"Il faut que le langage de l’automobile soit un langage descriptif, facile, compréhensible, qui accompagne l’évolution très rapide de l’industrie automobile"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Vous avez pris la présidence de la commission de terminologie de l’automobile voici un an, qu’est-ce qui vous a motivé à accepter cette mission ?
MARC SZULEWICZ. J’ai tout d’abord été surpris que l’on me propose la présidence d’une telle commission – que je ne connaissais pas –, puis cela m’a intéressé, lorsque j’ai compris ses objectifs. La seule crainte que j’avais était que cela s’inscrive dans un conservatisme exacerbé et plutôt assimilable à un combat d’arrière-garde. Or, ce n’est absolument pas le cas et, si nous sommes contents de participer à l’enrichissement de la langue française, cela s’apparente davantage au résultat de notre action plutôt qu’à son but.
JA. Quel est l’objectif de la commission spécialisée de terminologie et de néologie de l’automobile, pour en reprendre l’appellation exacte ?
MS. Le rôle de notre commission est de proposer des termes et des expressions correspondant à l’évolution de l’industrie automobile, en lieu et place des termes étrangers, en particulier anglo-saxons. Il faut que le langage de l’automobile soit descriptif, facile, compréhensible, et qu’il accompagne l’évolution très rapide de notre industrie.
JA. C’est plutôt l’enrichissement de la langue française comme compréhension du langage qui vous anime ?
MS. Bien que l’Académie française participe activement à nos travaux, nous n’avons pas pour priorité l’enrichissement de la langue française, mais plus simplement de donner du sens à des expressions et à des mots. Il suffit de citer les mots “crossover” ou “SUV”, pour se rendre compte que peu de gens en connaissent vraiment le sens.
JA. Comment travaillez-vous au sein de la commission ? Comment choisissez-vous les termes à étudier ?
MS. Ce qui nous intéresse, c’est d’essayer de réduire le délai entre le moment où un concept ou un produit apparaît et le moment où nous pouvons le nommer et le définir en français. A cet égard, la présence au sein de la commission de représentants des équipementiers (Valeo et Plastic Omnium) et des constructeurs est essentielle, car ce sont eux qui peuvent nous alerter en amont sur les innovations à venir. L’actualité peut aussi nous fournir des sujets d’étude. Nous venons, par exemple, de prendre en compte l’expression “plugsurfing” afin de lui donner un équivalent plus compréhensible en français et, dans le même temps, nous apprenons qu’il existe déjà une association française de “plugsurfing” ! Ce terme désigne en fait l’action consistant à aller de prise en prise pour recharger son véhicule électrique. Si nous souhaitons donner un équivalent français à ce concept pour en permettre une meilleure compréhension, il nous faut être réactifs et ne pas attendre que le terme anglais se soit imposé à tous. Nous avons donc choisi de retenir l’expression “recharge itinérante”.
JA. Qu’en est-il des mots anglais qu’on peut lire un peu partout à l’intérieur de nos véhicules ?
MS. Cela pose un problème insoluble car un véhicule ne peut être fabriqué spécifiquement pour un pays donné, particulièrement en Europe. Certains mots ne sont pas gênants, comme par exemple “airbag”, que tout le monde comprend aujourd’hui. Pour d’autres, ce n’est pas le cas. Qui comprend l’inscription “top tether” gravée près des appuis-tête arrière de nos voitures ? (il s’agit de points de fixation pour sangles supérieures de sièges pour enfants. N.D.L.R.).
JA. Qu’advient-il des termes qui sont adoptés par votre commission ?
MS. Tous les termes qui sont acceptés, après les différentes validations, sont publiés au Journal officiel. Dès lors, ils revêtent un caractère d’usage obligatoire, au moins dans l’administration française, les ministères, les services de l’Etat et la fonction publique en général. Ainsi, notre ministre de tutelle n’est pas censé utiliser l’expression “city car”, alors que le terme “citadine” a été publié au JO. Les hauts fonctionnaires de terminologie sont d’ailleurs censés rappeler aux ministres leurs obligations linguistiques ! En revanche, imposer l’usage de ces termes au secteur privé et au grand public est beaucoup plus compliqué…
JA. Justement, comment faites-vous pour diffuser les résultats de vos travaux ?
MS. Nous publions un recueil intitulé “Des mots et des autos*”, qui est régulièrement mis à jour. Ce recueil est notamment consultable sur les sites internet du CCFA, de la Fiev ou de la Société des Ingénieurs de l’Automobile. Nous profitons des salons comme le Mondial de l’Automobile ou Equip Auto pour le diffuser largement. Enfin, nous organisons des rencontres avec des journalistes tels que vous aujourd’hui, pour qu’ils nous aident à faire passer notre message.
JA. Les travaux de la Commission ne risquent-ils pas de tomber dans le piège de l’élitisme ?
MS. L’automobile est un sujet grand public. Conscients de ce fait, nous ne retenons pas toujours le terme le plus académique, mais celui qui a le plus de chances d’être utilisé par tous.
JA. Quels sont les mots qui ont connu le plus grand succès ?
MS. Nous sommes assez fiers de “monospace”, de “citadine”, ainsi que d’“ABS” ou d’“ESP”, mots d’origine allemande dont nous avons pu conserver l’acronyme en français.
JA. Et avez-vous un regret ?
MS. Plusieurs ! Mais pour n’en citer qu’un, je trouve dommage que tout le monde parle de SUV, sans en comprendre toujours le sens, alors qu’on devrait dire TTL, acronyme de “tout-terrain de loisir”.
JA. Que pouvons-nous dévoiler des ambitions de votre commission ?
MS. Notre ambition est de publier suffisamment vite les expressions correspondant à de nouveaux concepts ou de nouveaux produits, afin qu’elles puissent passer dans le langage courant. Pour cela, je le répète, il faut que ces expressions soient simples et compréhensibles, parfois au détriment d’une certaine précision technique. Ainsi, nous avons traduit “plug-in hybrid” par “hybride rechargeable”, et non par “hybride rechargeable sur une prise de courant”, alors qu’on pourrait arguer du fait que tous les hybrides sont rechargeables puisque le moteur thermique recharge les batteries quand il fonctionne.
Notre ambition, c’est que grâce à vous et à vos articles, les Français utilisent des mots qu’ils comprennent et qui leur permettent de se faire comprendre. J’assistais récemment à un congrès automobile, au cours duquel le journaliste interrogeait un spécialiste de l’hybride sur le “prolongateur d’autonomie” (moteur thermique qui recharge les batteries sans actionner directement le véhicule). Mais c’est en utilisant le terme anglais “range extender” que le spécialiste lui a répondu !
Vous voyez, il nous reste encore beaucoup à faire !
*Brochure éditée par le CCFA
(Comité des constructeurs français d’automobiles), qui assure le secrétariat général de la commission.
Entretien réalisé en présence et avec le soutien de la vice-présidente de la commission, Catherine Lejeune-Cottrau, directrice de la Communication de la Fiev, et de Frédérique Payneau, secrétaire générale de la commission et traductrice-rédactrice au CCFA.
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ZOOM - La commission de terminologie automobile en bref
Créée en 1998 dans le cadre officiel du dispositif d’enrichissement de la langue française, la commission de terminologie et de néologie de l’automobile est l’une des 18 commissions spécialisées dont la mission est de proposer de nouveaux termes pour accompagner l’évolution des techniques et des usages, afin de les mettre à la disposition des professionnels concernés et du grand public.
La commission de l’automobile rassemble des membres de droit (délégation générale à la langue française, Académie française, Académie des sciences, AfNor, haut fonctionnaire de terminologie, ministère du Redressement Productif) et des personnalités qualifiées (constructeurs, équipementiers, ingénieurs, traducteurs, journalistes et universitaires), soit une trentaine de personnes au total.
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