suite été reconnu…
JA. Il est très rare de créer un produit technique qui permette de réduire les émissions de CO2 et d’ouvrir à l’infini le champ du design des voitures. Il tient à la fois de la mode et de l’industrie, comme l’a dit Philippe Varin. Les voitures doivent plaire pour être achetées et relèvent de l’industrie tant les solutions techniques et les process s’avèrent complexes. Nous avons été parmi les premiers à dire que le LED était une solution technique qui offrait un champ d’investigations de design important, mais dont il fallait réduire les coûts. C’est pourquoi nous avons développé le concept PeopLED. Ce concept constitue une illustration des gènes de Valeo, qui consistent à ne pas se concentrer, comme certains de nos concurrents, sur le haut de gamme, sur ce qui est très cher, pour concevoir des technologies qui soient abordables en termes de coûts et comme produits de masse. Les LED doivent devenir un produit de masse, nous avons les solutions techniques pour cela.
JA. Souvent, les grandes avancées technologiques ne percent que par la volonté et les aides gouvernementales. Certains équipementiers misent dessus, d’autres y voient un atout, quelle est votre position ?
JA. L’aide gouvernementale s’avère un formidable levier pour accélérer la mise au point d’un produit nouveau sur le marché. Nous voyons dans de nombreux pays que l’aide à l’innovation permet non seulement de trouver les concepts, mais aussi de les rendre rentables. Nous avons le crédit d’impôt recherche et le Grand Emprunt en France ; l’Allemagne prodigue un certain nombre d’aides à l’innovation également, comme le Japon, la Chine, les Etats-Unis.
En revanche, je ne crois pas, à long terme, à l’avenir d’une industrie qui soit subventionnée. Il faut que les industriels que nous sommes soient capables d’imaginer des solutions compétitives. La subvention n’est qu’un moyen d’accélérer un développement, mais ne constitue pas une solution pérenne. Certes, cela n’est pas aisé parce que nous devons faire émerger des solutions qui soient en ligne avec les normes assez contraignantes en Europe, mais compétitives. Si, nous ne sommes pas capables de les trouver, c’est à la filière dans son ensemble de résoudre le problème. Nos clients et les équipementiers sont bien en phase sur ce domaine. Et l’hybride “abordable”, par exemple, que nous présentons sur l’IAA en est une illustration véritable.
JA. Avez-vous développé vos parts de marché avec les constructeurs allemands, et plus généralement dans le monde ?
JA. Le portefeuille clients de Valeo est très équilibré. Les clients français représentent 23 % du chiffre d’affaires et cette part reste relativement stable. Les clients asiatiques, malgré ce qui s’est passé au Japon au second trimestre, sont passés à 22-23 % et ont tendance à croître. Le chiffre chez les Allemands a tendance à augmenter également, quand les Américains restent stables, ou plus exactement montent un petit peu. Par ailleurs, nos parts de marché avec nos clients purement chinois, en Chine, continuent de croître. C’est le résultat d’efforts significatifs que nous avons réalisés ces deux dernières années en termes de partenariats de développement avec eux.
JA. La crise a-t-elle renforcé ce partenariat avec vos clients constructeurs ? Et notamment pour le développement de ce type de produits ?
JA. La relation se doit d’être équilibrée entre les grands équipementiers et les clients, une relation basée sur la confiance. Et elle l’est parce que, lorsque nous prenons une commande, il nous faut de dix-huit mois à deux ans pour développer les produits, car 100 % d’entre eux nécessitent un haut niveau de R&D pour être parfaitement adaptés aux besoins des clients. Il faut un à deux ans pour développer ces produits, puis, pendant cinq ans, les livrer toujours conformes aux exigences des clients et, ensuite, près d’une dizaine d’années pour la disponibilité en rechange.
La relation étant basée sur la durée, elle repose sur la confiance. Bien sûr, cela n’exclut pas les discussions sur les prix, sur la qualité, sur les garanties, ce sont des relations viriles que nous entretenons, pas angéliques, mais toujours basées sur la confiance. Et nous entretenons la même relation avec nos équipementiers, nous sommes aussi faibles que le plus faible de nos fournisseurs, et nos clients sont aussi faibles que le plus faible de leurs propres équipementiers, un certain nombre d’exemples récents nous l’ont révélé. La question repose, donc, sur le fait qu’un équipementier soit capable, dans toutes les conditions, de livrer.
JA. Les problèmes liés à la première monte pendant la période de crise et même maintenant, du fait de la forte reprise, ont montré un défaut dans les approvisionnements en rechange. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
JA. Pas chez Valeo. Les relations sont assez sensiblement différentes sur les deux marchés que sont l’OES et l’IAM. Si nous regardons les chiffres, je pense que nous avons augmenté notre disponibilité de produits en OES. Quant à l’IAM, je n’ai pas eu connaissance de problèmes majeurs de livraison chez nos clients. C’est vrai que nous avons parfois quelques petites difficultés de livraison, mais rien qui soit significatif, donc le problème que vous soulevez, ne concerne pas Valeo.
JA. Quels sont les produits que vous développez pour l’OEM et que vous pouvez adapter pour les autres réseaux de distribution, pour la rechange ?
JA. Lorsque nous lançons des produits ou des équipements qui peuvent être proposés par les réseaux de distribution dont nous disposons en rechange, nous les adaptons. Cela ne va pas assez vite par rapport à ce que je voudrais, et c’est un axe de développement que je suis de façon très précise. Développer pour le marché de l’IAM des solutions techniques que l’on a développées pour l’OEM constitue vraiment l’un des axes de croissance importants pour Valeo. La seconde monte représente en effet 15 % de notre chiffre d’affaires au 1er semestre.
JA. Vous avez évoqué la question des matières premières : quelles sont les solutions adoptées afin d’être moins dépendants des fluctuations du marché ?
JA. Nous avions identifié comme problématique la question des terres rares et j’avais évoqué un programme que nous avions établi avec nos clients afin de leur substituer des ferrites. Nous sommes en phase avec ce que nous avions prévu, grâce aux coopérations intenses que nous avons partagées avec nos clients. Quant aux autres matières premières, c’est-à-dire les métaux non ferreux, qui représentent un peu plus de 40 % de nos achats en matières premières, je pense qu’il existe des forces maléfiques, disons des spéculations, qui me laissent un peu perplexe. Comment expliquer autrement que le pétrole et le cuivre soient restés relativement stables malgré les turbulences…
JA. Puisque nous évoquons les turbulences, vous sentez-vous mieux armés qu’en 2008 et prêts à affronter d’autres troubles ?
JA. Certainement, et pour deux raisons. En 2008, nous avons essuyé la double peine, c’est-à-dire la baisse du marché des immatriculations de voitures et celle des stocks de nos clients. Aujourd’hui, ces derniers sont beaucoup plus bas qu’ils ne l’étaient à l’époque. S’il se produisait, à nouveau, un ralentissement des marchés, nous ne subirions probablement pas cette double peine. Quant au deuxième point, il porte sur la situation elle-même du début 2009, soit moins 50 % du chiffre d’affaires sur le mois de janvier et moins 30 % sur le premier trimestre, pour Valeo comme pour la plupart des équipementiers. C’est un scénario qui n’est pas envisageable pour 2012. Ou tout au moins, ce n’est pas le plus crédible.
JA. Vous êtes donc mieux armés ?
JA. Au niveau mondial, nous disposons d’un volant d’intérimaires beaucoup plus élevé, de l’ordre de 20 %, ce qui nous procure une flexibilité beaucoup plus forte qu’en 2009. Parallèlement, Valeo suit une orbite de croissance très forte, alors qu’en 2008, le groupe n’avait pas de développement et subissait immédiatement les fluctuations du marché. La sur-performance de Valeo par rapport au marché sur le 1er semestre est de l’ordre de 12 % Je préfère ne pas faire de spéculations à ce stade, compte tenu des conséquences de la catastrophe japonaise, ni anticiper sur ce que sera 2012 en Europe, mais nous sommes en bien meilleure position. Et sur le plan financier, nous avons pu lever des fonds, rembourser une partie de notre endettement par anticipation et allonger de sept ans la maturité de nos dettes. Nous jouissons d’un très bon rythme de croissance et bénéficions d’une situation financière beaucoup plus solide.
JA. Etes-vous en ligne avec vos perspectives de croissance dans les pays émergents ?
JA. Quand on se penche sur le détail de nos prises de commandes, l’objectif qui spécifie que le non européen représentera 50 % de notre chiffre d’affaires en 2015 apparaît parfaitement crédible. De même, le fait que nous atteignions les 30 % en Asie l’est tout autant. Donc, nous sommes parfaitement en ligne par rapport à ce que nous nous étions fixé. Encore une fois, nous ne voulons pas réduire l’activité en Europe, nous continuerons de croître sur ce continent, mais nous irons encore plus vite dans les pays émergents. J’ajouterais que notre progression se fonde sur de la croissance organique pure, ce qui délivre un vrai message au marché. Je ne crois pas, en effet, aux acquisitions qui compenseraient un manque de croissance organique, les premières devant se rajouter à l’effort interne de croissance.
JA. Equip Auto se dessine : qu’en attendez-vous, qu’en pensez-vous ?
JA. Nous allons sur Equip Auto, l’un des salons sur le marché du remplacement, comme nous exposons sur le Mondial de l’Automobile et à l’IAA, parce que nous y avons toute notre place. En outre, Equip’Auto est organisé par la Fiev, dont nous sommes membre. C’est donc un endroit où, en tant qu’équipementier présent à la fois sur l’OEM, l’OES et sur l’IAM, nous devons être. Par ailleurs, nous désirons croître sur le marché du remplacement.
JA. Quel le message que vous voulez faire passer sur le salon ?
JA. Que nous sommes un partenaire de nos clients, basé, comme pour l’OEM, sur la relation à long terme et la confiance.