L’esprit de corps
Les fabricants de composants ou systèmes automobiles, de toute taille et de tous horizons, multiplient les partenariats, les rachats de concurrents, s’offrent de nouvelles compétences ou cèdent simplement aux sirènes des fonds d’investissements, parfois nécessaires pour bénéficier d’argent frais. Quel que soit le modèle choisi, il s’agit souvent de gagner un temps précieux dans les développements, et ainsi faire face à des marchés toujours plus mondiaux, toujours plus durs, sur lesquels les donneurs d’ordre, les constructeurs automobiles, n’hésitent pas à augmenter constamment la pression. Retour sur ce bouleversement de l’échiquier qui aboutira, dans les années à venir, à un nouvel ordre mondial de l’industrie automobile.
Megatrends, responsables de la mutation
Avec des constructeurs toujours plus favorables à l’utilisation de plateformes globales pour leurs véhicules, les fournisseurs se doivent de présenter eux aussi, une expertise plus large, afin de pouvoir accompagner leurs clients dans cette évolution, et souvent sur les cinq continents, simultanément. Ce qui constitue un défi encore plus grand pour les fournisseurs de moindre envergure, en général focalisés sur l’expertise dans un domaine et qui doivent, eux aussi, soutenir des lancements mondiaux. Par ailleurs, les réglementations en termes d’émissions et de consommation, partout dans le monde, justifient de fortes améliorations des technologies conventionnelles de propulsion, en marge du développement des motorisations hybrides et électriques. Des améliorations qui coûtent cher et prennent du temps, sans parler des enjeux de l’allégement, ou encore de la voiture connectée. “Autant de domaines dans lesquels les mastodontes de l’équipement doivent disposer d’une offre pertinente et globale, sans parfois disposer de l’ADN nécessaire dans tous ces sujets. D’où l’intérêt de se rapprocher”, souligne Dietmar Ostermann, un des auteurs de l’étude “Consolidation in the Global Automotive Supply Industry”, de PricewaterhouseCoopers. En prenant en compte ces enjeux, il apparaît que les fusions-acquisitions dans le secteur de l’équipement automobile atteindront 48 milliards de dollars en 2015, tandis que le dernier record en la matière atteignait (seulement) 35 milliards en 2007. Une inflation galopante qui stigmatise une concentration nécessaire pour faire face aux défis du futur.
La progressive remontée des ventes de véhicules a apporté une certaine respiration à des groupes parfois asphyxiés depuis la crise économique de 2008-2009, leur permettant ainsi d’envisager des rapprochements salutaires pour se montrer plus forts. Et c’est heureux, car leurs clients constructeurs n’hésitent pas à demander toujours plus d’efforts d’implantations à proximité des sites d’assemblage, de réactivité, de traçabilité et de responsabilité.
La pression s’accentue
Il est facile d’imaginer les entreprises les plus exposées aux fusions-acquisitions. Logiquement, c’est le secteur Powertrain qui enregistre le plus de fusions-acquisitions. Il s’agit d’un domaine doit encore subir de très grandes innovations en raison des enjeux futurs. Le contrôle des émissions et la réduction de la consommation constituent des enjeux si importants dans l’économie automobile, qu’il apparaît indispensable aux équipementiers de montrer leur performance et leur implication en la matière, quitte à profiter de l’expertise d’un confrère. La majorité des opérations de rachats ces dernières années impliquent donc des sociétés ayant une activité dans les transmissions, les composants moteurs et trains roulants.
L’attrait des start-ups
On remarque également une poussée de la demande dans le secteur de la connectivité et des solutions dédiées à la conduite autonome des véhicules, dont les entreprises deviennent des cibles de plus en plus prisées. Les fournisseurs de rang 1 qui choisissent cette option voient en ces sociétés, souvent des start-ups, un bon moyen d’entrer sur un marché ou consolider leur position dans cette partie de la chaîne de valeur du secteur automobile. Sans omettre, bien sûr, l’opportunité de s’engager durablement avec les constructeurs, sur un domaine en profonde mutation.
Par ailleurs, l’arrivée de géants de la technologie hors automobile, qui émergent dans l’environnement du véhicule, afin d’accroître leurs offres de produits par le biais de coentreprises, brouille les cartes et bouleverse les forces en puissance. Car le terrain de jeu se révèle très vaste. En effet, en marge des simples systèmes d’infotainement, la connectivité est partout, et touche des fournisseurs très éclectiques, intervenant sur des sous-systèmes électriques et électromécaniques, dans l’assistance à la conduite, la sécurité passive, active, les systèmes d’information, le lien avec l’après-vente…
Pour mémoire, on rappelle que le marché de la “voiture connectée” devrait atteindre 50 milliards d’ici 3 ans, alors qu’il n’en représentait que 18 en 2012.
Et, comme les consommateurs demandent toujours plus de fonctionnalités électroniques et d’infodivertissement, il y a fort à parier que les fusions-acquisitions en la matière se multiplient encore à moyen terme, notamment chez les équipementiers en retard qui ne peuvent se développer organiquement.
Conclusion
Le besoin d’amélioration à court terme des capacités technologiques et l’accès rapide des clients à des technologies sont les principaux moteurs des fusions et acquisitions dans le secteur de l’équipement automobile. Les cycles de développement plus courts et les délais de commercialisation favorisant les acquisitions au détriment de la croissance organique. Par ailleurs, de nouveaux acteurs bouleversent l’ordre établi, des entreprises dont l’Automobile ne fait pas partie des activités premières, mais qui profitent de la révolution technologique des véhicules, principalement au sein de la connectivité, pour se frayer un chemin aux côtés des plus grands spécialistes pour entrer chez les constructeurs. Ces derniers vont, d’ailleurs utiliser cette valeur ajoutée pour accélérer la mise sur le marché de nouveaux produits. Par ailleurs, on remarque que, dès lors qu’un fournisseur de rang 1 identifie qu’il ne peut se placer en première ou seconde position sur une de ses catégories de produits, il l’abandonne, ou bien se donne les moyens de progresser par croissance externe. Les équipementiers devraient donc poursuivre la rationalisation de leurs portefeuilles produits.
A terme, la baisse du nombre total de fournisseurs à l’échelle mondiale semble donc inéluctable et l’échiquier mondial devrait rapidement accueillir quelques fournisseurs chinois de Tier-1 compétitifs parmi le top 30 des fournisseurs mondiaux (voir Focus).
-----------
FOCUS - A quoi s’attendre ?
Delphi Automotive, ex-filiale de GM, dispose d’une présence dans 32 pays, et semble prêt pour une prise de contrôle. Le “Korea Times” rapporte que Samsung, le géant de l’électronique, cherche des investissements dans le secteur des composants automobiles, et que Delphi serait une des cibles.
Le fournisseur suédois de systèmes de sécurité automobile Autoliv aux plus de 80 implantations dans 29 pays, devra, selon ses propres déclarations, peut-être envisager une acquisition à court terme. Le PDG d’Autoliv lui-même, Jan Carlson, parlait récemment de 1 milliard de dollars pour finaliser une telle transaction. Toutefois, certaines cibles se révèlent être trop chères ! L’Israélien Mobileye NV, spécialisé dans le développement de logiciels entrant dans les systèmes de détection (radars…) essentiels pour la conduite autonome, présente une valeur de marché de près de 7 milliards de dollars, “hors budget”, pour M. Carlson. Enfin, on a appris il y a quelques semaines que l’Allemand Continental pourrait consacrer deux à trois milliards d’euros à une acquisition d’ici un à deux ans, aux dires de son président du directoire, Elmar Degenhart. C’est lors du salon de Francfort que le patron de Conti a ajouté qu’une telle acquisition serait possible en dehors sur secteur automobile, afin de réduire la dépendance de l’entreprise au secteur, en raison de sa volatilité. Depuis 15 ans, le groupe a bouclé près de 100 rachats. Sa dernière opération de croissance externe du groupe date de l’année dernière, avec la reprise de Veyance Technologies, pour 1,4 milliard d’euros. Parallèlement, Continental n’exclut pas de prendre une participation dans les activités de cartographie Here, rachetées le mois dernier à Nokia par le consortium de constructeurs allemands BMW, Audi et Mercedes-Benz.
-----------
FOCUS - La Chine en embuscade
L’empire du milieu continue à monter en régime en termes d’équipements auto. Les fournisseurs chinois augmentent sans cesse leurs investissements dans la recherche, et prouvent ainsi qu’ils ne sont plus les suiveurs de jadis. Leur CAPEX moyen a progressé de près de 20 % l’an dernier, et leur croissance globale apparaît même deux fois plus importante que celle des constructeurs locaux, ce qui tend à démontrer que les équipementiers gagnent des parts sur l’échiquier mondial. Leur rentabilité s’améliore aussi d’année en année, avec une croissance de l’EBITDA de 16 % en moyenne sur 2014. Par ailleurs l’industrie équipementière chinoise est encore très fragmentée et ne compte pas (encore) de représentant pouvant afficher une activité de plusieurs milliards de dollars.
En prenant en compte l’ensemble de ces paramètres, on peut supposer que les fournisseurs chinois joueront demain un rôle beaucoup plus important dans les futures fusions-acquisitions du secteur, qu’il s’agisse de consolidation locale, mais également de transactions mondiales. D’autant que les récentes initiatives du gouvernement chinois pour assouplir les restrictions sur les investissements à l’étranger stimulent les emplettes des entreprises chinoises, notamment dans le secteur automobile américain, Mais attention ! Ce qui est vrai pour les équipementiers chinois l’est aussi pour les Européens ou Américains, sur le territoire chinois. L’empreinte internationale nécessaire justifiera sans doute l’arrivée de fournisseurs occidentaux bien connus, dans le capital de certains équipementiers chinois.