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Industrie

"Les usines d’Europe de l’Ouest doivent se montrer compétitives face aux sites des pays émergents"

Publié le 7 juin 2011

Par Alexandre Guillet
6 min de lecture
Michel Rollier, gérant associé commandité du groupe Michelin - Détendu et très affable, Michel Rollier est revenu en notre compagnie sur l’enjeu clé de la compétitivité dans un monde et une industrie qui changent de dimension. Il évoque aussi la R&D, la prudence industrielle, le véhicule électrique et la pile à combustible. Morceaux choisis.
“J’ai de nombreuses années d’industrie derrière moi et j’ai appris la patience, surtout après avoir vu mourir sous mes yeux l’industrie française du papier. J’en ai notamment gardé une hantise des montées en puissance ratées dans les nouveaux projets. Ce que les Anglo-saxons appellent le “ramp-up”.”

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Entre plan de compétitivité et plan de restructuration, quelle est la suite des opérations pour le groupe Michelin ?
Michel Rollier.
La restructuration à proprement parler est désormais derrière nous. Mais il nous reste encore naturellement des choses à optimiser, et d’autres investissements sont donc consentis à l’amélioration de notre compétitivité. Notamment sur le volet de l’automatisation des sites ou dans le cadre du Michelin Manufacturing Way, qui s’affirme comme un outil de progrès continu de plus en plus précieux. En effet, il permet un échange des meilleures pratiques entre les différentes usines du groupe, ce qui n’existait pas auparavant, car Michelin avait une tradition du secret, et les sites dialoguaient peu entre eux. Or, les progrès se font souvent aux interfaces. En outre, c’est un système qui fonctionne à l’échelle mondiale, même s’il faut intégrer les variables de l’hétérogénéité de l’âge des sites et les différences de coût de la main-d’œuvre d’une zone à l’autre.

JA. A ce propos, les usines d’Europe de l’Ouest sont-elles directement en concurrence avec celles des pays émergents et que pensez-vous de la comparaison franco-allemande en termes de compétitivité ?
MR.
Au-delà des considérations sur l’ancrage dans notre berceau national, les usines d’Europe de l’Ouest doivent effectivement se montrer compétitives face aux sites des pays émergents, dont la Chine. Cela ne relève pas de l’utopie et nous sommes au contraire fiers de pouvoir démontrer, dans le fil de notre plan de compétitivité, que les sites européens et français peuvent être très performants. Par rapport à la comparaison franco-allemande, il est vrai que le coût du travail devient trop élevé en France et que les charges sont aussi trop élevées. Le pire dans cette affaire, c’est que cela ne profite à personne, pas même aux salariés !

JA. L’usine de Toul était-elle vraiment hors de la compétition ?
MR.
Il y a des choix douloureux à faire… Nous vivons dans un monde et dans une industrie qui changent de dimension. Dans les BRIC, les sites qui voient le jour sont paramétrés à 200 000 tonnes, soit environ 20 millions de pneus. Toul, c’était 5 000 tonnes…

JA. Que pensez-vous du traitement politique et médiatique de l’industrie en France ?
MR.
Ce n’est pas la panacée, bien qu’il y ait eu de réels progrès ces dernières années. Mais d’une manière générale, le traitement réservé aux multinationales n’est pas très bon dans notre pays… Il y a beaucoup de déformation et de malentendus, comme les délocalisations ou les salaires et les impôts des dirigeants par exemple. En fait, on peut déplorer une profonde méconnaissance de l’apport de ces grands groupes à la France.

JA. Les activités de R&D doivent-elles rester en France et dans les pays matures ou faut-il aussi les développer dans les pays émergents ?
MR.
La R&D fondamentale doit rester en France, c’est un gage pour l’avenir. Mais on ne peut pas non plus déconnecter les pays émergents de la R&D. Avec mesure, nous devons pouvoir en implémenter une partie dans ces pays, notamment via les programmes de développement dédiés.

JA. On parle souvent de la sacro-sainte R&D, mais votre groupe a pourtant diminué ses budgets de R&D ces dernières années, n’est-ce pas ?
MR.
Ce poste budgétaire était effectivement en légère baisse ces dernières années, car dans un contexte de crise, il est important de savoir bien dépenser. Cette année, ce budget s’établit tout de même à 500 millions d’euros. Et la tendance va repartir à la hausse car le groupe a repris sa marche en avant et consolidé sa structure financière.

JA. Dans le strict domaine du pneumatique, peut-on attendre de réelles ruptures technologiques, de type Radial, dans un avenir proche ?
MR.
Des ruptures de cette ampleur ne sont pas à l’horizon au jour d’aujourd’hui. Quitte à vous surprendre, je peux vous dire que je m’insurge contre le rêve de la rupture. Et je m’en méfie d’autant plus que c’est dans la tradition du groupe. Mais, le plus souvent, les grandes avancées procèdent par l’amélioration continue et non par ruptures.

JA. N’avez-vous pas des regrets par rapport au fait que Michelin n’ait pas su profiter de la forte croissance des segments de pneus d’entrée de gamme, notamment en Asie ?
MR.
Dans la mesure où nous avons fait le choix de donner la priorité à Michelin, je n’ai aucun regret ! Un peu de frustration sans doute, mais vous savez, dans notre secteur, c’est de la frustration permanente ! C’était le choix de la raison et il est de notre devoir, à la tête de Michelin, de savoir freiner certaines ardeurs. En effet, à vouloir tout faire, ou faire des choses à la hâte, on va parfois dans le mur et cela peut aller très vite. J’ai de nombreuses années d’industrie derrière moi et j’ai appris la patience, surtout après avoir vu mourir sous mes yeux l’industrie française du papier. J’en ai notamment gardé une hantise des montées en puissance ratées dans les nouveaux projets. Ce que les Anglo-saxons appellent le “ramp-up”. C’est une phase essentielle qu’il faut pouvoir préparer et ensuite piloter minutieusement. Sinon, le meilleur projet du monde peut s’effondrer comme un château de cartes.

JA. Le véhicule électrique est mis en vedette sur le Challenge. Alors que les prévisions de pénétration de cette technologie font apparaître des deltas considérables entre les dirigeants : quelle est votre estimation personnelle ?
MR.
Les choses évoluent très vite, mais de nombreux problèmes sont encore en suspens. Les états auront-ils assez de latitude budgétaire pour soutenir cette technologie, notamment via les infrastructures ? Le prix des batteries, trop élevé, peut-il baisser rapidement ? En outre, la vertu environnementale de cette technologie dépend beaucoup de la façon dont l’électricité est produite… Dans certains cas de figure, les solutions thermiques sont plus avantageuses. Pour répondre à votre question, je pense que le VE peut représenter environ 4 % des ventes mondiales en 2020. En effet, il est indiqué pour les zones urbaines, les flottes et les trajets très prédictibles, ainsi que pour le traitement du dernier kilomètre.

JA. Dans l’éventail des énergies alternatives, avez-vous foi dans une solution ?
MR.
Je suis convaincu que la PAC a beaucoup d’avenir, plus que le VE, parce que c’est une solution totale. Cela prendra plus de temps, mais je pense que les choses se préciseront après 2020.

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