"Fournir des savoir-faire techniques constitue l’un des vecteurs de notre stratégie de soutien à la rechange"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Comment se porte le groupe ZF, après ces temps mouvementés ?
ALOIS LUDWIG. Nous pouvons dire que le groupe ZF affiche une très bonne santé après avoir réalisé un chiffre d’affaires, en 2010, de 12,9 milliards d’euros, soit une progression, par rapport à 2009, de 28 %. Par ailleurs, tous nos indicateurs nous signalent que nous poursuivons sur cette lancée avec plus de 18 % de croissance, pour 2011.
JA. Comment expliquez-vous la croissance du groupe ?
AL. La croissance s’explique par l’innovation et les nouvelles technologies comme les transmissions automatiques de dernière génération. Nous avons particulièrement développé les boîtes de vitesse automatiques dans toutes ses configurations, et ce sont elles, notamment, qui portent le groupe aujourd’hui. Nous avons, ainsi, pour les véhicules particuliers, lancé une boîte de vitesse longitudinale à 8 rapports, totalement compatible avec les véhicules 4 roues motrices ou les hybrides. Elle permet des économies de l’ordre de 10 % de carburant et la réduction du CO2. Parallèlement, vient de sortir, aux Etats-Unis, une boîte de vitesses transversale pour petits moteurs à traction avant, à 9 rapports, qui présente les mêmes caractéristiques avec des résultats encore plus spectaculaires : 15 % de carburant en moins à 120 km/h en comparaison avec une boîte à 6 rapports !
JA. Est-ce que l’axe stratégique de ZF, aujourd’hui se traduit par la réduction des émissions, ou l’économie en général ?
AL. Ce sont les demandes des consommateurs qui ont changé, c’est cela qu’il est important de bien voir. Le “0 à 100” le plus rapide qui plaisait tant, est remplacé par des besoins de “rouler propre”, confortablement ou économiquement. Comme le changement de mentalités est beaucoup plus rapide que nous l’avions imaginé, ce sont aux quelques grands systémiers que nous sommes, d’apporter aux constructeurs, les réponses les plus rapides en ligne avec ces besoins en termes d’innovations, en particulier en électronique et pour les systèmes hybrides.
JA. Qu’est-ce qui a rapproché le plus les systémiers des constructeurs, la crise avec ses impératifs de mieux maîtriser la chaîne ou la rapidité demandée par les nouvelles technologies, exigeant donc, des échanges étroits de savoir-faire ?
AL. La complexité des véhicules s’est tellement accélérée, ces dernières années, que, de plus en plus, les constructeurs sont contraints de faire appel à des spécialistes experts de ces systèmes. La combinaison d’électricité, d’électronique et de mécanique, au niveau des composants, a atteint des niveaux qui n’existaient pas, il y a seulement 5 ans. Nous sommes les plus gros pourvoyeurs de brevets et si chaque constructeur devait les développer tous, ce serait techniquement et économiquement impossible. Il est nécessaire, pour les systémiers, de mutualiser ces coûts de recherche et développement pour plusieurs constructeurs.
JA. En tant que président de la division rechange, vous devez être inquiet, puisque ces systèmes ne seront pas accessibles à la rechange indépendante ? Je pose la question avec un soupçon d’impertinence…
AL. Au contraire, fournir des savoir-faire techniques constitue l’un des vecteurs de notre stratégie de soutien à la rechange. Il est vital, pour nous, et stratégique, que nous puissions apporter aux réparateurs l’information et la formation nécessaires, pour qu’ils puissent réparer les véhicules dotés de ces nouvelles technologies. Et nous nous battons pour y arriver de différentes manières, l’une d’elles étant illustrée par notre coopération avec Bosch. Grâce à ce rapprochement, nous mettons en commun pour la rechange indépendante, et pour les professionnels de l’automobile en général, toutes nos données techniques sur des produits et systèmes complexes et complémentaires, - hybrides compris - et nous pouvons, aussi, fournir les diagnostics, et les formations, que nous construisons ensemble. C’est un premier axe de développement, le second, et là nous parlons de l’investissement propre à ZF, se situe au niveau de Bruxelles, de la Commission européenne pour nous assurer que, légalement, les informations techniques sont bien mises à la disposition de l’aftermarket. C’est d’ailleurs là, que l’on retrouve le concept de RMI (Repair and Maintenance Information), qui est un droit, que l’on veut faire imposer, juridiquement par Bruxelles. Nous sommes partie prenante dans ces démarches.
JA. Est-ce que vous allez partager les Bosch Car Service ?
AL. “Partager” : non. “Coopérer” : chaque fois que cela a du sens. Les diagnostics effectués, définissent des pièces à changer, nous allons mettre à disposition des clients via les BCS, les pièces détachées complémentaires à celles que vend Bosch. Aux Etats-Unis, nous avons des accords qui vont dans ce sens, et nous sommes favorables à des initiatives similaires en Europe, qui seront décidées marché par marché.
JA. Mais envisagez-vous de créer des ZF Car Service, avec leur propre signalétique et réseaux ?
AL. Nous en avons déjà, sous la forme des réseaux OSS VL et PL et nous allons continuer à développer ces concepts de labélisation technique et d’accès à nos outils de diagnostic ou d’aide au montage. OSS VL et PL sont formatés comme des modules qui s’intègrent à des concepts d’atelier complets, et non comme des concepts “réparateurs” complets. En ce sens, rien ne s’oppose à ce que nous poursuivions nos coopérations techniques avec Bosch ou les BCS, ni même, que nous nous associons à des opérations intéressantes commercialement.
JA. Qu’avez-vous développé récemment en termes de services et de produits pour la rechange et que vous présentez sur Equip Auto ?
AL. Nous avons construit une formation commune avec Bosch sur la liaison au sol complète, grâce à laquelle nous apportons vraiment au réparateur, toutes les informations techniques dont il a besoin, pour intervenir sur un train roulant complexe de VW / Audi ou BMW par exemple. Grâce à ce partenariat, quand le réparateur démontera une roue, qu’il soit face aux freins, aux amortisseurs, aux pièces de liaison au sol, il aura rassemblé toutes les informations techniques, disposera des outils nécessaires pour les diagnostiquer mais aussi des méthodes et des process nécessaires pour les régler correctement. Nous ne délivrons pas seulement une formation sur les pièces, mais un accès pour comprendre un système dans sa globalité afin d’intervenir précisément sur ce système. Nous annonçons, aujourd’hui, cette formation sur les trains roulants complexes, il y en aura beaucoup d’autres dont l’hybride, certainement. C’est le début d’une coopération que nous prévoyons de renforcer.
JA. Nous avons vu plusieurs équipementiers signer des accords de partenariat pour former ou informer les distributeurs et les réparateurs, est-ce devenu incontournable ?
AL. Nous sommes déjà systémiers, et ZF représente à lui seul plus de 20 % du panier d’achat d’un réparateur, mais tous les systèmes interagissent ente eux et il faut absolument permettre au garagiste, au réparateur, de pouvoir intervenir sans crainte sur ces systèmes. S’il a des bribes d’informations, la formation ne sera pas efficace, et la prestation risque d’être caduque. En donnant accès à l’ensemble du système, la prestation est renforcée et efficiente.
JA. Envisager un système dans toutes ses composantes ne vous oblige-t-il pas à acquérir de nouveaux savoir-faire, donc d’autres industriels ?
AL. Nous l’avons fait, récemment, en achetant une société qui s’appelle Cherry, un de nos fournisseurs en composants électroniques. Par son intégration dans le giron de ZF, nous bénéficions, en interne, de la compétence sur tout ce qui est électronique, ce qui est indispensable aujourd’hui pour les systémiers. C’est un exemple d’acquisition où nous avons intégré la fonction électronique.
JA. La plupart des groupes équipementiers sont portés par leur croissance dans les pays émergents, qu’en est-il pour vous ?
AL. Nous sommes une compagnie allemande et européenne et, bien évidemment, nous avons, dans cette région, d’importantes parts de marché. Nous sommes installés en Asie, et plus particulièrement en Chine qui est notre “siège régional” et où nous avons un grand centre de R&D, en Amérique du nord et du sud, en Australie, à Singapour… Notre croissance se fait donc, bien sûr, par l’augmentation de nos parts de marché dans toutes les régions et notamment dans les pays du BRIC. La croissance s’avère plus forte dans ces pays, certes, mais nous continuons de croître aussi, moins vite, évidemment, en Europe. Cependant, sur les 5 000 personnes supplémentaires qui ont rejoint le groupe cette année, nous en comptons 2 000 en Europe.
JA. Pouvez-vous être encore compétitifs tout en fabriquant en Europe ?
AL. Grâce à notre haut degré de d’automatisation, nous pouvons descendre les coûts de production et réduire le taux des charges de personnel dans le coût total de fabrication. Nous travaillons à descendre ce taux. Et nous revoyons sans cesse notre organisation pour pouvoir augmenter notre productivité, qui est le maître mot de notre stratégie en Europe. Quant aux matières premières, elles coûtent le même prix en Europe, en Asie, en Roumanie ou aux Etats-Unis.
JA. Comment faites-vous pour maintenir une politique de prix cohérente avec des prix de matières premières qui fluctuent sans cesse ?
AL. Nous sommes contraints de répercuter ces fluctuations chez nos clients. Ces coûts de matière première sont envisagés dès leur conception et nous sommes obligés de demander aux constructeurs de prendre une part de ces variations.
JA. Quelle est votre politique en remanufacturing, est-ce une seconde gamme pour vous, une réponse pour des véhicules plus anciens ?
AL. Tout d’abord, le remanufacturing deviendra de plus en plus important dans le monde dans le futur et en général. Parce que les matières premières vont se raréfier et parce que, inéluctablement, les politiques globales vont inciter les industriels à réduire les dépenses en matières premières, et à recycler davantage. En outre, compte tenu de la croissance dans les pays émergents et aussi du low-cost, le gaspillage sera traqué. En revanche, nous ne ferons pas de deuxième qualité. Tous nos produits remanufacturés ou réparés sont des produits qualitativement identiques aux produits neufs. La qualité que nous garantissons pour le produit remanufacturé est la même que pour le produit neuf.
JA. Est-ce que vous vendez des gammes séparément en remanafucturing ou cela fait-il partie du catalogue ?
AL. Nos politiques sont un peu différentes selon que l’on parle de “commodities”, c’est-à-dire des consommables (ou des produits de réparation simples comme les embrayages, les amortisseurs, les pièces de suspension direction) ou si l’on envisage des systèmes complets comme des boîtes de vitesses ou des systèmes de direction complets. Pour ces deux derniers, nous sommes impliqués depuis longtemps dans le remanufacturing ou dans la réparation et nous le faisons jusqu’au niveau local. Nous avons choisi d’être près du terrain, donc du consommateur, de manière à construire une chaîne la plus efficace possible en termes de recyclage et de revalorisation des produits. Pour les produits dits consommables, cela dépend un peu des marchés. En France, par exemple, la perception des produits remanufacturés nous revient souvent négativement, comme du “deuxième choix”. Ce qui rend difficile notre approche qui est à l’opposé, le remanufacturé étant l’égal du neuf.
JA. De plus en plus, les grands équipementiers rassemblent en un pôle central européen leur logistique pièces pour être plus efficace. Quelle est votre politique à ce sujet, notamment face à l’exigence de proximité des distributeurs et des clients finaux ?
AL. La logistique doit s’adapter aux besoins des marchés, il suffit de voir la différence entre la France et l’Allemagne en ce domaine. Notre force est d’avoir, pour le marché français, opté pour le meilleur des deux mondes. A savoir, un système informatique qui nous permet à la fois, de satisfaire, de notre centre européen, des commandes de stocks et à la fois, pour les commandes de dépannage (ou des clients qui ont besoin d’un rythme d’approvisionnement plus rapide), de répondre rapidement, via un stock qui nous est propre, en France. L’avantage d’avoir un stock en France - et ce qui nous différencie aussi d’autres équipementiers - ce n’est pas seulement l’excellence d’une performance logistique qui répond aux besoins du marché, c’est aussi la capacité de mieux travailler et plus rapidement tout ce qui est retour. Retour de vieilles matières et retour de pièces neuves. C’est aussi être plus proche des clients et mieux comprendre les problèmes qu’ils rencontrent sur le terrain. Pour le marché français, très concrètement, nous continuons d’avoir une logistique propre, par contre, en termes de volume, il reste relativement stable, spécialisé et nous avons tendance à faire monter la part de volume qui est livrée en direct à nos clients.
JA. Etes-vous satisfait de vos performances en France ?
AL. Cela fait cinq ans que nous nous développons à un rythme largement supérieur à celui du marché y compris pendant la crise et ce malgré un positionnement qui ne nous est pas favorable, tant la concurrence sur les produits “consommables” est forte et émanant de fabricants locaux. Notre croissance annuelle moyenne au cours des cinq dernières années, a été supérieure à 17 % bien que nous ayons refusé d’être opportunistes en “achetant” des parts de marché. Nous nous sommes simplement appliqués à bien faire notre travail, d’être un fournisseur réactif et performant, avec des produits de grande qualité une bonne logistique et une vraie écoute clients.