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Industrie

Les enjeux du marché peinture

Publié le 27 avril 2012

Par Alexandre Guillet
24 min de lecture
Même si l’exercice n’est désormais plus permis, nous avons contourné l’obstacle pour vous proposer une table ronde virtuelle avec les principaux responsables des fabricants de peinture. Morceaux choisis, où il faut parfois savoir lire entre les lignes…

Une année 2011 somme toute moins difficile que prévu

Depuis désormais plusieurs années, chaque année est annoncée comme l’année de tous les dangers pour le marché de la peinture. Mais in fine, après plusieurs exercices particulièrement tendus, surtout par rapport à la restructuration à l’œuvre sur le marché de la réparation-collision en général, la situation devient plus stable, à défaut d’être nettement porteuse. 2011 est venue confirmer cette tendance. Loin de tout triomphalisme, Bernard Lanne, pour le groupe PPG, explique ainsi : “Au début de l’année 2011, j’étais même plutôt confiant, dans la mesure où le changement de culture que nous avons initié vise notamment à nous mettre en large partie à l’abri des aléas du marché. Nous avions aussi su convaincre de nouveaux partenaires distributeurs, pas des moindres et dans des proportions significatives, une quinzaine. Dès lors, vu la force de notre distribution et la montée en puissance de nos accords avec les principaux influenceurs, assureurs, plates-formes, réseaux indépendants, nous n’étions pas inquiets outre mesure et nous avons d’ailleurs réalisé une bonne année”. Même son de cloche chez DuPont : “Il y avait des inquiétudes à l’aube de 2011, mais nous avons su tenir notre cap. Sur un marché tendu, avec une sinistralité orientée à la baisse, il faut d’abord veiller à défendre ses parts de marché, ce que nous avons su faire dans le périmètre de l’après-vente constructeurs, grâce à des relations de confiance, comme dans le périmètre des indépendants. J’insiste d’ailleurs sur l’importance capitale de la qualité de notre distribution qui fait valoir solidité financière, stabilité et qualité des services. En outre, avec le lancement de Cromax Pro, une troisième génération de produits hydrodiluables qui marque une vraie rupture en allant bien au-delà de la simple substitution de produits solvantés, nous disposions d’un formidable levier de conquête qui nous a permis de séduire de nombreux nouveaux clients”, explique Yves Valor. Chez Glasurit, Erwan Baudimant, récemment nommé dans la continuité en lieu et place de Fabien Boschetti, promu au niveau européen au sein du groupe, tient un discours similaire : “Le marché était tendu, nous estimons son repli à - 6 %, mais on ne saurait pour autant parler d’une année noire. En fait, même si le nombre des réparations est à la baisse, les choix que nous avions faits ces dernières années se révèlent payants et portent leurs fruits, ce qui explique que nous progressions. Notre développement s’opère au niveau de la distribution indépendante, notamment via l’AutoDistribution, comme au niveau de notre distribution intégrée. Sur ce dernier point, on peut même parler de croissance organique, générée par les investissements consentis ces derniers temps. Nos gains de parts de marché peuvent donc s’expliquer à l’aune de deux éléments : avoir su signer des partenariats réalistes avec les bons partenaires et avoir maintenu nos équipes sur les routes, malgré toutes les tentations de réduction de voilure qui peuvent naître sous l’effet crise”. Loin des majors, le groupe Lechler a aussi tenu ses positions, comme nous le confirme Emmanuel Delorme, le successeur de Gérard Martin, épaulé par Denise Dufour au poste de directrice administrative et financière : “Sur un marché difficile, je dirais que 2011 est une année plus qu’honorable pour Lechler. L’activité carrosserie n’était clairement pas porteuse, mais nous avons su tirer notre épingle du jeu en nous appuyant sur notre distribution, un axe stratégique mis en exergue depuis 2009. Nous avons réussi à consolider le développement du business avec les partenaires nous ayant rejoint récemment et nous avons aussi couvert trois nouveaux secteurs géographiques. Par ailleurs, nous avons enregistré une croissance à deux chiffres dans le secteur industriel, qui représente environ 37 % de notre chiffre d’affaires et qui conserve un important potentiel. En outre, le domaine du nautisme représente désormais environ 5 % de notre activité et suit un trend de progression. Cette diversification n’est pas négligeable car au global, elle peut éventuellement nous permettre de faire tampon si le marché de la carrosserie va fléchissant”.

2012 : incertitudes et guerre des parts de marché

Alors qu’on ne parlait pour une fois plus d’année de tous les dangers, le début de l’exercice 2012 se révèle finalement beaucoup plus compliqué qu’annoncé… La sinistralité est en chute libre au 1er trimestre, au-delà de – 15 %. Net repli des ventes de VN, prix des carburants scrutés à la loupe et plaçant le kilométrage sous surveillance, parfum de crise et tensions sur le pouvoir d’achat, conditions climatiques neutres… tous les éléments convergent vers une tendance baissière pour le marché. S’il refuse d’être alarmiste, Bernard Lanne est tout de même enclin à réviser ses prévisions : “J’étais plein d’espoir au 1er janvier, mais la situation a en fait été très, très difficile… Dès lors, je suis aujourd’hui bien moins optimiste, d’autant qu’il est acquis que la dégradation du marché ne sera pas compensée par de nouveaux débouchés. Surtout que la concentration du marché s’accentue et s’accélère et en schématisant, on peut dire que 3 000 carrosseries captent désormais 70 % des volumes”. Et d’ajouter avec franchise : “Dans ce contexte, le groupe PPG progressera, mais comme nos objectifs initiaux étaient élevés, nous savons qu’ils seront difficiles à atteindre. Ceci étant, c’est mon problème et pas celui du marché. Ces objectifs ont été négociés avec le Siège et s’ils doivent être revus, c’est que je n’ai pas retenu le bon scénario”. Volontiers plus jésuite, Erwan Baudimant qualifie ainsi le 1er trimestre “C’est calme, très calme…”, avant d’ajouter qu’il faut sans doute faire la part des choses “entre la sinistrose ambiante, surtout liée à l’Europe, et l’économie réelle dans l’Hexagone”. Chez R-M, même si l’inquiétude n’est pas de mise pour l’activité de la marque, on reconnaît cependant que plusieurs des indicateurs du secteur sont en berne : “Au 1er trimestre, nous constatons que dans certains ateliers, l’activité est en baisse. Et la poursuite de la baisse de la sinistralité reste un facteur d’inquiétude pour nos professions”. Chez Ixell, Vincent Delaye, dresse le même constat : “Réduction des volumes de ventes, baisse de la sinistralité, le marché a été difficile au 1er trimestre, comme l’an passé soit dit en passant. Bref, l’exercice 2012 s’annonce tendu pour le business peinture, compte tenu de l’évolution du comportement des automobilistes et des conditions climatiques plutôt clémentes”. Emmanuel Delorme reconnaît que le contexte est troublé : “Il y a une réelle interrogation née du net tassement du marché sur février-mars. D’ailleurs, si nous avons progressé au 1er trimestre, nous nous situons en dessous de nos objectifs initiaux. Attention, ce n’est pas essentiellement lié au marché, car nous avons aussi composé avec le léger décalage de l’ouverture de nouveaux comptes”, mais reste très optimiste en raisonnant en année pleine : “Nous confirmons notre objectif de croissance de 5 points, voire plus ! Nous avons en effet beaucoup de projets ambitieux et le partenariat avec 102 Carrossier Expert va donner ses premiers résultats significatifs tout en continuant à se renforcer. De surcroît, notre activité Industrie affirme encore son dynamisme, avec une progression de plus de 10 % au 1er trimestre, au-delà de nos prévisions initiales qui étaient en dessous de la barre des 10 %”.

Les clés du développement sont largement partagées

S’il ne s’agit pas de dire que le panorama du marché est tout à fait homogène, ce qui reviendrait à commettre l’erreur de gommer des approches stratégiques parfois différentes, force est toutefois de reconnaître que les priorités à court terme des fabricants de peinture sont assez similaires. Tout d’abord, la distribution devient le maillon sacro-saint de la chaîne de valeur. Les discours sont unanimes, même si la réalité du terrain est naturellement riche en hiatus (“best practices” commerciales à géométrie variable, négociations d’exceptions…)… “A notre niveau, l’essentiel est de tenir la promesse faite au départ. Les promesses, nous savons tous en faire, et parfois beaucoup, mais il s’agit surtout de les tenir. Pour cela, je pense que le groupe PPG a un atout : des équipes techniques et commerciales nombreuses. Ainsi, malgré les difficultés du marché, nous n’avons pas réduit nos effectifs ces dernières années. Ce choix stratégique avait naturellement un coût, mais nous savions que les bénéfices viendraient sur le moyen terme”, affirme Bernard Lanne, tout en poursuivant : “Pour le distributeur, il faudra être très réactif, voire proactif. Sachant qu’il n’y a jamais de relations distributeur-carrossier sans problèmes techniques. Il convient de mettre en avant la notion de partenariat. Aujourd’hui, on ne met plus des boîtes de peinture sur une étagère, c’est une relation de business plus que de volume. Enfin, au risque d’être un peu provocateur, j’ajouterais que le carrossier doit bien identifier ce que veut son premier client, à savoir le donneur d’ordres et non pas le client final… Les donneurs d’ordre recherchent la meilleure homogénéité de services possible à coûts maîtrisés. La priorité doit donc aller aux services”.    

Vincent Delaye place aussi la distribution au cœur du système : “Le distributeur occupe une place primordiale dans la chaîne de valeur puisqu’il est au contact du client final. Dès lors, il a deux rôles majeurs. D’une part, par sa fonction “grossiste”, il doit valoriser nos produits et informer les clients de notre actualité produits. Il a aussi pour rôle d’animer ses clients et d’en prospecter de nouveaux pour assurer le développement de la marque. D’autre part, sa relation avec les clients le pose en garant de l’image de marque d’Ixell et précisément, de la satisfaction clients”. Ixell mise beaucoup sur cet accompagnement renforcé sur le terrain pour fidéliser ses clients et ainsi assurer le maintien du niveau de ses ventes en dépit de la baisse structurelle du marché. Dans ce contexte, comme nous l’évoquions précédemment, l’objectif est à la conquête de parts de marché.

Pour Emmanuel Delorme, priorité est désormais donnée à la consolidation des contrats conclus avec de nouveaux distributeurs depuis 2009. “Nous avions besoin de redynamiser notre distribution et nous avons réussi à le faire, ce qui nous a permis de passer un cap”, indique-t-il avant d’ajouter : “Pour autant, nous restons réalistes et avant de raisonner à l’échelle nationale avec les grands donneurs d’ordre, nous savons devoir peaufiner encore notre maillage, notamment dans le Nord-Est. Même si nous avons récemment ouvert trois nouveaux secteurs et que nous couvrons bien plus de 80 % du territoire, il nous reste encore du travail à accomplir. Mais nous nous y attellerons à notre rythme, dans le respect de nos distributeurs et d’un business basé sur des valeurs partagées et de la cohérence, un business durable en somme”.

Pour Yves Valor, la distribution est tout simplement un socle incontournable et la stabilité du groupe et de ses marques dans ce domaine l’incite à la sérénité : “Nos distributeurs sont d’ores et déjà très professionnels et structurés, le plus souvent avec des unités de spécialistes peinture. Nous couvrons le territoire avec une quarantaine de distributeurs qui font valoir une taille significative, puisque nous raisonnons à l’échelle de plaques régionales. Ce sont des relais très précieux, d’autant qu’ils ont une vraie culture de la formation continue, ayant souvent leur propre centre de formation”.

Erwan Baudimant tient aussi un discours basé sur la confiance et la stabilité : “C’est le gage du succès à long terme et comme je l’évoquais précédemment, c’est ce qui explique notre développement actuel. Nos choix d’hier paient aujourd’hui. Nous avons toujours misé sur une progression saine de l’activité, en refusant de faire des coups opportunistes ou d’actionner des leviers artificiels très court-termistes comme l’effet “machines” par exemple. En outre, nous ne mettons pas nos distributeurs en concurrence et nous respectons les zones de chacun”.
Sans surprise, la direction générale de R-M ne dévie pas non plus de cette ligne : “Le rôle du distributeur est fondamental. Il représente le relais et le soutien indispensables au quotidien pour nos clients carrossiers. Notre réseau de distribution, spécialisé et monomarque, bénéficie d’une formation technique et services permanente et au-delà des services logistiques, il apporte ainsi une expertise à forte valeur ajoutée aux clients. C’est le gage d’un accompagnement haut de gamme et par extension, d’une bonne rentabilité pour les ateliers”.

Les effets “nouveautés”

Si tous les fabricants n’ont pas de lancements de produits ou de services spectaculaires programmés pour cette année, ou qu’il est encore trop tôt pour l’évoquer, certains peuvent néanmoins miser sur cet argument. C’est notamment le cas de DuPont qui sait pouvoir compter sur le déploiement de Cromax Pro. Après un premier lancement réussi l’an passé, l’offre va devenir complète, avec l’arrivée d’apprêts et de vernis haute productivité adaptés au second semestre. En début d’année, Cromax Pro a notamment été homologué chez Peugeot et Citroën. Selon Yves Valor, “Cromax Pro constitue un formidable levier de croissance. Dans le périmètre des ateliers concernés, c’est non seulement une arme de fidélisation, mais surtout de conquête”. Un axe de développement qui vient renforcer une offre de colorimétrie et de services déjà très performante. Dès lors, l’objectif sera de renforcer la productivité des ateliers et de les accompagner à mieux répondre aux exigences des donneurs d’ordre (amélioration de la gestion des flux, de l’accueil clients, de la qualité de services, via des audits et du consulting notamment). “Nous le faisons déjà pour les adhérents Five Star et nous avons démontré notre efficacité. Par exemple, Five Star est le réseau le plus performant selon les indicateurs d’Axa. Nous pouvons donc le faire pour d’autres clients”, met en évidence Yves Valor, qui se garde toutefois de tout triomphalisme : “Chacun sait qu’à trop vouloir faire de la conquête, on s’occupe parfois moins de ses anciens clients… C’est une vieille loi économique. Tout est affaire d’équilibre et la fidélisation demeure un enjeu central. Pour la conquête, nous nous concentrons sur les clients de type A ou A+ et nous observons avec attention le développement de plaques d’affaires, à savoir des clients qui ont les reins solides et qui seront les gagnants de demain”.
 
Chez Glasurit aussi, l’effet nouveautés peut être mis en avant, sous divers angles. Tout d’abord, les outils de colorimétrie se déclinent désormais via des applications smart phones, en plus d’internet. “Au-delà de l’image et du classique message de modernité, ces outils commencent vraiment à être utilisés dans les ateliers. Nos équipes ont été formées pour des démonstrations et les professionnels identifient le gain de temps que cela peut procurer, car la recherche de couleurs est de fait possible dans l’atelier, à proximité des véhicules”, indique Erwan Baudimant. Par ailleurs, une nouvelle version du module Profit Manager aura été déployée chez les clients d’ici la fin du premier semestre, avec des outils encore plus précis sur la gestion des coûts (calculs des temps d’intervention affinés, prévisionnel des dépenses et des marges finales, etc.). “En plus de la technique, c’est devenu notre métier à part entière. La différence s’opère par les services à forte valeur ajoutée. C’est aussi pour cela que nos équipes sont régulièrement formées et certifiées à différents niveaux, consultants, experts… Par exemple, nous proposons différents niveaux d’audits et des business seminars adaptés à des populations variées, chefs d’entreprise, chefs d’atelier…”, souligne encore Erwan Baudimant. Dans une optique similaire, un nouveau produit de gestion sera lancé avant la fin de l’année, l’idée dominante étant que le carrossier doit savoir se rendre attractif vis-à-vis des donneurs d’ordre. Et Erwan Baudimant d’insister sur l’importance d’accompagner les clients, afin que cet arsenal d’outils de plus en plus sophistiqués soit bel et bien utilisé et de surcroît au maximum de son potentiel. Hors distribution, c’est ce qui explique aussi les deux nouvelles embauches récemment effectuées chez Glasurit. Enfin, Erwan Baudimant n’oublie pas la carrosserie rapide, ou spot repair, même si ce marché n’est guère en vogue, tension sur le pouvoir d’achat oblige : “Cela peut très bien fonctionner et le dispositif mis en œuvre par Jean Lain en est la meilleure illustration. Trois prérequis sont nécessaires : un ciblage sur les modèles de moins de trois ans, des forfaits clairs et abordables, et bien entendu, une force de vente impliquée. Cela peut permettre de compenser en partie la baisse du marché”.

Pour Lechler, c’est plus le positionnement de la marque qui sera travaillé. “Nous disposons d’une offre globale, mais nous avons aussi retrouvé notre atout du rapport qualité-prix. Les hausses de tarifs validées par les autres fabricants ont été élevées et nous sommes restés très raisonnables. A notre niveau, cela compte. Et nous avons une trentaine de prospects bien avancés. Ce sont en général des carrosseries plus importantes que ce à quoi nous étions habitués auparavant”, indique Emmanuel Delorme, qui reconnaît l’attrait de Lechler comme seconde marque et identifie une opportunité autour de la dichotomie zones rurales/zones urbaines.

Aux yeux de Bernard Lanne, toujours inflexible sur l’enjeu névralgique du respect de la promesse clients, le dynamisme sera principalement au rendez-vous avec Max Meyer, qui a enregistré une croissance à deux chiffres en 2011. Logique dans la mesure où c’est la marque la moins “installée” du groupe dans l’Hexagone. S’il estime que PPG et Nexa peuvent encore se développer, il envisage davantage cette progression dans une logique de consolidation. En outre, le groupe devrait encre croître dans le domaine industriel, un marché sur lequel il est arrivé récemment et où la conquête est donc “quasiment mécanique”, dixit Bernard Lanne.

L’innovation en question

En grossissant le trait, on peut presque avancer qu’il y a désormais deux chapelles parmi les fabricants de peinture par rapport à la force de l’innovation technologique comme argument commercial. Ceux qui estiment que la marge de différenciation est devenue très ténue entre majors sur ce front et ceux qui pensent au contraire que la technologie peut encore générer du business. Bernard Lanne ne cherche nullement à déprécier l’innovation technologique : “Il y a des innovations intéressantes, mais ce n’est actuellement pas une période où on attend des ruptures ou des révolutions”. Sur les écrans radars, rien qui ne soit susceptible de bousculer la mainmise des majors sur le marché et la hiérarchie existante. On peut être tentés de lui donner raison en analysant rétrospectivement la période de conversion aux produits hydrodiluables. Sur les marchés concernés, cette transition n’a pas engendré de glissement de terrain majeur de parts de marché entre les grands fabricants. En revanche, les fabricants de taille plus modeste ont quasiment été annihilés. En fait, pour Bernard Lanne, l’enjeu de l’innovation se situe aujourd’hui sur un autre plan, dans le cœur des laboratoires de R&D à proprement parler : “Au-delà de l’augmentation des prix des matières premières, dont on parle beaucoup car cela engendre des hausses de tarifs, nous sommes surtout confrontés à un problème de raréfaction de certaines matières premières, un processus parfois irréversible. Dès lors, les chercheurs des grands groupes déploient des efforts gigantesques pour trouver des solutions de substitution. Cela passe notamment par de nombreuses et complexes reformulations”.

Après avoir largement mis en avant Cromax Pro comme une rupture, Yves Valor ne partage naturellement pas l’avis de Bernard Lanne : “Nous sommes des groupes technologiques et scientifiques avant d’être des groupes de services et une grande partie de la compétition se joue là. Il ne faut surtout pas banaliser le produit. Surtout qu’il est clair que les grands fabricants ont parfois des approches différentes. On le voit au niveau de la colorimétrie, un périmètre essentiel qui conditionne 100 % du ressenti du client devant une opération de peinture. De plus, le pouvoir couvrant ou la durée de certains process ont bel et bien une traduction directe en rentabilité”.

Pour Erwan Baudimant aussi, l’argument technologique garde son importance. Et de citer en exemple la Ligne 90 de Glasurit et ses évolutions, nouveaux pigments, nouvelles sous-couches, technique Direct to metal qui permet de gagner une étape dans le processus de réparation, etc.

L’après-vente constructeurs accroît-elle encore son avance par rapport aux indépendants ?

Depuis plusieurs années, les dirigeants des fabricants de peinture comme les distributeurs s’accordent à dire que l’après-vente constructeurs a reconsidéré la réparation-collision et que les plans d’action ont fait preuve d’efficacité, se traduisant par des gains de parts de marchés manifestes au détriment des indépendants au sens large, c’est-à-dire en réseau ou non. Toutefois, on sait aussi que les donneurs d’ordre observent ce rapport de forces avec attention, cherchant à maintenir un équilibre synonyme de position de force avantageuse pour eux dans les négociations tarifaires. Aujourd’hui, les avis divergent lorsqu’il s’agit de savoir si ce phénomène se poursuit ou non. Pour Bernard Lanne, c’est encore le cas : “Sur un marché en consolidation, les constructeurs ont toujours le vent en poupe. On peut estimer que l’après-vente constructeurs détient désormais 60 % du marché, contre 40 % pour les indépendants. Cependant, la tendance actuelle de la baisse des immatriculations joue en faveur des indépendants car l’âge moyen du parc aura tendance à vieillir. Mais c’est un avantage à moyen-long terme dont les premiers effets ne pourraient se faire sentir que d’ici 18 à 24 mois. En outre, il faut toujours se méfier des tendances car il n’y a pas de vérité dans notre marché !”.

De son côté, Yves Valor ne propose pas la même lecture du phénomène et il estime de surcroît la répartition du marché à seulement 52 %/48 % en faveur des constructeurs, insistant sur le fait que c’est effectivement un équilibre “voulu” par les donneurs d’ordre : “En fait, depuis quelques années, nous avons constaté que constructeurs comme concessionnaires s’étaient attachés à rapatrier la facturation des agents chez eux. Les constructeurs ont donc, d’un point de vue facial, augmenté leur poids en valeur. Mais on ne retrouve pas forcément de correspondance au niveau des flux de réparations”.

Pour Erwan Baudimant, la répartition est jugée à 55 %/45 % en faveur des constructeurs, mais en considérant que la progression de ces derniers n’est plus significative ces derniers temps. Il tient d’ailleurs plutôt à souligner le phénomène de concentration à l’œuvre chez les indépendants. Même si de nombreuses disparités existent encore dans cette population de réparateurs, c’est à ses yeux une nouvelle donne qu’il faut prendre en considération. “Comme toute la profession le pressentait depuis plusieurs années déjà, nous n’avons plus pour interlocuteurs des techniciens mais, bien souvent, des chefs d’entreprises, des investisseurs. Ils ont de réelles compétences pour négocier avec les donneurs d’ordre comme avec les fournisseurs. Nous devons donc accompagner nos équipes comme celles de nos distributeurs à intégrer ce nouvel état de faits”.

Les donneurs d’ordre n’ont jamais si bien porté leur nom

Si ce phénomène de concentration devrait à l’avenir se révéler bénéfique pour les indépendants, il ne faut cependant pas penser que le rapport de forces avec les donneurs d’ordre tend à tourner en leur faveur. Loin de là… Les donneurs d’ordre n’ont jamais si bien porté leur nom. C’est ce que tout le monde reconnaît avec plus ou moins de fatalisme. Bernard Lanne, qui avait pointé du doigt, déploré même, ce phénomène estime que la question est désormais close : “Les carrossiers ont de moins en moins de marge de manœuvre vis-à-vis des apporteurs d’affaires, c’est clair. On peut même dire que c’est intégré au niveau du fonctionnement du marché. On a dépassé le point de non-retour. Et cela va encore s’accentuer. Imaginez que deux donneurs d’ordre vont bientôt représenter plus de 50 % du marché…”. Tout en restant plus évasif, Vincent Delaye juge qu’il faut surtout éviter de franchir le Rubicon : “Le climat concurrentiel actuel est très tendu, avec une recherche de rentabilité et de maîtrise des coûts qui s’est fortement accélérée ces dernières années. Les réparateurs doivent garder à l’esprit une logique de pérennité commerciale sur le long terme et non sur le court terme par une recherche systématique de réduction des coûts”. Même la direction R-M, d’ordinaire réservée, se permet une mise en garde : “Nous constatons que pour certains acteurs, dans le contexte économique actuel délicat et incertain, la stratégie du tout et n’importe quoi est envisageable. Les associations éphémères qui déstabilisent le marché sont récurrentes”, avant d’ajouter avec un brin d’ironie : “Beaucoup de bruit pour finalement peu d’effets”…

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ZOOM - Ventes sur Internet : tempête dans un verre d’eau

Les ventes “sauvages” de produits sur Internet agitent actuellement le Landerneau de la peinture. Pour Erwan Baudimant, “le phénomène existe effectivement et nous l’observons attentivement. Toutefois, nous ne sommes pas inquiets car nous savons que le seul argument du prix ne suffit pas dans notre activité et surtout que cela n’est pas le choix le plus rentable à long terme”. Néanmoins, en période de crise, la tentation peut être forte. Pas forcément sur les produits à forte valeur ajoutée, mais plutôt sur les produits à forte rotation et les produits d’usage. Emmanuel Delorme reconnaît que “cela peut perturber la distribution” et souligne que “c’est le rôle du fabricant de contrôler les circuits européens de ses produits. C’est en tout cas ce que nous nous efforçons de faire chez Lechler”. Yves Valor admet que “la tension sur le prix favorise cet épiphénomène”, mais refuse d’y voir un problème significatif : “Les distributeurs chevronnés ne jouent pas ce jeu. D’ailleurs, nous ne ressentons pas vraiment d’impact à notre niveau”. Pour reprendre la formule de la direction de R-M, “beaucoup de bruit pour finalement peu d’effets…”.

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ZOOM - Le prix des matières premières devrait encore augmenter cette année

Contrairement à ce qu’attendaient certains fabricants de peinture, la flambée du prix des matières premières ne devrait pas significativement se calmer en 2012. C’est en tout cas la prévision des experts du CEPE. Le dioxyde de titane continue notamment de poser problème. En l’espace de deux ans, entre 2010 et fin 2011, son prix a tout simplement explosé de plus de 60 % ! La situation ne devrait pas évoluer positivement pour deux raisons. Tout d’abord, le rapport entre l’offre et la demande est tendu, conséquence du gel des investissements de production entre 2000 et 2010, encore accentué au moment de la crise de 2008, et simultanément d’une explosion des besoins dans les pays émergents, notamment en Asie. Par ailleurs, les réserves historiques de dioxyde de titane s’amenuisent et il y a eu un sous-investissement pour trouver de nouveaux sites d’exploitation. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, les experts du CEPE mettent aussi en garde contre une forte volatilité du prix des liants, émulsions ou résines. Selon les différentes catégories visées, les prix ont déjà augmenté de 20 à 40 % en 2011. Les accords tarifaires seront donc conclus sur des périodes beaucoup plus courtes, tant d’importantes fluctuations de prix, parfois d’un mois sur l’autre, sont envisageables.

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ZOOM - DuPont, elle court, elle court la rumeur

Déjà apparue fugacement aux Etats-Unis fin 2010, la rumeur faisant état de la volonté du groupe DuPont de céder ses activités Coatings a refait surface à la fin de l’année 2011. Les agences Bloomberg et Reuters indiquaient même que le groupe avait mandaté de Crédit Suisse pour piloter la vente et estimaient l’éventuelle transaction entre 3 et 4 milliards de dollars. Ellen Kullman, présidente du groupe DuPont a dénoncé le bien-fondé de cette rumeur sans apporter pour autant de démenti formel, lâchant notamment : “Si certaines de nos unités n’atteignent pas leurs objectifs, nous envisagerons naturellement plusieurs alternatives et aucune d’entre elles n’est à exclure”.

Désormais, la rumeur va bon train et alimente de nombreuses conversations et supputations, principalement chez les distributeurs. Pour le dirigeant d’un concurrent du groupe DuPont, “la rumeur d’une vente existe bel et bien et elle peut logiquement déstabiliser certains distributeurs. Actuellement, cela fait beaucoup parler, mais on ne peut pas parler d’impact sur le marché à proprement parler. D’ailleurs, nous n’intégrons nullement cette variable comme un potentiel levier de croissance”. Selon un autre dirigeant, “cette rumeur revient avec beaucoup d’insistance en Europe et on entend aussi beaucoup de choses sur les hypothétiques repreneurs, un groupe japonais, un groupe chinois, un poids lourd du marché des abrasifs…”. Sous couvert d’anonymat, un distributeur reconnaît que cette rumeur le perturbe, sans pour autant entraver le train du business au quotidien : “Disons que nous sommes peut-être plus ouverts vers l’extérieur car si une transaction venait à intervenir, selon l’identité du repreneur, il faut être prêt à réagir rapidement”.

De son côté, Redhwan Amine, responsable projets, marketing et communication de DuPont de Nemours France, joue logiquement l’apaisement. Selon lui, il s’agit d’une rumeur de marché, suite à une réévaluation des objectifs de rentabilité des activités au sein du groupe. Les informations circulant de plus en plus vite, la rumeur a ensuite enflé. “Je reconnais que cela fait parler dans notre secteur et il est d’ailleurs légitime que nous rassurions nos distributeurs si besoin”, explique Redhwan Amine. Et selon lui, la taille du groupe lui garantit une réelle solidité dans tous les cas de figure envisageables.
A suivre…
 

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