“Le monde devenant plus complexe, il nous revient de le simplifier”
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Pour quelles raisons avez-vous lancé un avertissement par rapport à vos perspectives de croissance ?
FLORENT MENEGAUX. Tout d’abord, il convient de relativiser cet avertissement, car d’une manière générale, le marché mondial se porte bien sous l’angle des volumes. Cependant, nous savons que la réalité est plus nuancée. Ainsi, en Europe, le niveau de vente de véhicules demeure faible et pour le marché du pneu, l’effet “déstockage” est terminé. En outre, des marchés comme la Russie, l’Amérique du Sud ou l’Asie du Sud-Est sont orientés à la baisse. Pour des raisons différentes, mais si on prend un pas de recul, on constate que la géopolitique est très instable, ce qui ne nous prend pas au dépourvu, mais on sait aussi que c’est très difficile à intégrer dans un business-plan.
JA. Cette instabilité est-elle une source d’inquiétude ?
FM. Lorsque vous évoluez sur un marché mondial, vous êtes habitués à l’inquiétude. En revanche, il faut être capable de l’expliquer pour bien la faire comprendre aux places de marché, ces dernières ayant tendance à tout prendre au pied de la lettre et à amplifier le moindre warning.
JA. Le développement de nouveaux acteurs, notamment coréens et chinois, durcit-il significativement votre environnement concurrentiel ?
FM. La concurrence a toujours existé et le fait qu’elle puisse changer de nature ou de nationalité ne pose pas de problème majeur. Le véritable défi qui nous est proposé tient sur deux éléments : d’une part, nous savons que notre marché est structurellement en surcapacités et d’autre part, les à-coups de certains marchés sont difficiles à prévoir et à intégrer dans le pilotage de l’activité industrielle et commerciale.
JA. L’état de surcapacités auquel vous faites référence fragilise de fait certains acteurs, hors majors. Cela appelle-t-il des opérations de croissance externe ?
FM. A l’avenir, il y aura des opportunités à saisir sur notre marché, c’est clair.
JA. Comme chez les équipementiers, peut-on s’attendre à une nouvelle vague de concentration dans votre secteur ?
FM. Une stricte comparaison serait un peu hasardeuse, car le pneumatique a un environnement spécifique. En revanche, les manufacturiers s’ouvrent à d’autres business. Michelin a par exemple ouvert le champ des services, notamment numériques, comme en témoigne le récent rachat de Sascar. Il s’agit de l’une de nos grandes priorités, à savoir qu’un objet devra être connecté à l’avenir. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais ce marché va exploser pour passer de dizaines de millions d’euros à des dizaines de milliards d’euros. En filigrane, nous retrouvons la problématique d’un monde qui devient de plus en plus complexe et qu’il nous revient de simplifier par le biais des services. Ce sera déterminant, particulièrement sur le segment du BtoB.
JA. Quels types de services le groupe Michelin va-t-il privilégier à court terme ?
FM. Au-delà de nos différents métiers, nous allons continuer à nous développer sur les services. Deux grands axes peuvent être mis en avant : les services de mobilité et les services numériques.
JA. A propos du véhicule connecté, que répondez-vous à ceux qui estiment que l’industrie automobile a fait entrer le loup dans la bergerie en signant des accords avec Google ?
FM. Tous les nouveaux acteurs qui apparaissent dans le périmètre automobile méritent le respect, surtout que nombre d’entre eux ont la faculté de transformer le marché. Cependant, il ne s’agit nullement d’admiration béate et il ne faut pas oublier que ces géants sont aussi fragiles. Ils se sont constitués très rapidement, mais ils peuvent aussi disparaître en peu de temps, car ils sont exposés au risque d’être transpercés par l’émergence de technologies qu’ils n’auraient pas identifiées. Par ailleurs, l’essor de ces nouveaux acteurs va pleinement dans le sens de la numérisation du business et du développement des objets connectés que nous évoquions.
JA. Pour revenir à votre cœur de métier, quel regard portez-vous sur les grandes manœuvres de Continental en matière de distribution en France ? Cela change-t-il la donne ?
FM. On en parle beaucoup dans le microcosme automobile depuis l’été et c’est légitime, mais pour l’heure, cela a peu d’impact sur l’activité commerciale des uns et des autres. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que c’est la nature même de la concurrence : tout le monde est en mouvement car personne n’a la latitude de se reposer sur ses lauriers. Ainsi, chez Michelin nous développons significativement la franchise pour notre distribution et nous accentuons aussi nos efforts sur le e-retail, avec plusieurs sites. Au-delà des grandes stratégies, la concurrence se joue sur le terrain et sur la faculté à toujours faire mieux comprendre l’importance du pneu. Un point sur lequel il y a encore beaucoup de travail…
JA. Pour conclure, à l’instar de certains de vos homologues, le placement sous agrément de la filière “pneumatiques usagés” au 1er janvier 2020, voté par l’Assemblée Nationale, vous fait-il sortir de vos gonds ?
FM. Disons que c’est l’objet d’une grande incompréhension… Surtout qu’Aliapur fonctionnait bien ! D’une manière générale, nous préférons tous les systèmes où nous sommes mis en responsabilité.