"Notre stratégie en matière de diagnostic suit exactement les exigences environnementales, économiques et de sécurité"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Comment se porte le groupe Bosch et vos résultats sont-ils conformes à vos prévisions ?
Robert Hanser. Nous allons dépasser les 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires, cette année et nos ventes sont bonnes sur tous les marchés. Nous assistons, depuis peu, à un léger ralentissement de la croissance, cependant, nous parlons toujours de croissance, et je crois que cela est valable pour tous les pays. Et si nous avons subi les contrecoups de la catastrophe japonaise au premier trimestre, déjà, sur l’année, statistiquement, cela n’a pas d’incidences.
JA. A Francfort, nous avons entendu beaucoup de propos alarmistes pour 2012 et, parallèlement, des commentaires sur le fait que les entreprises étaient mieux armées. En est-il de même pour le groupe Bosch ?
RH. Nous avons beaucoup appris pendant la dernière crise et nous savons mieux comment il faut réagir. Cependant, si, à Francfort, il a été beaucoup question d’inquiétudes quant à l’avenir, cela provient plus des cours de bourse qui s’effondraient chaque jour, et au manque de confiance que cela révélait qu’à une analyse de notre secteur. Si l’on ne regarde que les entreprises industrielles et pas qu’automobiles, aucune tendance de crise ne se dessine. Mais nous savons aussi que la précédente crise était financière et c’est ce qui a provoqué les conséquences que l’on connaît dans l’économie.
JA. Cela signifie-t-il que les commandes des constructeurs se situent à un bon niveau, que le marché se tient plutôt bien ?
RH. On veut comparer le dernier semestre 2008 / début 2009 avec le premier trimestre 2012, et ce n’est pas sensé. La demande s’avère relativement forte en ce qui concerne les voitures neuves, en revanche, nous n’avons pas ces immenses stocks de véhicules, qui nous ont été préjudiciables lors de la crise de 2009. Nous nous situons beaucoup plus dans une demande directe et vraie du marché, et non pas dans une bulle artificielle.
JA. La demande ayant cru fortement en première monte, la rechange n’a-t-elle pas souffert en termes d’approvisionnement ?
RH. Il y a des exceptions où cela a été le cas, parce que nous avons assisté, selon les familles de produits, à des - 80 % pendant la crise, et jusqu’à des plus 120 % après la crise ! Ce qui n’a rien à voir avec ce qu’a vécu le secteur des VP. Si, tout à coup, vous avez une demande qui double ou qui triple d’un jour à l’autre, des problèmes de disponibilité sont inévitables. Et là encore, il faut distinguer la fabrication de la pièce de la fourniture des composants. Toute la chaîne d’approvisionnements peut être arrêtée pour un seul élément, un seul composant. Nous avons eu ce cas, comme au premier trimestre, avec les semi-conducteurs japonais. Mais il faut quand même voir l’ensemble qui s’est bien comporté.
JA. Est-ce que les problèmes liés à la crise et à la catastrophe liée au Japon, vous ont-ils incité à modifier votre organisation ?
RH. Nous avons beaucoup réorganisé mais cela n’est aucunement lié à la crise. Nous avons procédé à une refonte de notre organisation parce que la rechange prend un poids considérable et que nous devons adapter nos outils à son développement. Aujourd’hui, notre division aftermarket comprend plus de 10 000 personnes et développe beaucoup plus de valeur ajoutée qu’avant. Il y a 20 ans, les pièces en rechange étaient strictement les mêmes qu’en première monte. Et maintenant ce n’est plus le cas. D’abord parce qu’autrefois, quand le véhicule dépassait les 10 ans, il était rouillé et personne ne demandait de pièces pour une vieille voiture. Aujourd’hui, non seulement, le parc vieillit très rapidement, mais, en rechange, on demande d’autres spécifications produits, et des “commodities” (consommables). Nous avons aussi le développement du remanufacturing qui ne nous préoccupait pas il y a 20 ans. Cela est devenu un facteur de ventes très important pour nos clients de la rechange. Et si vous voulez garder votre leadership dans ce marché, il faut modifier la structure et l’organisation après-vente. C’est pourquoi, nous avons plus de sites industriels qui nous sont dédiés, qui livrent uniquement la rechange. D’ailleurs, tout ce qui concerne le produit remanufacturé suit un processus de fabrication tout à fait différent de la première monte. Même si le contrôle qualité final est exactement le même, le processus de fabrication est complètement différent.
JA. Vous êtes un porte-drapeau du remanufacturing en Europe, comme cela était sensible notamment sur ReMaTec, où il a été beaucoup question d’appellations pour des travaux sur les pièces souvent très différents ?
RH. La question du vocabulaire s’avère très sensible parce que l’industrie, les fabricants comme les constructeurs, recherchent une définition exacte pour que le consommateur sache identifier un produit de qualité, ou puisse bénéficier de la garantie de qualité d’un produit. Il ne faut pas oublier que les produits de sécurité sont légion dans une voiture. Comme nous notons une recrudescence de “bricoleurs” sur le marché, nous sommes inquiets quant aux conséquences d’un mauvais fonctionnement d’une pièce censée être de qualité. Il faut une définition précise pour garantir au consommateur mais aussi au réparateur qu’il achète un produit de qualité garanti. Car, notre nom sur une pièce peut être utilisé comme un leurre dans un produit remanufacturé. L’atelier peut croire que la pièce a été traitée par Bosch, alors que cela n’est pas forcément le cas, cela constitue un vrai danger.
JA. Ce problème d’identification de produits est encore plus sensible avec l’arrivée des ventes par Internet ?
RH. Les pompes d’injection du manufacturier marquées Bosch et remanufacturées sont-elles remanufacturées par Bosch ? Il est, effectivement, difficile de montrer au client qui l’a fait. C’est pourquoi, nous cherchons des solutions.
JA. Avez-vous établi des catalogues précis des pièces en remanufacturing ?
RH. Nous avons déjà des catalogues de pièces que nous remanufacturons mais cela n’empêche pas la confusion. Nous avons les outils, et le marketing qui sont dédiés à cette activité mais cela ne suffit pas. C’est pour cela qu’en anglais, pour les rénovateurs bricoleurs, on dit “spray and pray”, nettoyer et prier pour que cela fonctionne. Il y a vraiment deux mondes entre celui du fabricant qui suit des process industriels et celui de ceux qui effectuent une rénovation sommaire. Pour l’atelier c’est parfois difficile de les différencier.
JA. Comment faites-vous pour la récupération des vieilles matières, est-ce que cela fait partie de la réorganisation dont vous parliez ?
RH. Il n’y a pas de réponse complète à cette question. D’un côté, nous avons un software très sophistiqué pour gérer le processus de récupération des vieilles matières. Et de l’autre, nous sommes confrontés à des contingences contre lesquelles nous ne pouvons pas grand-chose. Je citerais, par exemple, les douanes, qui, dans certains pays, nous interdisent d’importer et de re-exporter ce qu’eux considèrent comme des déchets. Cela ne peut même pas traverser le pays ! (je ne parle pas du marché commun). Et nous ne pouvons pas avoir de sites de traitement dans tous les pays, certains le veulent bien, d’autres refusent ces pratiques. En principe, cependant, si les conditions logistiques et douanières sont claires, c’est un processus que nous maîtrisons bien.
JA. Le jeu des matières premières n’obligera-t-il pas, de toutes les façons, les industriels à accentuer cette tendance du remanufacturing ?
RH. C’est exact, si vous prenez le cuivre, par exemple, qui n’arrête pas de fluctuer, il vient de chuter de 30 % alors qu’il grimpait ! Donc, nous récupérons de plus en plus de matières pour des produits sans cesse plus nombreux. Nous avons ainsi, un joint-venture avec Johnson Controls International, pour la récupération des batteries et notamment du plomb.
JA. Jacques Aschenbroich, le président de Valeo, évoquait aussi des solutions de remplacement de certaines matières premières pour pallier les problèmes liés aux fluctuations de tarifs ?
RH. Nous le faisons également et aussi pour des raisons écologiques, afin de remplacer des matières toxiques ou pour substituer à des matières rares, donc chères, des matériaux plus accessibles. Et il faut ajouter aussi, que cela entre dans notre programme permanent de recherche pour la réduction de poids des pièces, pour gagner, au final, des grammes de CO2. La motivation la plus importante aujourd’hui c’est l’environnement et la rareté donc le prix, mais ce sont aussi les matières qui sont trop lourdes. Chaque gramme dans une voiture augmente la consommation. Nous travaillons aussi sur tous ces moteurs installés pour notre confort ou la sécurité afin de limiter leur encombrement, leur poids et leur dépense en énergie. La règle dit que 10 kg égalent 1 gramme de CO2.
JA. Est-ce que la rechange participe aussi à la réduction de CO2 ou de poids, grâce à l’amélioration de la pièce ou d’une meilleure utilisation d’une seconde génération ?
RH. Absolument. Le parc automobile est immense et seulement 5 % de celui-ci est renouvelé ! Le parc continue d’augmenter, l’âge moyen d’une voiture aussi, il s’avère donc primordial de regarder la rechange à l’aune de ces éléments. La trilogie de Bosch s’adapte à la problématique rechange, à savoir, la sécurité, la propreté et l’économie. Nos collègues de la première monte sont des créateurs de la mobilité sûre, économique et propre et nous, à l’aftermarket, maintenons la mobilité sûre, économique et propre. Et notre stratégie en matière de diagnostic suit exactement les exigences environnementales, économiques et de sécurité. Les outils de diagnostic, en effet, servent à s’assurer du bon fonctionnement des composants, et des équipements d’un véhicule, préconisent leur changement, leur réglage, leur entretien etc. Parce que finalement, si nous avons conçu tous ces outils de diagnostic, c’est pour vérifier qu’une voiture, qui a 4 ans, est toujours réglée de façon à ne produire que les émissions prévues lors de sa conception. Une voiture qui n’est pas réglée comme il faut, pollue et coûte cher à son propriétaire : il est donc très important d’avoir des visites régulières comme le contrôle technique, en France, ou, en Allemagne, le TUV, etc.
JA. Est-ce que cela va jusqu’à modifier les pièces, les upgrader pour la rechange ?
RH. Si on trouve des pistes d’amélioration et qui entrent dans le cahier des charges du véhicule, il nous arrive de concevoir de nouvelles pièces avec une nouvelle technologie. Cependant, il faut que cela s’inscrive dans une problématique évidente de volume.
JA. Est-ce que les nouvelles technologies dont vous “inondez” les véhicules ne finissent pas par poser des problèmes aux réparateurs ?
RH. Bien sûr, que cela pose un problème, c’est pour cela que nous concevons des outils de diagnostic. Des pièces automobiles, aujourd’hui, ne servent à rien si nous n’avons pas les appareils de diagnostic et les informations techniques que nous compilons. A quoi nous ajoutons, le traitement des données, et les notices de montage, les processus de réparation etc. C’est aussi pourquoi nous participons de manière régulière aux discussions des groupes de travail de la Commission européenne à Bruxelles, parce que l’identification exacte de la voiture devient capitale. Dans le passé, en exagérant là aussi un peu, mécaniquement la pièce allait ou non. A la limite, on commandait trois pièces, on les essayait et on renvoyait celles qui n’allaient pas. Aujourd’hui, mécaniquement, cela continue de bien se passer, mais, électroniquement, cela pose des problèmes. Et se tromper de type de véhicule dans un domaine comme le freinage comporte des risques majeurs. C’est pourquoi, il est important que, dans le marché libre, nous ayons accès à toutes les informations qui nous permettent d’identifier sans risque d’erreurs la voiture et la pièce qui lui est propre. Et ce sera encore plus important dans l’avenir parce que la voiture est déjà devenue un ordinateur sur roues, que l’on va charger davantage d’électronique. Il n’y a qu’à regarder la nouvelle Hybride Diesel Peugeot…
JA. Est-ce que cela signifie aussi que les systémiers devront s’engager dans des partenariats technologiques, de formation et même économiques, avec leurs concurrents ?
RH. Nous avons toujours entretenu des partenariats avec des collègues et non avec des concurrents, qui fabriquent des produits complémentaires aux nôtres. Cela répond aussi à une problématique de coûts de développement. ZF, par exemple, n’est pas un concurrent, nous avons un joint-venture pour la direction et ZF utilise l’électronique de Bosch. Nous collaborons pour tout ce qui est formation parce que c’est indispensable. Car pour l’atelier, il devient de plus en plus nécessaire d’envisager des systèmes. Cela entre dans notre stratégie de fournir au réparateur, un meilleur accès à la formation, à l’information technique et aux pièces sophistiquées. Nous ne sommes d’ailleurs pas fermés à d’autres partenariats.
JA. Est-ce que vous allez continuer à développer les Bosch Car Service dans le monde entier pour suppléer les constructeurs qui n’ont pas encore développé leur après-vente ?
RH. Effectivement, c’est le cas, en Inde par exemple, où tous les constructeurs qui utilisent nos produits, ne disposent pas forcément de réseaux après-vente qualifiés. En Inde, nous avons des Bosch Service, et en Chine, nous venons d’ouvrir le millième Bosch Car Service. Ce qui donne une idée de la croissance dans ces pays-là alors que nous y sommes actifs que depuis une douzaine d’années. Mais j’attire votre attention sur le fait que le marché européen va croître également. Et parallèlement, un marché, qui n’existait pas il y a 20 ans (La Chine), est désormais le plus gros marché de la première monte et, bientôt, en extrapolant, sera le plus gros de la rechange. Cela explique nos investissements en technologie et en logistique. Parce qu’il faudra livrer partout dans le monde des pièces pour des voitures, qui dureront peut-être 20 ans !
JA. Etes-vous prêts également à suivre les nouvelles technologies, pour les véhicules électriques, hybrides ou à hydrogène ?
RH. Nous avons environ 2 000 personnes qui travaillent dans ces nouvelles technologies et nous investissons environ 400 millions dans ce secteur. Nous sommes très engagés dans l’acquisition de savoir-faire dans ce domaine, dans celui du recyclage… Nous sommes prêts !